dimanche, novembre 23, 2008

LES RÉPERCUSSIONS DE L'ATTENTAT DU 11 SEPTEMBRE AUX ÉTATS-UNIS



Il en est parfois des peuples comme des individus : il leur prend souvent des événements extraordinaires pour se révéler à eux-mêmes. À l’échelle individuelle, ces événements opèrent comme de véritables catharsis permettant de ramener au jour des pans entiers d’une réalité refoulée et d’envisager des solutions pour la conduite à venir.
Il en va de même de l’attentat du 11 septembre à New-York. Les ondes de choc de cet événement n’ont pas fini de se faire sentir et, déjà, elles se répercutent dans beaucoup de domaines de la société étatsunienne. Qu’il suffise de citer , à titre d’exemple, la dynamique politique des Etats-Unis sur l’échiquier international, les problèmes de sécurité intérieure culminant en une remise en question des libertés publiques et, finalement, les répercussions sur le plan économique et financier.
Sur ces questions, on a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, il ne serait pas superflu de les reprendre, ne serait-ce que pour juger du sens de leur traitement et de la possibilité qu’elles débouchent sur une catharsis de la société étatsunienne et, ultérieurement, sur des voies de solution qui pourraient intéresser l’équilibre ou l’harmonie des nations du monde.

1- La politique internationale des États-Unis

Il est peut-être trop tôt pour caractériser la politique internationale des Etats-Unis après le 11 septembre. Néanmoins, si les priorités de la première puissance mondiale ne sont pas toutes redéfinies, elles sont, au moins, bouleversées pour céder la place à des préoccupations nouvelles qui s’articulent, pourrait-on dire, dans une direction tout à fait opposée. L’ère du gouvernement Bush est ouverte dans un isolationnisme politique arrogant. Partout où les Etats-Unis étaient confrontés à d’autres nations du monde dans des forums qui commandaient de leur part, comme à d’autres, des concessions afin de parvenir à un modus vivendi
à l’échelle planétaire, ils s’étaient retirés, faute d’arriver à faire prévaloir leur option. Depuis la chute de l’empire soviétique et, conséquemment, la fin du besoin de soigner les relations internationales, au moins, en ce qui concerne les états de la mouvance occidentale, ils en étaient venus, semble-t-il, à penser que la diplomatie de la force (politique, économique, militaire, culturelle etc.) pouvait avantageusement remplacer celle de la persuasion.
Après tout, n’est-ce pas les autres qui avaient besoin des États-Unis? À condition que les portes des marchés soient ouvertes à l’échelle de la planète pour leurs produits, bien entendu, sans contrepartie de leur part, ils n’avaient besoin de personne, ils pouvaient se suffire à eux-mêmes. C’est cette position désinvolte et arrogante qui était la leur à l’arrivée de Bush à la Maison Blanche et qui servait de fondement psychologique à la poursuite du projet de bouclier anti-missile, en dépit des désaccords de tous les états de la planète ou presque. C’est également la même position unilatéraliste qui explique leur refus de se mobiliser en vue du règlement du conflit du Moyen-Orient. Ils n’avaient cure des différentes résolutions des Nations-Unies et des vœux plusieurs fois formulés par la communauté internationale à cet égard, même quand il s’avère qu’eux seuls possèdent les clés du règlement de ce conflit.
Pourtant, sans qu’il soit permis d’inférer que les Etats-Unis ont changé quoi que ce soit dans leur projet initial, la situation politique postérieure à l’attentat du 11 septembre n’a pas moins enlevé à ce projet la première place dans les discours et même dans la réalité. Et pour cause… L’installation de ce bouclier pour parer aux agressions des missiles balistiques des États-voyous,
selon la phraséologie étatsunienne, ne les aurait pas protégés contre les attentats terroristes perpétrés à l’intérieur du territoire. Pourtant, depuis le premier du genre survenu en 1993 dans l’une des tours du World Trade Center suivi de celui d’Oklaoma City avec Thimothey Mc Veight, c’est de l’intérieur que se tramaient les principales menaces à la société étatsunienne. Les trois autres attentats, en Tanzanie, au Kenya et au Yémen n’impliquaient, de toute manière, aucune opération de missiles intercontinentaux.
Dans cette conjoncture, si l’absurdité du bouclier anti-missile ne saute pas aux yeux de tous, il n’est pas moins clair pour les observateurs avisés, que la concrétisation de ce projet n’assurerait pas, de toute façon, la pleine sécurité pour laquelle il a été conçu. C’est pourquoi, désormais, le géant a peur. Il fait l’expérience d’un sentiment qui lui était tout à fait étranger auparavant. Une expérience de vulnérabilité qui porte le président Bush à une mobilisation tous azimuts en vue de rompre son isolationnisme. Dorénavant, brisant l’unilatéralisme de ses premières manifestations de politique internationale, il croit nécessaire de convier toutes les nations du monde à une croisade contre le monstre grimaçant du terrorisme. À cette occasion, il fait état de ce qu’il appelle sa doctrine, laquelle pourrait se traduire par l’engagement des Etats-Unis à combattre partout le terrorisme ainsi que les états qui le protègent. Comme par hasard, c’est le moment qu’il choisit aussi pour faire savoir au monde et, particulièrement, aux états de la mouvance islamiste, que les Etats-Unis sont favorables à la constitution d’un état palestinien, en même temps qu’il essaie de tenir la dragée haute à Ariel Sharon, le premier ministre d’Israël. Quelle coïncidence!

