jeudi, décembre 11, 2008

LES FAUX PAS DU NOUVEAU SIÈCLE


 
L’avènement du 21ème siècle a coïncidé avec l’apparition de plusieurs phénomènes à portée très globalisante concernant le devenir du globe. Citons-en les principaux :
-Les changements climatiques et leurs répercussions à travers le globe.
-La nouvelle structuration économique et géopolitique de la planète.
-Les mouvements idéologiques à l’œuvre (défi à la démocratie, aux valeurs occidentales, mise au ban de religions, terrorisme contre la force etc.)
- Crise de l’énergie, crise alimentaire, crise du crédit etc.
Chacun de ces phénomènes a contribué, dans sa sphère d’influence, à redéfinir les conditions de vie des centaines de millions de gens et colorer leur avenir de teintes un peu plus sombres.


Les changements climatiques et leurs répercussions planétaires
Les problèmes climatiques n’ont pas attendu le nouveau siècle pour se manifester. C’est même une constante depuis la création du monde. Toutefois, les observateurs de différents horizons ont constaté une accélération du phénomène au cours de la dernière décennie, battant en brèche la plupart des théories scientifiques sur la question. En effet, que ce soit sur le problème global du réchauffement climatique ou des préoccupations plus parcellaires comme la fonte des glaces polaires, les changements survenus dans les océans et leurs répercussions sur la vie terrestre, marine, la multiplication des ouragans, les gaz à effets de serre etc. les occurrences prévisibles dans un horizon d’un siècle se manifestent, contre toute attente, de plus en plus au présent, générant, par le fait même, un climat d’urgence dès le début de ce siècle. De sorte que toutes les nations sont invitées, le sommet de Kyoto oblige, à structurer leur système d’organisation socio-économique de manière à répondre au défi climatique mondial.

La nouvelle structuration économique et géopolitique de la planète
L’avènement du nouveau siècle est coextensif à l’émergence de nouveaux pôles économiques, notamment de la Chine, de la Corée du Sud, de l’Inde, du Brésil, de l’Afrique du Sud et à la réaffirmation de pôles plus anciens comme l’Union Européenne et la Russie post-soviétique. À cela, il faut ajouter un élément capital : la crise financière qui a déferlé sur le monde dans cette première décennie du siècle.

Dans cette nouvelle structure, même si les Etats-Unis continuent encore d’avoir le rôle prépondérant, ils ne peuvent s’empêcher de constater leur déclin relatif à plusieurs égards dont l’émergence en Asie du pôle de croissance le plus performant. Au moment où ces lignes sont écrites, la réunion du 15 novembre pour la refondation du capitalisme n’a pas lieu encore. On peut déjà prévoir que les Etats-Unis n’auront pas la part aussi belle qu’à Bretton Woods pour dicter leurs volontés et qu’ils devront lâcher du lest par rapport aux autres pôles économiques. Par ailleurs, on note que depuis quelque temps, le vent de la guerre froide a recommencé à souffler entre les Etats-Unis et la Russie en raison du projet d’installation du bouclier anti-missile par les premiers et de l’occupation temporaire de la Géorgie pro-occidentale par la seconde. Difficile de dire, à cette étape, s’il s’agit de rodomontades sans conséquence ou plutôt de prélude à une certaine glaciation des relations internationales.

Les mouvements idéologiques à l’oeuvre
Les chantres du néo-conservatisme aux Etats-Unis ont longtemps entonné un refrain simpliste en ce qui concerne la lutte idéologique sur la planète. Le monde leur paraissait, grosso modo, divisé en deux camps. D’un coté, les bons dont ils font partie avec quelques millions d’autres, surtout des Européens ou des groupes d’origine européenne, et, de l’autre, les mauvais, en l’occurrence, le plus grand nombre éparpillé aux quatre coins de la planète, relevant de l’axe du mal, appartenant à des états-voyous ou à des aires culturelles plus ou moins archaïques. Les premiers sont, dans l’ensemble, judéo-chrétiens, pratiquent la démocratie et la libre entreprise, alors que les autres se réclament de religions non-chrétiennes, de l’islam en grande partie et vivent dans des systèmes politiques autoritaires qui font fi de la liberté et de la libre entreprise. De plus, tandis que les premiers connaissent un haut niveau de développement (économique, social, scientifique, technologique etc.), les seconds viennent très loin en arrière quand ils ne s’enlisent pas tout bonnement dans le sous-développement. Les deux camps développent des rapports largement conflictuels que les premiers mettent au compte d’une certaine jalousie. Ils seraient la cible des peuples sous-développés parce que ces derniers leur envieraient leur richesse et leur avance scientifique et technologique

À partir de cette grille réductionniste, ils font une analyse erronée du contexte idéologique. Ils ne prennent pas en compte quantité d’éléments importants dont la mission qu’ils se donnent de civiliser les autres y compris par la force, la prépondérance de leurs intérêts sur tous les autres en matière d’occupation du territoire, de relations internationales, du commerce etc. sans compter des questions culturelles et philosophiques comme la place de l’homme dans l’univers et dans la communauté et la façon dont les principes de responsabilité et de solidarité se vivent dans cette communauté.

Il résulte de cela que les premiers et surtout aux Etats-Unis sont la cible des terroristes issus de ces populations sans que les attentats fassent l’objet d’une analyse approfondie de leurs motivations. Beaucoup d’énergie et d’argent ont été investis pour faire face à ce problème. Par un effet paradoxal dans le cas d’un pays au faîte des connaissances en sciences humaines, ils se contentent, de manière générale, de rester à la superficie du comportement comme s’ils refusaient d’en connaître les raisons profondes.

Le temps des crises (énergie, aliments, crédit
)

L’instabilité qui s’installe sur la planète à l’arrivée du 21ème siècle s’accompagne de plusieurs crises qui n’ont cessé de se manifester dès la première décennie. La première de ces crises, c’est celle de l’énergie. Bien entendu, ce n’est pas la première fois que cette crise est au rendez-vous. Au début des années 70, c’en était la première grande manifestation après la guerre. À cette époque, le prix du baril du pétrole était un indice du prix de la production ou de sa raréfaction. En 2008, la situation a changé complètement. Si le prix du baril avait continué à être un indice de la production ou de la rareté du produit, il n’y aurait pas eu de crise du pétrole. Il était devenu plutôt un indice du prix sur le marché boursier en raison de la spéculation. Et ce qui aggrave encore la situation, c’est que ce qui se passe

Il n’y a pas de doute, la crise de l’énergie est une période cruciale dans l’évolution de nos sociétés urbanisées, toutefois, la crise alimentaire mondiale constitue un défi dont les enjeux dépassent encore ceux de la crise de l’énergie. Car il s’agit de l’incapacité de plusieurs dizaines de millions de personnes de pouvoir s’alimenter. Même avant la crise alimentaire, des famines sévissaient un peu partout dans les pays pauvres du globe. Ce n’est sûrement pas en triplant le prix du pain et du riz, aliments de base d’une grande partie de la planète, que le problème va se résorber. M. Robert Zoellick président de la Banque mondiale évalue à 100 millions le nombre de personnes à souffrir de la faim à cause de la crise alimentaire. Pourtant, à son avis, il s’agit d’une donnée conservatrice qui risque d’augmenter avec l’approfondissement de la crise.

Finalement, comme si les rouages de l’économie n’étaient pas suffisamment grippés, il faut que la crise du crédit vienne ajouter encore aux difficultés, rendant le financement problématique à tous les échelons de l’architecture économique. On connaît les sort des grandes entreprises financières aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, de même que celui des grandes compagnies comme General Motor, Ford et Chrysler. Actuellement près d’une centaine d’entreprises multinationales à travers le monde font face au spectre de la faillite. Même chez les ONG en activité en très grand nombre dans la plupart des pays sous-développés, le problème n’est pas différent. En effet, quand un ONG comme la Croix-Rouge éprouve des difficultés à se renflouer, on peut raisonnablement penser que beaucoup d’autres, dont les bases sont moins solides, se sont trouvés dans la même situation.

