jeudi, avril 06, 2006

LE COMPORTEMENT MÉDIATIQUE EN SITUATION PÉRIPHÉRIQUE


Par rapport aux états du centre, les états périphériques comme les provinces canadiennes ou même le Canada sont confrontés dans leur fonctionnement à un problème qui aurait pu être crucial si les contentieux de tout genre n’avaient été ravaudés par l’histoire.

Cela concerne les influences qu’ils subissent en raison de leur rapport de force sur l’échiquier géopolitique régional ou mondial. Ces influences, de divers ordres, se répercutent dans les positions mais surtout implicitement dans les préoccupations et la pratique médiatiques.

Au point de vue idéologique, cela s’applique, entre autres, au choix de la grille d’analyse d’événements politiques, sociaux ou économiques, à la promotion de valeurs privilégiées dans la compréhension et l’explication de ces événements, à la priorité donnée au traitement de certains phénomènes à l’exclusion de tels autres etc.

 Tous ces éléments mis en branle dans le jeu des relations internationales sont déterminés autant par la position des partenaires dans la dynamique du rapport de force économico-politique que par les traités existant et qui régissent ces relations. A l’égard de ces éléments, le comportement des médias en situation périphérique semble justifiable du syndrome du cheval de Troie par le peu de méfiance développée contre l’invasion idéologique dès lors qu’il s’agit d’états du centre. A telle enseigne que l’orientation des entreprises de presse en ce qui a trait au champ des idées frise souvent l’aliénation.

Là où l’on s’attendrait, dans les analyses, à des manifestations soutenues du sens critique, on se retrouve souvent devant des moutures qui ne se recommandent pas par leur audace ou qui transpirent de partout la pusillanimité. Mis à part les secteurs rebelles ou marginaux des médias qui sont généralement trop faibles pour être pris au sérieux, on s’empêche de prendre position devant le catéchisme idéologique des centres dominants.
 La mondialisation de l’économie en tant que processus qui devrait permettre, entre autres, aux pays pauvres de se développer, illustre bien cette entreprise de mystification. Point n’est besoin d’être un Nobel en économie pour comprendre que les pays pauvres n’ont rien à gagner de cette mondialisation menée tambour battant sur le plan de ses structures de régulation. Toute la stratégie derrière cette conceptualisation n’a pas d’autre but que de favoriser encore davantage l’ouverture des marchés de ces pays aux produits des hyper-centres économiques dont les Etats-Unis au premier chef.

 En corollaire, on assiste à la promotion juridique des entreprises transnationales au détriment des états relégués de plus en plus à un délestage de leur souveraineté. Mais la presse dans les états périphériques, plutôt que de s’atteler à lever le masque dans cette foire d’empoigne internationale ou de crever le ballon de baudruche mystificateur, choisit souvent de jouer plutôt les valets sinon les va-t-en guerre en se faisant la mouche du coche des centres de domination.

 Les événements entourant l’action terroriste à New-York le 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center fournissent également un exemple éloquent sur la manière dont les médias en situation périphérique se comportent vis-à-vis de la puissance idéologique d’un des états dominants. En abdiquant leur faculté de nommer les phénomènes et en acceptant d’emblée la phraséologie des ces états, ils perdent de vue qu’ils justifient le background idéologique dans lequel les phénomènes ainsi nommés sont enrobés.

On n’a qu’à penser, par exemple, après l’événement du 11 septembre, à l’éradication systématique dans les médias du " combattant de la liberté. " Sans doute, l’époque est-elle fertile en terroristes de tout acabit mais l’amalgame est énorme et facile qui consiste à affubler du titre de terroristes tous les gens qui, à travers le monde, luttent pour la liberté. Comment oublier, par ailleurs, " l’axe du mal "ou les " états-voyous " etc. les plus connus de ces expressions qui connotent une charge négative appelant la condamnation universelle de ces sociétés ou ces états! Ce n’est pas évident pour tout le monde, dans ces états périphériques, le mal dont il s’agit, ni dans quel sens les états-voyous le sont puisqu’ils partagent avec beaucoup d’états de bonne réputation les attributs qui fondent le jugement—soit la possession ou le désir de possession de la bombe nucléaire.

Mais les médias s’interdisent toute objectivation de la complexité de cette situation. Ils s’abstiennent de mettre en équation des données qui pourraient éclairer merveilleusement la géopolitique mondiale. En effet, la vocation à la militarisation à travers le globe, particulièrement en ce qui concerne la possession de l’arme nucléaire, est en relation directe avec le bellicisme d’un des états dominants. Il est évident que beaucoup de peuples cherchent à se protéger à cause de l’agressivité de la politique étrangère des Etats-Unis. Pourtant, les organes de presse en périphérie plutôt que de passer leurs ukases et leurs condamnations au crible de la critique se contentent de jouer les caisses de résonance et de les répercuter ad nauseam.

 A moins qu’ils ne passent une bonne partie de leur temps à faire la chasse aux secteurs sociaux se réclamant d’une philosophie d’action axée sur la promotion sociale de tous à l’encontre du credo individualiste dominant. Ou encore, sous prétexte d’information, en se contentant de puiser, par mépris ou condescendance, dans le magasin général des lieux communs et des préjugés sur les pays pauvres ou sous-développés.
 On peut rêver d’un monde où la famine et la maladie seront vaincus sur toute la planète. Un monde où les guerres seront définitivement perçues comme un vestige de la barbarie et où la paix serait devenue le nouveau critère d’évolution de l’humanité. En attendant que survienne cette nouvelle ère, il y a un rêve moins grandiose—et qui sait?—peut-être non moins important, qu’il conviendrait de caresser, dans la mesure où il serait le tremplin en vue de la réalisation des autres rêves. Il s’agirait simplement d’établir le courage à la place de l’hypocrisie dans les relations internationales. Le courage du cœur et de l’esprit.

Ce jour-là arrivera quand les médias périphériques ne seront pas gênés de conclure et de le faire savoir à travers le monde que telle guerre déclarée au nom de principes sacrés et qui a valu des dizaines de milliers de morts, n’a pas d’autre but que la volonté de mainmise sur les puits pétroliers du pays concerné. Ce jour-là arrivera également quand le monde pourra apprendre que tel chef d’état d’un pays émergent a été assassiné non parce qu’il finançait l’action terroriste à l’étranger comme on le prétend, mais parce qu’il refusait d’être le valet d’un état dominant. La plupart des médias de ces états périphériques sont régis par des organismes indépendants qui en assurent le fonctionnement au point de vue professionnel. Tout porte à croire que ces organismes qui garantissent la compétence des spécialistes de la communication, sont eux-mêmes mystifiés par l’influence idéologique des centres de domination car, semble-t-il, jamais cette influence malsaine ne fait l’objet de leurs interventions. C’est ainsi que la dépendance idéologique à l’égard de ces centres n’existe pas comme problème. Dans l’état actuel des relations entre ces centres et la périphérie, à moins que ne se développe une attitude plus critique des médias devant l’invasion idéologique des centres, on peut penser que cette situation va se maintenir longtemps encore, manifestant odieusement la dépendance des états en situation périphérique.
 Marc L.Laroche
Sociologue
le 15/05/06