2- Les problèmes de sécurité intérieure

Les Anglo-Saxons ont toujours regardé avec une pointe de condescendance les pays qui, comme la France, se sont donnés un ministre de l’intérieur. En regard des droits individuels, cette structure leur paraissait un pis-aller qui jurait avec leur sensibilité. Il en est de même de l’obligation d’avoir à détenir une carte d’identité pour circuler à travers le pays. Néanmoins, ce qui paraissait un scrupule fondé sur une haute idée des valeurs de civisme, n’a pas résisté à la chute des tours. Du jour au lendemain, ce scrupule était balancé par dessus bord, pavant la voie aux Etats-Unis, à une démarche visant des restrictions aux libertés publiques. Il en va de même de la création d’une instance politique vouée à la sécurité intérieure et équivalent, peu ou prou, au modèle français. Il ne fait pas de doute que cette instance traduit un besoin général manifeste, tant pour la coordination des agences de renseignements du gouvernement que pour répondre au sentiment d’insécurité de la population. À beaucoup d’égards, ce sentiment frise la panique ou la psychose, du moins, dans certains secteurs névralgiques de la société. Il s’agit d’un revirement diamétralement opposé à la perception de soi ou de sa société que l’homme de la rue de New-York ou de Chicago croirait, auparavant, tout à fait impossible. Car, il s’agit, ni plus ni moins, que de vivre aux Etats-Unis, sinon l’angoisse des Irakiens, du moins celle, récurrente, des Palestiniens. C’est dans ce sens que beaucoup pensent que les terroristes, quoi qu’il advienne, ont déjà gagné cette phase de la guerre contre les Etats-Unis, même si Oussama Ben Laden devait être capturé et condamné à mort.