Par conséquent, on convient facilement que tous les signaux importants de ce siècle sont en mode négatif. Espérons seulement que ce siècle se dépêche de déballer ses horreurs pour ne pas avoir à le faire plus tard. La preuve que tous les espoirs ne sont pas perdus, c’est que Obama a remplacé Bush.
Marc-Léo Laroche
11.12.08

jeudi, décembre 04, 2008

NOTES SUR L'AMÉRIQUE EN TRANSITION



Il semble que l’avènement du 21ème siècle a apporté un vent de changement sur le monde. À cet égard, on ne peut pas dire que l’Amérique soit en reste quoique le changement soit loin d’être uniformément réparti sur le continent. C’est pourquoi, en vue d’un bilan, il y a lieu de considérer, d’une part, l’Amérique centrale et les Antilles, d’autre part, l’Amérique du Sud et l’Amérique du nord.

L’Amérique centrale et les Antilles

Des trois Amérique, l’Amérique centrale et les Antilles forment l’espace géographique le plus restreint en termes de population et de marché ( aux alentours de 1% de la population et du PIB mondial), le moins développé et peut-être le moins perméable au changement. En excluant les petites Antilles, des douze états et territoires qui forment l’essentiel de cette région, Cuba et Haïti méritent une mention spéciale. Le premier, que dirigeaient Fidel Castro depuis près de 50 ans et maintenant son frère Raul Castro depuis 2007, parce qu’il plie depuis le début du régime sous le fardeau de l’embargo des Etats-Unis et, le deuxième, sous la gouverne de René Préval ( président depuis 2006) et de Michelle Pierre-Louis, (première ministre en 2008), parce qu’il croupit dans la misère que lui a valu un demi-siècle de dictature, de corruption et d’incompétence.

L’Amérique du Sud

C’est en Amérique du Sud que le vent du changement semble avoir commencé à souffler, particulièrement en direction des Etats-Unis. Jusqu’alors, ces derniers considéraient l’Amérique du Sud comme leur arrière-cour, y faisant et défaisant les gouvernements. En mettant en question le néolibéralisme comme mode de fonctionnement de l’économie et, plus généralement, l’hégémonie étatsunienne tant sur le plan idéologique que politique ( voir Pacte andin 1969, Mercosur 1994, Alba 2004, Projet de gazoduc Sud-américain 2005, Telesur 2005, Banco del Sur 2007,Unasur 2008, etc.) l’Amérique du Sud a choisi de favoriser l’intégration de la portion latine de l’hémisphère et d’instaurer en même temps, une cassure historique sur le plan des relations internationales. D’où cette interrogation : " L’Amérique latine : nouvel ordre régional ou mondial? in cramoel.blogspot.com''.
Il importe, par conséquent, de voir les principaux centres de changement dans cette partie du continent, mis à part les états que sont la Colombie d’Alvaro d’Uribe et le Pérou d’Alan Garcia encore dans le giron du néolibéralisme, sans oublier les territoires du Surinam et de la Guyane, récemment indépendant pour le premier et possession française pour le second.
À noter que le Mercosur comprend les états suivants : Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Venezuela. On peut dire donc que la ligne de démarcation des états du sous-continent passe entre le plus grand nombre qui favorisent l’intégration latine et ceux qui sont liés aux Etats-Unis par des rapports de libre-échange comme le Chili, le Pérou et la Colombie encore que ces derniers soient, avec la Bolivie et l’Équateur, des membres associés au Mercosur.

Venezuela

: Ce pays est l’un des premiers, avec le Brésil, à avoir, de façon manifeste, initié le changement dans cette partie du continent. Cela s’est fait avec l’arrivée de Chavez en 1999 à la tête de l’état et, surtout, après le coup d’État manqué contre son gouvernement. C’est à cette époque que remonte sa déclaration de guerre contre l’impérialisme des États-Unis et l’intervention multiforme de ces derniers dans le pays. Cela s’est fait également par l’instauration d’une orientation résolument de gauche connue sous le nom de " révolution bolivarienne " en axant le Venezuela sur un nouveau modèle de développement économique et social et en se donnant en même temps un rôle actif au niveau régional sur le plan idéologique. Quoique le président soit très controversé sur le plan de ses décisions économiques, on ne peut nier que le pays soit comptable de beaucoup de mesures sociales propres à favoriser les plus démunis.

Argentine

: De la crise économique qui a prévalu dans ce pays au détour du siècle à aujourd’hui avec l’élection en 2007 de Cristina Fernandez du Parti justicialiste à la présidence de son pays, la seconde femme, à ce titre, en Amérique du Sud , il y a un vent de changement en Argentine. Sans doute, les éléments n’en sont pas les mêmes qu’ailleurs, dans les autres états du sous-continent qui se sont orientés résolument vers la gauche…Mais dans la mesure où ce pays est partie prenante du mouvement d’ensemble dans la région, particulièrement en ce qui concerne la mise en question du rapport des centres hégémoniques avec la périphérie, un peu de ces changements est à mettre à son crédit.

Equateur

:Comme pour le président Vasquez d’Uruguay, le président Rafael Correa d’Equateur, élu en 2006, est le produit d’une alliance de différents partis de gauche, en l’occurrence, le parti Alianza Pais. Économiste de formation identifié à la gauche, il a pris ses distances avec le projet de libre-échange avec les États-Unis de même qu’avec la dollarisation de l’économie opérée en l’an 2000. Sa gestion économique l’a mis en confrontation avec le FMI et la Banque mondiale desquels il refusait les diktats.

Brésil :

L’élection de Luis Ignacio Da Silva, ouvrier syndicaliste comme président en 2002 malgré les pesanteurs sociologiques et l’étanchéité des classes sociales est profondément symbolique des changements de mentalité dans cet immense pays de 140 millions d’habitants. De plus, cette élection a été porteuse de changement à beaucoup d’égards. D’abord par les différentes politiques pour l’avancement des déshérités, mais aussi par les changements dans les relations internationales notamment vis-à-vis des Etats-Unis. À plusieurs reprises, si les conférences internationales ( OMC, Sommet des Amériques etc.) ont connu l’échec, c’est, entre autres, à cause de la position du président du Brésil qui réclamait des conditions égales à celles dont bénéficiaient les États-Unis. Et le signe que son élection n’était pas un accident, c’est qu’il a été réélu en 2006.

Chili

: Le Chili a une situation paradoxale. D’un côté, il s’agit d’un état qui, six ans après l’effacement d’Augusto Pinochet de la scène politique au Chili et seize ans après sa chute comme président, présente l’aspect du changement avec l’élection en 2006 d’une femme de gauche à la tête du pays en la personne de Michelle Bachelet. Dans un pays axé sur le machisme et centré profondément sur les valeurs chrétiennes sinon catholiques, elle est un libre penseur qui ne s’est jamais marié et dont les enfants sont de deux pères différents. Néanmoins, la présidente a beau être de gauche, les institutions du pays demeurent engluées dans des pratiques néolibérales que n’arrivent pas à vraiment secouer les politiques sociales mises de l’avant.

Bolivie

: Dans ce pays, le changement a pris la forme de l’élection à la présidence de la Bolivie en 2005 d’un premier descendant autochtone d’origine Aymara. C’est un militant de gauche qui a été d’abord ouvrier syndicaliste. Son programme consiste notamment dans la réforme agraire, la redistribution des ressources du pays au bénéfice des plus pauvres, particulièrement les autochtones et la limitation de la mainmise étrangère sur ces ressources. Dès sa prise du pouvoir, il s’est attelé à la tâche de la redistribution de la richesse du pays en mettant à contribution les provinces riches, au bénéfice des plus pauvres, dans un cadre administratif de péréquation.

