jeudi, mai 29, 2008

AUTOUR DU DÉBAT SUR LA NOTION DE REINE-NÈGRE

J’ai résisté plusieurs heures à la controverse sur la question de la reine-nègre. Finalement, c’est la tirade d’un certain député qui a eu raison de moi. S’il n’y a pas une bonne façon d’aborder ce sujet, il y a sûrement une qui me paraît la moins bonne et c’est celle, émotive, d’un député libéral.

 Précisons, pour commencer, que si le mot « nègre » est infamant pour les afro-américains en général, il ne l’a jamais été pour les Haïtiens en particulier. En créole, le mot « nèg » signifie simplement homme, qu’il soit noir, jaune, rouge ou blanc. Faut-il en chercher la cause dans le fait que les porteurs de cet attribut s’estiment l’avoir anobli en ayant vaincu Napoléon Bonaparte et la plus grande armée du monde dans la conquête de la liberté et de l’indépendance nationale?

 Si le terme nègre n’a aucune connotation négative en Haïti, cela ne signifie pas qu’il en soit toujours de même partout. Il arrive au ressortissant de ce pays, loin de sa terre natale, de voir rouge à l’entendre de certaines bouches haineuses. Il en est de même, dans un autre contexte, de l’expression péjorative de roi-nègre. La raison en est que le terme prend des acceptions différentes selon ses sphères culturelles ou linguistiques de référence. Avec certains locuteurs, son utilisation comporte une telle charge négative que cela confine à l’insulte. L’Haïtien a donc appris depuis longtemps à débusquer la haine ou l’insulte là où elles sont cachées, quels que soient les oripeaux dont elles sont affublées.

 L’expression roi-nègre ou (reine-nègre) qui prétend évoquer une figure de paille du colonisateur dans son entreprise de domination, sous-entend dans son halo sémantique autant la supériorité autoproclamée de l’homme blanc sur l’homme noir que la condescendance avec laquelle ce rapport est affirmé. Dans ce sens, elle est ontologiquement et psychologiquement condamnable et aurait dû, nécessairement, être abandonnée, depuis longtemps dans les oubliettes de l’histoire.

Que cette image d’Epinal soit ressuscitée aujourd’hui loin du contexte spatio-temporel de son apparition, il y a lieu de s’interroger sur les raisons profondes de cette occurrence. Se peut-il que l’accession de Mme Jean au poste de Gouverneure Générale du Canada ait agi sur la société comme un révélateur de pulsions endormies? Lequel de ses attributs auraient été à l’origine de cette régression? Serait-ce son statut premier d’immigrée, son appartenance ethnique ou seulement ses options politiques? Ce sont, en tout cas, des questions qui s’imposent, à l’écoute des opinions à la radio. Tel critique de l’actualité sociale et politique qui se pique généralement d’un certain équilibre perd complètement ses moyens dès qu’il est question de Mme Jean. Comme si d’être ce qu’elle est ou d’avoir revêtu la livrée fédéraliste s’apparentait à un crime contre la nation québécoise et fait d’elle une spoliatrice ou une usurpatrice vouée à la vindicte générale.

 La rançon de l’expression de certaines opinions c’est, sporadiquement, de nous révéler la vraie nature de nos sociétés. Elles se glorifient d’êtres démocratiques sans s’apercevoir qu’elles laissent encore beaucoup à désirer, à commencer par le sort qu’elles réservent à certains modèles minoritaires de comportement. 28 Mai 2008
Marc L.Laroche
Cramoel.blogspot.com