Uruguay

: Tabaré Vasquez est le président de ce pays. Il a été élu en mars 2005. Il est le chef de Frente Amplio, un parti formé par une coalition des partis de gauche et dont l’un des points importants du programme de gouvernement consiste à rendre possible une plus grande justice sociale. Les principaux éléments d’action du gouvernement s’ordonnent autour du projet de développement de la société uruguayenne. À cet égard, plusieurs mesures sociales ont été mises de l’avant comme des programmes contre le tabagisme, l’avortement etc. à commencer par un programme d’assistance sociale pour les démunis.

Paraguay

: Avec l’élection dans ce pays du progressiste Fernando Lugo (ci-devant membre de l’Alliance patriotique pour le changement) à la présidence de la république en août 2008, le Paraguay a tourné le dos à une longue ère de dictature, d’immobilisme et de conservatisme. Les principaux éléments du programme de gouvernement sont la réforme agraire, l’éradication de la corruption et l’autonomie économique.
L’Amérique du Nord

Etats-Unis :

les Etats-Unis d’Amérique forment un pays tout à fait singulier où le pire côtoie le meilleur à tous les niveaux de la société.
C’est le pays du gouvernement Bush qui pour s’accaparer des sources pétrolifères irakiennes n’a pas hésité à envahir l’Irak au prix de plus d’un million de morts sous le faux prétexte que ce pays dispose des armes de destruction massive au grand dam de l’ONU.
Cela n’empêche pas qu’au même moment ont lieu aux Etats-Unis des changements positifs de grande valeur symbolique sur le plan de la situation raciale. C’est le cas de la nomination de Colin Powel suivie de celle de Condolezza Rice, deux afro-américains d’origine, au poste de Secrétaire d’état aux Affaires étrangères.
Mais ce qui surclasse tous les symboles du genre, c’est l’élection de Barak Obama, un autre afro-américain à la présidence des Etats-Unis, 44 ans après la fin de la ségrégation des noirs dans ce pays.

Canada

: Sur le plan du changement des mentalités, le Canada n’est pas en reste pour avoir nommé en 2005 Michaëlle Jean, une femme noire d’origine haïtienne au poste de Gouverneure générale du Canada. On peut déplorer, néanmoins, qu’au chapitre des autochtones, le gouvernement Harper ait refusé de signer l’accord de l’ONU concernant La Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones soumise en 2007.

Mexique

: en matière d’évolution des mentalités, le Mexique peut difficilement réaliser avec les Etats-Unis. Il n’empêche que l’avènement du 21ème siècle consacre un changement important dans la gouvernance du Mexique. Pour la première fois en 70 ans, le Parti révolutionnaire institutionnel(PRI) a mordu la poussière aux élections au bénéfice du Part national révolutionnaire(PAN) en l’an 2000, créant les conditions d’une nouvelle ère dans le fonctionnement de la démocratie et le développement de la société.
Le 20 nov 2008
Marc L.Laroche

dimanche, novembre 23, 2008

LES RÉPERCUSSIONS DE L'ATTENTAT DU 11 SEPTEMBRE AUX ÉTATS-UNIS



Il en est parfois des peuples comme des individus : il leur prend souvent des événements extraordinaires pour se révéler à eux-mêmes. À l’échelle individuelle, ces événements opèrent comme de véritables catharsis permettant de ramener au jour des pans entiers d’une réalité refoulée et d’envisager des solutions pour la conduite à venir.
Il en va de même de l’attentat du 11 septembre à New-York. Les ondes de choc de cet événement n’ont pas fini de se faire sentir et, déjà, elles se répercutent dans beaucoup de domaines de la société étatsunienne. Qu’il suffise de citer , à titre d’exemple, la dynamique politique des Etats-Unis sur l’échiquier international, les problèmes de sécurité intérieure culminant en une remise en question des libertés publiques et, finalement, les répercussions sur le plan économique et financier.
Sur ces questions, on a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, il ne serait pas superflu de les reprendre, ne serait-ce que pour juger du sens de leur traitement et de la possibilité qu’elles débouchent sur une catharsis de la société étatsunienne et, ultérieurement, sur des voies de solution qui pourraient intéresser l’équilibre ou l’harmonie des nations du monde.

1- La politique internationale des États-Unis

Il est peut-être trop tôt pour caractériser la politique internationale des Etats-Unis après le 11 septembre. Néanmoins, si les priorités de la première puissance mondiale ne sont pas toutes redéfinies, elles sont, au moins, bouleversées pour céder la place à des préoccupations nouvelles qui s’articulent, pourrait-on dire, dans une direction tout à fait opposée. L’ère du gouvernement Bush est ouverte dans un isolationnisme politique arrogant. Partout où les Etats-Unis étaient confrontés à d’autres nations du monde dans des forums qui commandaient de leur part, comme à d’autres, des concessions afin de parvenir à un modus vivendi
à l’échelle planétaire, ils s’étaient retirés, faute d’arriver à faire prévaloir leur option. Depuis la chute de l’empire soviétique et, conséquemment, la fin du besoin de soigner les relations internationales, au moins, en ce qui concerne les états de la mouvance occidentale, ils en étaient venus, semble-t-il, à penser que la diplomatie de la force (politique, économique, militaire, culturelle etc.) pouvait avantageusement remplacer celle de la persuasion.
Après tout, n’est-ce pas les autres qui avaient besoin des États-Unis? À condition que les portes des marchés soient ouvertes à l’échelle de la planète pour leurs produits, bien entendu, sans contrepartie de leur part, ils n’avaient besoin de personne, ils pouvaient se suffire à eux-mêmes. C’est cette position désinvolte et arrogante qui était la leur à l’arrivée de Bush à la Maison Blanche et qui servait de fondement psychologique à la poursuite du projet de bouclier anti-missile, en dépit des désaccords de tous les états de la planète ou presque. C’est également la même position unilatéraliste qui explique leur refus de se mobiliser en vue du règlement du conflit du Moyen-Orient. Ils n’avaient cure des différentes résolutions des Nations-Unies et des vœux plusieurs fois formulés par la communauté internationale à cet égard, même quand il s’avère qu’eux seuls possèdent les clés du règlement de ce conflit.
Pourtant, sans qu’il soit permis d’inférer que les Etats-Unis ont changé quoi que ce soit dans leur projet initial, la situation politique postérieure à l’attentat du 11 septembre n’a pas moins enlevé à ce projet la première place dans les discours et même dans la réalité. Et pour cause… L’installation de ce bouclier pour parer aux agressions des missiles balistiques des États-voyous,
selon la phraséologie étatsunienne, ne les aurait pas protégés contre les attentats terroristes perpétrés à l’intérieur du territoire. Pourtant, depuis le premier du genre survenu en 1993 dans l’une des tours du World Trade Center suivi de celui d’Oklaoma City avec Thimothey Mc Veight, c’est de l’intérieur que se tramaient les principales menaces à la société étatsunienne. Les trois autres attentats, en Tanzanie, au Kenya et au Yémen n’impliquaient, de toute manière, aucune opération de missiles intercontinentaux.
Dans cette conjoncture, si l’absurdité du bouclier anti-missile ne saute pas aux yeux de tous, il n’est pas moins clair pour les observateurs avisés, que la concrétisation de ce projet n’assurerait pas, de toute façon, la pleine sécurité pour laquelle il a été conçu. C’est pourquoi, désormais, le géant a peur. Il fait l’expérience d’un sentiment qui lui était tout à fait étranger auparavant. Une expérience de vulnérabilité qui porte le président Bush à une mobilisation tous azimuts en vue de rompre son isolationnisme. Dorénavant, brisant l’unilatéralisme de ses premières manifestations de politique internationale, il croit nécessaire de convier toutes les nations du monde à une croisade contre le monstre grimaçant du terrorisme. À cette occasion, il fait état de ce qu’il appelle sa doctrine, laquelle pourrait se traduire par l’engagement des Etats-Unis à combattre partout le terrorisme ainsi que les états qui le protègent. Comme par hasard, c’est le moment qu’il choisit aussi pour faire savoir au monde et, particulièrement, aux états de la mouvance islamiste, que les Etats-Unis sont favorables à la constitution d’un état palestinien, en même temps qu’il essaie de tenir la dragée haute à Ariel Sharon, le premier ministre d’Israël. Quelle coïncidence!

2- Les problèmes de sécurité intérieure

Les Anglo-Saxons ont toujours regardé avec une pointe de condescendance les pays qui, comme la France, se sont donnés un ministre de l’intérieur. En regard des droits individuels, cette structure leur paraissait un pis-aller qui jurait avec leur sensibilité. Il en est de même de l’obligation d’avoir à détenir une carte d’identité pour circuler à travers le pays. Néanmoins, ce qui paraissait un scrupule fondé sur une haute idée des valeurs de civisme, n’a pas résisté à la chute des tours. Du jour au lendemain, ce scrupule était balancé par dessus bord, pavant la voie aux Etats-Unis, à une démarche visant des restrictions aux libertés publiques. Il en va de même de la création d’une instance politique vouée à la sécurité intérieure et équivalent, peu ou prou, au modèle français. Il ne fait pas de doute que cette instance traduit un besoin général manifeste, tant pour la coordination des agences de renseignements du gouvernement que pour répondre au sentiment d’insécurité de la population. À beaucoup d’égards, ce sentiment frise la panique ou la psychose, du moins, dans certains secteurs névralgiques de la société. Il s’agit d’un revirement diamétralement opposé à la perception de soi ou de sa société que l’homme de la rue de New-York ou de Chicago croirait, auparavant, tout à fait impossible. Car, il s’agit, ni plus ni moins, que de vivre aux Etats-Unis, sinon l’angoisse des Irakiens, du moins celle, récurrente, des Palestiniens. C’est dans ce sens que beaucoup pensent que les terroristes, quoi qu’il advienne, ont déjà gagné cette phase de la guerre contre les Etats-Unis, même si Oussama Ben Laden devait être capturé et condamné à mort.

3-Les répercussions sur le plan économique et financier

En ce qui concerne les conséquences économiques et financières, la démonstration à un premier niveau n’est pas à faire. Les observateurs de l’actualité sont bien servis par la débâcle boursière et les nombreuses compagnies de transport qui sont au bord de la faillite. De fait, sans une aide de l’état, plusieurs seraient déjà en faillite. Mais, au-delà de ces compagnies de transport particulièrement concernées, il y a toute la panoplie des entreprises qui œuvrent en amont et en aval et qui ont des ramifications à travers le monde. Sans compter des répercussions encore plus profondes et qui touchent aux orientations budgétaires des gouvernements et des entreprises afin de faire une place plus considérable aux multiples occupations nouvelles liées à la sécurité. Cela exclut des pressions économiques et financières encore plus souterraines et dont il serait hasardeux d’en parler ici avant d’en voir les manifestations dans la pratique sociale et politique. Il n’est que de penser, par exemple, aux nouvelles contraintes qui doivent accompagner le flux du numéraire pour faire échec au financement des réseaux terroristes et au blanchiment de l’argent.
Bien qu’il ne soit pas encore clair de quelle façon la politique des institutions internationales comme le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale pourraient être affectées, il ne serait pas impossible que leur programme d’ajustement structurel soit remis en question, au moins en partie, plus probablement , de manière superficielle. Par ce programme, on le sait, ces institutions interviennent dans l’économie des pays sous-développés en s’assurant souvent de la dévaluation de la monnaie, de la libération des prix, de l’austérité fiscale et des réformes structurelles vouées, notamment, à dégager des surplus au bénéfice des créanciers internationaux . Sous les oripeaux idéologiques dont se parent ces institutions, elles constituent, ironiquement, les moyens les plus sûrs pour assurer l’appauvrissement accéléré des pays pauvres, drainant dans leurs opérations le plus clair de leurs ressources disponibles. Car les surplus dégagés se font souvent au détriment des programmes de santé ou d’alphabétisation de ces pays et servent, dans la plupart des cas, à rembourser les intérêts sur les dettes dans les pays riches, particulièrement aux Etats-Unis. Il est significatif de mentionner que depuis près de vingt ans, les pays sous-développés sont devenus, par les bons offices du FMI et de la BM, " des fournisseurs nets de capitaux des pays de l’O.C.D.E. Cela veut dire que dans ces pays, les sommes affectées au service de la dette, donc qui sortent de ces pays, dépassent, en terme absolu, celles qui entrent, que ce soit sous forme d’aide internationale, d’investissements étrangers ou de prêts ".Pourtant, c’est sans compter une tare immanente à la structure de ces pays et qui en compromet absolument le développement. Il s’agit de l’échange inégal et de la détérioration régulière des termes de cet échange qui garantissent, en corollaire, la régularité de la paupérisation de ces pays d’un côté, et l’accumulation du capital de l’autre côté.
Dans cet ordre d’idées, il ne serait pas impossible que la mondialisation telle que modelée par les grands bénéficiaires de l’OMC soit redéfinie pour jeter du lest sur certaines contraintes jugées trop irritantes par les pays pauvres. Car, en dépit d’une phraséologie qui occulte les véritables finalités de cette opération planétaire, on n’a guère besoin d’être expert pour savoir que ce n’est ni au Bengladesh, ni au Sierra Leone ou en Bolivie que cela profiterait. Comme dans les opérations du FMI ou de la BM, celles réalisées dans le cadre de l’OMC permettraient aux pays de l’OCDE, dont les Etats-Unis surtout, de consolider leur hégémonie multiforme sur la planète en accélérant leur emprise sur les ressources et les mécanismes de production de ces ressources.
À cet égard, l’expérience de Seattle est très éclairante. Alors que les pays sous-développés sont majoritaires, au forum de l’OMC, ils n’arrivaient pas à obtenir que les problèmes structurels qui compromettent leur développement soient débattus et fassent partie de l’accord éventuel. Les seuls éléments qui intéressaient les pays riches, c’était d’y voir la consécration de leur mainmise sur l’économie de ces pays. À preuve, les principaux points à l’ordre du jour de ce forum ne concernaient pas autre chose que la réduction des barrières tarifaires, les investissements, la propriété intellectuelle etc. toute chose qui n’intéresse au premier chef que les pays riches.
Loin de nous, néanmoins, l’idée que l’événement du 11 septembre à New-York pourrait apporter des changements dans la rigueur du capitalisme. En fait, nous ne le croyons pas du tout. Devant les ressentiments d’une grande partie de la planète et l’événement tragique qui les symbolise, nous croyons plutôt, en réaction, à un marketing du capitalisme aux Etats-Unis qui laissera nécessairement intact ce qui est essentiel pour les intérêts de ce pays. Sans vouloir donner aux terroristes le sentiment qu’ils ont gagné la première phase de la guerre, les Etats-Unis voudront faire savoir au monde que des choses substantielles ont changé chez eux. Mais le peuvent-ils et dans quel sens?

4-Changement à faire dans l’image des Etats-Unis

Il est assez curieux de voir les questions que les gens se posent aux Etats-Unis sur leur image vis-à-vis de leurs détracteurs. D’après l’agence Ganett news service tel que rapporté dans la Presse
du 22 octobre 2001, la question que se pose Henry Hyde, président du comité de la chambre sur les relations internationales est, à cet égard, édifiante : " Comment se peut-il que le pays qui a inventé Holywood et Madison Avenue ait tant de difficulté à promouvoir une image positive d’elle-même à l’étranger? " La réponse à cette même question posée à Rob Frankel, un spécialiste aux Etats-Unis de la communication consisterait tout bonnement en un exercice de publicité. " C’est une question de mise en valeur d’une marque tout simplement, dit-il. Les pays ne sont guère différents des savons et des automobiles " Le même article met en relief différentes stratégies publicitaires visant à améliorer l’image des Etats-Unis, mais rien qui s’apparente vraiment à une analyse profonde des comportements dans ce pays, pas plus qu’une analyse structurelle à la base des comportements des autres à leur égard.
Même quand on croit les gens sur la bonne voie, après l’attentat, avec des questions comme celle-ci : " pourquoi ont-ils tant de haine à notre endroit? ", on constate cependant qu’ils ne vont jamais au bout de la logique de l’interrogation. Cela devrait les porter à s’analyser et, encore plus, à faire l’examen des problèmes sociaux, économiques et géopolitiques résultant de leurs relations internationales. Mais, ils s’interdisent, tout bonnement, d’aller si loin dans leur questionnement. Cette incapacité de leur part n’est finalement pas surprenante. Ayant pris l’habitude de dicter au monde ses comportements, ils ont davantage le réflexe de l’arrogance que celui de l’introspection.
Mais, ce qui est stupéfiant, ce n’est pas tant l’incapacité des gens de ce pays à se mettre en perspective. On connaît leur faiblesse à cet égard depuis longtemps. La surprise, c’est de voir les thuriféraires, voire les adorateurs de la société étatsunienne, en Amérique comme ailleurs dans le monde, abdiquer à ce point leur sens critique qu’ils vitupèrent ceux qui essaient de comprendre les causes sous-jacentes de l’explosion de haine que l’on connaît. Pour ceux-là, sont réputés détracteurs des États-Unis tous ceux qui, au lieu de se complaire en hommages laudatifs et compatissants à la suite de l’épreuve, s’adonnent à l’exercice de la réflexion sur les déterminants de l’événement du 11 septembre, craignant sûrement le risque de voir découvrir dans les placards, des squelettes qui dépareraient leur auréole. Et ce n’est pas la moindre des surprises, à l’occasion de cet événement, que de se rendre compte du large éventail des opinions, au point d’inclure ceux-là mêmes qui croient nécessaire de s’abstenir de mettre en cause les Etats-Unis sous quelque motif que ce soit.

5- Les perspectives d’avenir

A partir de ce qui précède, les perspectives d’avenir sont loin d’être optimistes. Si le processus de catharsis de la société étatsunienne était effectif et s’il pouvait parvenir à son terme, incluant une analyse des comportements des uns en relation avec les causes des ressentiments des autres, il y aurait des raisons d’espérer. Même si l’élucidation des problèmes refoulés ou méconnus, n’aurait pas, ipso facto,
peermis la transformation des structures d’échanges entre les Etats-Unis et leurs détracteurs, il y aurait quand même lieu de penser que le temps pourrait avoir un effet favorable sur les rapprochements nécessaires. Mais, on peut douter que la catharsis et les décisions qui en découleraient soient possibles. Malgré les chambardements sur le plan de la psychologie collective aux Etats-Unis et les efforts publicitaires que les responsables politiques voudront consentir pour changer l’image de marque du pays à l’étranger, il est loin d’être acquis qu’un artifice de maquillage, si parfait soit-il, puisse suffire à opérer les changements qu’impose la crise des relations internationales.
Ce 26 octobre 2001
Marc L.Laroche

jeudi, novembre 13, 2008

ÉLECTIONS ÉTASUNIENNES: RÉFLEXION


Depuis l’élection d’Obama à la présidence des Etats-Unis, la radio et la TV ne manquent pas de faire état d’opinions et de commentaires venant d’horizons différents à travers le monde. Il en est de même des journaux et des magazines. L’analyse un peu expéditive du contenu médiatique invite à être optimiste sur le genre humain.
En effet, toutes les opinions émises, faisaient l’unanimité sur un point : l’élévation du discours d’Obama. Comme quoi, toutes les appréciations témoignaient d'une sensibilité à ce qui est transcendant dans ses propos.
Cette unanimité pose une question sur laquelle il convient de s’interroger. Faut-il penser que tous les commentateurs étaient tous porteurs de hautes valeurs morales et que la présence de cet attribut chez eux les rendait plus aptes à les discerner chez d’autres? En corollaire, faut-il croire que tous ceux que le discours d’Obama n’a pas atteint, se sont abstenus de manifester leur opinion?
Quelque crédit que pourraient avoir ces hypothèses, il semble plus logique de chercher la vérité ailleurs. Aucune situation, même la plus vile, n’échappe à la condition humaine. Si les hommes sont capables de grandeur, ils sont également capables de bassesse. Il est donc possible que même dans les pires conditions de dégradation morale, l’homme soit capable de discerner et d’apprécier le noble et le sublime .
Pour en rester aux États-Unis, les requins de la finance , à l'origine de la crise économique dans ce pays et qui se sont enrichis souvent au détriment des pauvres, sont capables de comprendre les bases morales d’une alternative au fonctionnement du marché financier, même s'ils n'y adhèrent pas. Il en est de même de ceux que le caractère inéquitable du système de santé favorise, lors même que ce système condamne une grande partie de la population aux affres de la maladie et de l’indigence. La cupidité et l’égoïsme ont beau les pervertir, cela ne les empêche pas, parfois, de reconnaître la transcendance d’un principe ou d’une position, malgré la menace à leurs intérêts.
C’est donc la part noble de la duplicité humaine qui est reconnue dans les opinions et commentaires susmentionnés. Pascal, ne l’avait-il pas déjà identifiée? " Cette duplicité de l’homme, dit-il, est si visible, qu’il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes ."
12.nov 2008
Marc L.Laroche

mardi, novembre 11, 2008

LA DESCENTE IRRÉVERSIBLE D'HAÏTI





Depuis 50 ans, Haïti n’a cessé de dégénérer. On a déjà, ailleurs, passé en revue toutes les dimensions de cette catastrophe nationale, mis en lumière ses causes et ses conséquences et envisagé les solutions possibles en vue d’un redressement de la situation. Mais, plutôt que de voir appliquer ces solutions, on assiste, depuis plusieurs années, à une accélération de cette dégénérescence. En cette première décennie du 21ème siècle, Haïti en est arrivée à subir, sciemment, la tutelle internationale par le truchement de l’ONU. On aurait pu croire que le peuple qui a conquis, de hautes luttes, son indépendance en 1804, aurait résisté de toutes ses forces à cette condition outrageante…Que si malgré tout, cette situation devait lui être imposée par les circonstances, cela aurait suscité l’éveil de tant de valeureux défenseurs de la patrie que la tutelle n’aurait pas eu de lendemain. Mais, il n’en a rien été. Le pays est parvenu à un tel état de délabrement et d’aliénation que ce qui eut pris la forme de mesures tout à fait exceptionnelles dans un autre temps, passe aujourd’hui pour une situation normale…Comme si l’Haïtien, émasculé, avait perdu, à tout jamais, sa capacité de rebondir ou avait laissé en cours de route, l’essentiel de sa dignité.


Devant les impératifs d’urgence qui jalonnent l’histoire d’Haïti au cours des dernières décennies, on s’est toujours attendu à ce que les gouvernements finissent par prendre des orientations que commande la conjoncture. Mais, on s’est toujours trompé, même quand certaines décisions engagent peu le budget de l’état. C’est que, parallèlement à la pauvreté des moyens dont dispose le pays, sévit, de manière endémique et tragique une crise de leadership. À des moments qui lui sont particulièrement obscurs ou nébuleux, le peuple aurait eu souvent besoin de savoir dans quelle direction se diriger et comment canaliser son énergie en vue de participer au déblocage du pays. Mais, comme toujours, le gouvernement brillait par son absence et aucun plan requérant sa collaboration ou sa contribution ne lui était soumis. Devant l’impéritie des appareils de pouvoir qui se sont succédé depuis les trois ou quatre dernières décennies, des citoyens pouvaient, de temps à autre, essayer d’agir à leur niveau en vue de freiner la décadence générale, mais, faute d’un mouvement d’ensemble à travers le pays, leurs actions étaient toujours demeurées des gesticulations vides de sens.


À cet égard, la question du déboisement d’Haïti en est un bon exemple par les initiatives éparses à laquelle elle a donné lieu à beaucoup d’endroits sur le territoire national . Comme indiqué précédemment, il a toujours manqué à ces citoyens de bonne volonté que leur projet ait fait l’objet d’une orchestration préalable. Pourtant, ce n’est pas faute de sa pertinence. Voilà, au contraire, une question qui passionne l’opinion mondiale depuis très longtemps. Tous ceux pour qui l’avenir écologique du globe a une certaine résonance ne peut manquer de penser à l’île d’Haïti où ils voient, avec désespoir, l’île de Pâques en devenir. D’aucuns vont même jusqu’à chiffrer l’occurrence de cette sinistre réalité si rien n’est fait à très court terme. Depuis plus d’un demi-siècle que les médias de par le monde pronostiquent cette catastrophe, aucun plan, aucun programme gouvernemental cohérent n’a, à notre connaissance, été conçu afin d’y faire face. Tout se passe comme si le développement du pays n’était pas, d’abord, un acte réfléchi, d’inspiration volontariste, une direction à imprimer par un leadership vigoureux et coordonnateur avant d’être une certaine façon d’articuler des moyens, c’est-à-dire des ressources à des fins de démarrage. Au contraire, au pays où trône encore le merveilleux, malgré le désir d’entrer de plein pied dans la modernité, on semble attendre magiquement un renversement de la situation sans avoir à lever le petit doigt et, surtout, sans une politique propre à fixer les conditions et les balises des changements escomptés.


De plus, dans un suprême déni de la réalité, l’idéologie du moment veut qu’on impute la responsabilité de la désertification du pays aux Espagnols et aux Français de l’époque coloniale. Tenez, il y a quelques semaines, dans le cadre d’une entrevue au 12ème sommet sur la Francophonie qui se déroulait à Québec, à la fin de l’été, le président haïtien, en essayant de faire l’impasse sur la responsabilité des gouvernants au cours des cinq dernières décennies en matière de déboisement, s’est empressé de faire remonter l’origine de ce processus à l’arrivée des colonisateurs. À son avis, cette situation est due, selon Nancy Roc le citant, à " l’agression environnementale effectuée par les colons en 1492 avec la disparition de l’élément fondamental de l’environnement haïtien qu’était l’indien ". Une telle argumentation au 21ème siècle ne peut convaincre que des ignorants. Comme si l’occupant du sol depuis l’indépendance du pays en 1804 n’avait aucune possibilité d’y remédier!


Récemment, la crise alimentaire mondiale a eu des répercussions violentes en Haïti. En fait, il s’agissait d’une semonce, car ce qui apparaissait comme une crise circonstancielle est plutôt, pour des observateurs lucides de la scène alimentaire mondiale, le prélude à une situation permanente à l’échelle du globe. Beaucoup de pays émergents sous la coupe du FMI et de la Banque mondiale ont tiré les conclusions qui s’imposent des événements. Ils en ont bien saisi le sens et se sont dépêchés d’y ajuster leur politique agricole. Le renchérissement des céréales sur le marché mondial, le blé et le riz, entre autres, a, tout naturellement, pavé la voie à la réapparition des cultures vivrières de subsistance. À la faveur des diktats des bailleurs de fonds, elles étaient précédemment remplacées au cours des dernières décennies, par des produits subventionnés des pays occidentaux. Plusieurs pays africains et d’autres, ailleurs, ont bien compris la leçon. Certains, comme le Sénégal, ont déjà investi beaucoup de temps et de matières grises en vue de parvenir rapidement à l’autonomie alimentaire. Plus près d’Haïti, en République Dominicaine, la leçon a déjà donné lieu à des exercices pratiques sur le plan agricole. On s’y prépare, en effet, à favoriser l’essor des cultures vivrières sachant, a priori, que l’autonomie envisagée devra l’être pour deux : pour les Dominicains d’abord, mais aussi pour les Haïtiens ensuite qui n’arrivent pas à se nourrir et qui ne font rien pour y parvenir.


Pendant ce temps, c’est l’inaction complète au pays de Toussaint-Louverture. Si les peuples ont vraiment les gouvernants qu’ils méritent comme le veut l’adage, il faut croire que les Haïtiens sont très peu méritoires. Eux qui se reconnaissent le courage d’avoir, dans des conditions historiques tout à fait uniques, obtenu l’indépendance politique de leur pays, les voilà, paradoxalement, condamnés à traîner le boulet d’une direction politique insignifiante comme pour une expiation congénitale et comme si un mauvais génie avait présidé à la naissance de la nation.


Pendant combien de temps encore le peuple haïtien va-t-il accepter de végéter et de s’enliser dans les bas-fonds de la médiocrité? Alors qu’il se voit glisser de plus en plus, dans la dégénérescence, l’impossibilité de s’arrêter sur la pente ne devient que plus évidente en prenant conscience, chaque jour davantage, qu’il est le ressortissant d’un pays dont le seul titre de gloire, depuis des lustres, est d’être le premier sur la liste des mendiants internationaux.

Marc-Léo Laroche
Sociologue
03 nov 2008

cramoel.blogspot.com

samedi, septembre 27, 2008

RESPECT DU SACRÉ ET LIBERTÉ D'EXPRESSION

 La réaction musulmane aux caricatures danoises du prophète Mahomet a fait couler beaucoup d’encre à travers le monde et a conforté l’idée, dans certains cercles occidentaux, d’une nouvelle manifestation du choc des civilisations dont faisait état Samuel Huntington. Quoi qu’il en soit des conséquences à court ou à moyen terme, « l’enjeu de cette question des caricatures, selon Bojsen et Jepsen, professeurs à l’université de Copenhague, n’est nullement celui d’une menace contre la liberté d’expression ».

 Pour ces derniers, ces caricatures « relèvent d’une entreprise de stigmatisation et de propagande xénophobe et populiste à l’encontre d’une minorité ethnique au Danemark ». Si les choses semblent claires, pour certains, et même dans le pays où la crise a pris naissance, il n’en est pas ainsi partout dans le monde. L’incident et l’interprétation qui en découle, notamment en Occident, manifestent une erreur fondamentale d’appréciation idéologique dans l’évolution des sociétés arabo-musulmanes.

été déféré au tribunal de la liberté d’expression. Perçue à peu près partout dans les sociétés démocratiques comme la seule instance compétente pour en débattre, il est loin d’être sûr qu’une telle instance soit la plus appropriée dans la conjoncture idéologico-religieuse concernée. De fait, quand on persiste à appréhender la réaction des musulmans uniquement sous l’angle de la censure ou de la liberté d’expression, on s’expose à passer à côté d’une dynamique culturelle complexe qui plonge ses racines très loin dans le temps. De plus, sans même que la décision soit toujours bien consciente, on pave la voie à un modèle de relations avec les peuples musulmans gangrenées de conflits de valeurs.

 Depuis les progrès accomplis dans le champ des sciences sociales, on se serait attendu, particulièrement en Europe, à une analyse plus fine des éléments sociologiques en cause. À moins, bien sûr, de supposer une volonté expresse de faire l’impasse sur les éléments significatifs de la réaction des musulmans. D’ailleurs, l’Occident a-t-il déjà oublié? Y a-t-il si longtemps, depuis les premiers soubresauts de la modernité quand les chrétientés occidentales s’enflammaient dans les fureurs de la censure et de l’intolérance?

 Il demeure qu’avec l’évolution de la démocratie, la liberté d’expression a gagné en profondeur et en extension. Dire qu’elle est absolue dans l’arène publique comme beaucoup de commentaires le laissent entendre, dès deux côtés de l’atlantique, serait une fausseté. La preuve en est qu’elle est souvent mise à mal même dans les états qui s’enorgueillissent d’être des modèles dans ce domaine.

On sait, par exemple, combien les médias états-uniens ont dû subir de pressions da la Maison-Blanche, durant le mandat de l’actuel président, pour s’abstenir de diffuser ou transformer des informations qui dérangent… Si la liberté d’expression demeure un idéal universel à atteindre, ce principe n’est pas toujours appliqué dans la réalité. De plus, il est souvent contingent comme référence explicative. C’est le cas aujourd’hui avec l’incident des caricatures.

Pour comprendre, en effet, la portée de cet incident qui a embrasé les peuples islamiques d’un bout à l’autre de la planète, c’est moins à la liberté d’expression ou, a contrario, à la censure qu’il faut se rapporter, qu’à la notion de Respect découlant du Sacré. C’est un truisme, aujourd’hui, de dire que la notion de respect est passéiste, voire ringard. Depuis la déconfiture des pratiques religieuses et des valeurs qui leur sont coextensives, plus personne ne se sent porté à l’obligation de respect. Toutes les valeurs se « valent » comme d’ailleurs les individus, quelle que soit l’autorité dont ils sont investis.

Si cela est vrai en Occident, il l’est moins chez les peuples arabo-musulmans où la notion de respect n’a pas encore perdu son aura et sa force d’explication. Le phénomène le plus propre à susciter le respect est le sentiment du sacré. Cette notion qui concentre la crainte, la puissance et la fascination est, selon Rudolf Otto, l’un des spécialistes de la pensée religieuse du siècle passé, « une catégorie d’interprétation et d’évaluation qui n’existe, comme telle, que dans le domaine religieux ». Elle se définit comme le sentiment qui s’attache à tout ce qui dépasse l’homme et suscite son respect et son admiration.

 À ce sujet, on a souligné avec justesse combien l’invocation du nom du prophète Mahomet suscite le respect, à cause, répétons-le, de la crainte et de la puissance qui en émanent. De peur d’être irrespectueux en nommant le prophète, le fidèle musulman joint à sa formule invocatoire une autre plutôt laudative : « que la paix soit avec lui » de façon à neutraliser les risques d’une possible irrévérence. Cela sufit pour comprendre, au regard du musulman, la dimension blasphématoire des caricatures du prophète surtout quand il est associé dans la représentation à des pratiques terroristes.

  Avec l’avènement de la modernité et, particulièrement, avec l’évolution de la démocratie, l’idée de sacré et, avec elle, celle de respect, ont connu une dévaluation considérable. La notion de sacré a implosé au profit de celle de profane en même temps que le développement du rationalisme et du matérialisme. Dans la pratique quotidienne, ce qui semble sacré aujourd’hui en Occident, ce sont, dans une large mesure, les valeurs démocratiques dont les droits de la personne, la liberté d’expression etc. Par conséquent, on ne s’étonnera pas que l’Occident veuille faire prévaloir sa notion de sacré contre celle des arabo-musulmans. Car, c’est bien de cela qu’il s’agit.

Que cette nouvelle idéologie soit désormais la seule grille permettant de décrypter les éléments de la réalité sociale, même dans des aires culturelles qui n’ont pas encore accédé à la modernité, voilà une nouvelle forme d’occidentalocentrisme qui se donne pour une référence universelle. Ce point de vue ne constitue pas une imputation causale univoque des responsabilités de la crise. Que celle-ci ait été utilisée stratégiquement par des agitateurs ou des fanatiques pour parvenir à leurs fins politiques, il s’agit là d’une hypothèse qu’il convient d’analyser et qui n’entame pas le fond de la question


Ainsi, quelle que soit l’exploitation qui en a été faite par des musulmans après l’événement, le recours systématique en Occident aux notions de censure ou de liberté d’expression pour condamner leurs réactions aux caricatures danoises n’a pas d’autre explication que celle formulée auparavant et, par conséquent, cela doit être dénoncé.

Marc-Léo Laroche
Sociologue
 15.10.05

samedi, juin 14, 2008

LE COMPLEXE DU COLONISÉ

À l’heure où les colonisateurs du vieux monde osent encore se glorifier des lumières qu’ils ont apportées aux peuples arriérés, il n’est pas saugrenu de repasser, même brièvement, sur les traces du colonisé. C’est vrai que ce dernier a hérité de quelque chose du colonisateur, mais il s’agit, en l’occurrence, d’un produit toxique à diffusion archilente qui s’appelle le complexe d’infériorité. On ne s’étonnera donc pas qu’après plus deux siècles de corps à corps avec ce travers ou ce trouble, on y revienne encore, faute de le maîtriser.

 Depuis Albert Memmi et surtout Frantz Fanon, on sait combien est étroite la voie d’ascension du colonisé. L’un des risques que court ce dernier, c’est sa propre dépersonnalisation à partir du clivage imposé dans le processus de la colonisation. Au long de son parcours, il aura introjecté bien des injonctions de sa propre négation. Comment, dans ce creuset d’oppression où le colonisateur est obligatoirement le seul référent avec tout l’attirail de sa supériorité culturelle, n’aurait-il pas développé un complexe d’infériorité?

Les lignes qui suivent se proposent d’attirer l’attention sur une problématique particulière de ce champ. Elle concerne ce qu’on pourrait appeler une fixation phénotypique accompagnée de la hantise de l’asservissement. Ces troubles sont, dans les faits, des pathologies qui naissent et se développent dans certaines structures sociales archaïques et, notamment, dans le processus de la colonisation. La fixation phénotypique se présente comme une pathologie de la perception de soi fondée sur des caractéristiques biologiques.

 Ces caractéristiques qui englobent le schéma corporel comprennent les attributs que sont la taille, la couleur de la peau, la chevelure, le nez, la bouche, les yeux etc. toute chose pouvant contribuer à donner une certaine image du sujet à ses propres yeux. L’évaluation spéculaire de ces caractéristiques a beau être subjective, elle n’est pas dépourvue de la sanction sociale. Il y a, au préalable, dans cette évaluation une intégration, voire une introjection de ce qui est valorisé ou rejeté dans la société. Cela se fait, bien entendu, en référence au système de valeurs du colonisateur ou de son équivalent social.

Qu’arrive-t-il à l’individu (ou à un groupe social) quand l’évaluation révèle une image de soi loin des normes de référence? Dans beaucoup de sociétés équilibrées, les différences ne tirent pas nécessairement à conséquence. Mais dans les contextes sociaux évoqués plus haut, en raison de la nature des enjeux et des forces en présence, les répercussions sont beaucoup plus graves sur le corps social et les individus.

 Quoi qu’il en soit, ces derniers ne commencent à intéresser le clinicien qu’à partir du moment où les préoccupations, par leur récurrence et leur systématisation, se condensent en une pathologie psychique. C’est à ce stade seulement qu’on peut parler de fixation phénotypique laquelle est fondée sur des supports plus ou moins objectifs Ce qui n'est pas le cas pour la hantise de l’asservissement qui est une donnée de la conscience, voire même de l’inconscient. Elle souligne une condition cruciale d’aliénation, de dévalorisation sociale ou de sujétion, vécue ou appréhendée, affectant des groupes sociaux ou des individus.

 Certains contextes historiques sont particulièrement fertiles en des situations de cette nature. C’est le cas, nous l’avons dit, du colonialisme et aussi des systèmes esclavagistes. Mais d’autres modèles de société produisent les mêmes effets comme l’Inde des castes, la Russie des serfs ou l’Afrique de l’apartheid etc. Dans ces sociétés, les groupes sociaux au sommet de la hiérarchie sociale s'attribuent les fonctions considérées comme nobles et les rôles sociaux très valorisés pendant que les activités serviles ou impures, avec ou sans contrainte, sont dévolues aux groupes dépenaillés à l’autre bout de l’échelle.

 Dans de telles conditions sociales, les fonctions et les comportements qui y sont attachés sont fortement connotés. Ils deviennent non seulement des marqueurs de la place occupée dans la société, mais des signes de la condition intrinsèque des individus. Que ces derniers ( ou des groupes sociaux) essaient de prendre leur distance des activités ou des conduites répulsives ou, a contrario, se réclament des modèles hautement valorisés, rien de plus normal, sauf quand le processus référentiel consiste à produire le même de l’autre à un degré impossible de mimétisme. Il s’agit d’une démarche qui, à terme, aboutit à l’échec, ce que consacre mentalement ou psychologiquement le trouble des sujets ou des groupes. Cela se traduit dans la pratique par un comportement systématique de hargne retenue et de méfiance dans les rapports sociaux considérés comme des traquenards.

À cet égard, les actions ou les abstentions du sujet ne visent pas autre chose que de montrer, consciemment ou inconsciemment, que ses comportements n’ont rien à voir avec des actes de sujétion, de soumission ou de servilité. Et pour être sûr que la preuve est faite, il prend d’emblée la place de son maître fictif ou présumé en exigeant des autres la dépendance et la servilité. La manière de procéder dépend, bien entendu, des idiosyncrasies et peut revêtir toutes les formes possibles. Pourvu, au demeurant, qu’il soit conforté dans l’idée que les autres sont à ses services et qu’il est en situation réelle ou virtuelle de domination…Ce trouble est déjà paralysant dans la vie sociale; mais, comme c’est souvent le cas, il est associé à la fixation phénotypique.

Cela donne des résultats désastreux dépendant de l’acuité de cette fixation. L’observation clinique révèle des cas d’obsession où l’individu, bien que pourvu de bons moyens intellectuels, s’avère dans l’incapacité de mener une vie sociale et familiale normale. Ses affects délétères, à force de coloniser tout son être, rendent problématiques les moindres interactions sociales. Immanquablement, l’interlocuteur est suspect de la volonté de le rabaisser. C’est la raison pour laquelle, à son avis, ce dernier fait appel à ses services, fussent-ils de l’ordre des banalités de la vie quotidienne. En raison de ses complexes et à défaut de pouvoir ressembler à l’être idéalisé, il peut en venir, selon un phénomène d’amour-haine bien connu en psychologie, à le haïr et à nier matériellement et symboliquement son existence, surtout si la dimension phénotypique est concernée.

Il va de soi que ce qui vaut pour l’individu vaut, d’une certaine manière, pour le groupe social tout entier. L’analyse clinique est riche de situations apparemment les plus saugrenues où l’individu est même incapable de dire merci le cas échéant, parce que cela le met dans une situation de dépendance qu’il abomine. Lui révéler le complexe d’infériorité à la base de son comportement le laisserait incrédule, car à force de s’entourer de gens à ses services, il finit par se voir et se savoir supérieur, certitude pour laquelle il n’est pas à court de justifications. Voilà donc pour les lumières de la colonisation dont les intellectuels du vieux monde se sont faits les hérauts au cours des dernières années. Pourtant, beaucoup de colonisés ( il s’en trouve de raisonnables!) et d’autres souffre-douleur du même acabit à travers le monde échangeraient volontiers un peu de ténèbres contre l’action délétère de leurs lumières.

 Marc L.Laroche
17.06.08

jeudi, mai 29, 2008

AUTOUR DU DÉBAT SUR LA NOTION DE REINE-NÈGRE

J’ai résisté plusieurs heures à la controverse sur la question de la reine-nègre. Finalement, c’est la tirade d’un certain député qui a eu raison de moi. S’il n’y a pas une bonne façon d’aborder ce sujet, il y a sûrement une qui me paraît la moins bonne et c’est celle, émotive, d’un député libéral.

 Précisons, pour commencer, que si le mot « nègre » est infamant pour les afro-américains en général, il ne l’a jamais été pour les Haïtiens en particulier. En créole, le mot « nèg » signifie simplement homme, qu’il soit noir, jaune, rouge ou blanc. Faut-il en chercher la cause dans le fait que les porteurs de cet attribut s’estiment l’avoir anobli en ayant vaincu Napoléon Bonaparte et la plus grande armée du monde dans la conquête de la liberté et de l’indépendance nationale?

 Si le terme nègre n’a aucune connotation négative en Haïti, cela ne signifie pas qu’il en soit toujours de même partout. Il arrive au ressortissant de ce pays, loin de sa terre natale, de voir rouge à l’entendre de certaines bouches haineuses. Il en est de même, dans un autre contexte, de l’expression péjorative de roi-nègre. La raison en est que le terme prend des acceptions différentes selon ses sphères culturelles ou linguistiques de référence. Avec certains locuteurs, son utilisation comporte une telle charge négative que cela confine à l’insulte. L’Haïtien a donc appris depuis longtemps à débusquer la haine ou l’insulte là où elles sont cachées, quels que soient les oripeaux dont elles sont affublées.

 L’expression roi-nègre ou (reine-nègre) qui prétend évoquer une figure de paille du colonisateur dans son entreprise de domination, sous-entend dans son halo sémantique autant la supériorité autoproclamée de l’homme blanc sur l’homme noir que la condescendance avec laquelle ce rapport est affirmé. Dans ce sens, elle est ontologiquement et psychologiquement condamnable et aurait dû, nécessairement, être abandonnée, depuis longtemps dans les oubliettes de l’histoire.

Que cette image d’Epinal soit ressuscitée aujourd’hui loin du contexte spatio-temporel de son apparition, il y a lieu de s’interroger sur les raisons profondes de cette occurrence. Se peut-il que l’accession de Mme Jean au poste de Gouverneure Générale du Canada ait agi sur la société comme un révélateur de pulsions endormies? Lequel de ses attributs auraient été à l’origine de cette régression? Serait-ce son statut premier d’immigrée, son appartenance ethnique ou seulement ses options politiques? Ce sont, en tout cas, des questions qui s’imposent, à l’écoute des opinions à la radio. Tel critique de l’actualité sociale et politique qui se pique généralement d’un certain équilibre perd complètement ses moyens dès qu’il est question de Mme Jean. Comme si d’être ce qu’elle est ou d’avoir revêtu la livrée fédéraliste s’apparentait à un crime contre la nation québécoise et fait d’elle une spoliatrice ou une usurpatrice vouée à la vindicte générale.

 La rançon de l’expression de certaines opinions c’est, sporadiquement, de nous révéler la vraie nature de nos sociétés. Elles se glorifient d’êtres démocratiques sans s’apercevoir qu’elles laissent encore beaucoup à désirer, à commencer par le sort qu’elles réservent à certains modèles minoritaires de comportement. 28 Mai 2008
Marc L.Laroche
Cramoel.blogspot.com