3-Les répercussions sur le plan économique et financier

En ce qui concerne les conséquences économiques et financières, la démonstration à un premier niveau n’est pas à faire. Les observateurs de l’actualité sont bien servis par la débâcle boursière et les nombreuses compagnies de transport qui sont au bord de la faillite. De fait, sans une aide de l’état, plusieurs seraient déjà en faillite. Mais, au-delà de ces compagnies de transport particulièrement concernées, il y a toute la panoplie des entreprises qui œuvrent en amont et en aval et qui ont des ramifications à travers le monde. Sans compter des répercussions encore plus profondes et qui touchent aux orientations budgétaires des gouvernements et des entreprises afin de faire une place plus considérable aux multiples occupations nouvelles liées à la sécurité. Cela exclut des pressions économiques et financières encore plus souterraines et dont il serait hasardeux d’en parler ici avant d’en voir les manifestations dans la pratique sociale et politique. Il n’est que de penser, par exemple, aux nouvelles contraintes qui doivent accompagner le flux du numéraire pour faire échec au financement des réseaux terroristes et au blanchiment de l’argent.
Bien qu’il ne soit pas encore clair de quelle façon la politique des institutions internationales comme le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale pourraient être affectées, il ne serait pas impossible que leur programme d’ajustement structurel soit remis en question, au moins en partie, plus probablement , de manière superficielle. Par ce programme, on le sait, ces institutions interviennent dans l’économie des pays sous-développés en s’assurant souvent de la dévaluation de la monnaie, de la libération des prix, de l’austérité fiscale et des réformes structurelles vouées, notamment, à dégager des surplus au bénéfice des créanciers internationaux . Sous les oripeaux idéologiques dont se parent ces institutions, elles constituent, ironiquement, les moyens les plus sûrs pour assurer l’appauvrissement accéléré des pays pauvres, drainant dans leurs opérations le plus clair de leurs ressources disponibles. Car les surplus dégagés se font souvent au détriment des programmes de santé ou d’alphabétisation de ces pays et servent, dans la plupart des cas, à rembourser les intérêts sur les dettes dans les pays riches, particulièrement aux Etats-Unis. Il est significatif de mentionner que depuis près de vingt ans, les pays sous-développés sont devenus, par les bons offices du FMI et de la BM, " des fournisseurs nets de capitaux des pays de l’O.C.D.E. Cela veut dire que dans ces pays, les sommes affectées au service de la dette, donc qui sortent de ces pays, dépassent, en terme absolu, celles qui entrent, que ce soit sous forme d’aide internationale, d’investissements étrangers ou de prêts ".Pourtant, c’est sans compter une tare immanente à la structure de ces pays et qui en compromet absolument le développement. Il s’agit de l’échange inégal et de la détérioration régulière des termes de cet échange qui garantissent, en corollaire, la régularité de la paupérisation de ces pays d’un côté, et l’accumulation du capital de l’autre côté.
Dans cet ordre d’idées, il ne serait pas impossible que la mondialisation telle que modelée par les grands bénéficiaires de l’OMC soit redéfinie pour jeter du lest sur certaines contraintes jugées trop irritantes par les pays pauvres. Car, en dépit d’une phraséologie qui occulte les véritables finalités de cette opération planétaire, on n’a guère besoin d’être expert pour savoir que ce n’est ni au Bengladesh, ni au Sierra Leone ou en Bolivie que cela profiterait. Comme dans les opérations du FMI ou de la BM, celles réalisées dans le cadre de l’OMC permettraient aux pays de l’OCDE, dont les Etats-Unis surtout, de consolider leur hégémonie multiforme sur la planète en accélérant leur emprise sur les ressources et les mécanismes de production de ces ressources.
À cet égard, l’expérience de Seattle est très éclairante. Alors que les pays sous-développés sont majoritaires, au forum de l’OMC, ils n’arrivaient pas à obtenir que les problèmes structurels qui compromettent leur développement soient débattus et fassent partie de l’accord éventuel. Les seuls éléments qui intéressaient les pays riches, c’était d’y voir la consécration de leur mainmise sur l’économie de ces pays. À preuve, les principaux points à l’ordre du jour de ce forum ne concernaient pas autre chose que la réduction des barrières tarifaires, les investissements, la propriété intellectuelle etc. toute chose qui n’intéresse au premier chef que les pays riches.
Loin de nous, néanmoins, l’idée que l’événement du 11 septembre à New-York pourrait apporter des changements dans la rigueur du capitalisme. En fait, nous ne le croyons pas du tout. Devant les ressentiments d’une grande partie de la planète et l’événement tragique qui les symbolise, nous croyons plutôt, en réaction, à un marketing du capitalisme aux Etats-Unis qui laissera nécessairement intact ce qui est essentiel pour les intérêts de ce pays. Sans vouloir donner aux terroristes le sentiment qu’ils ont gagné la première phase de la guerre, les Etats-Unis voudront faire savoir au monde que des choses substantielles ont changé chez eux. Mais le peuvent-ils et dans quel sens?

4-Changement à faire dans l’image des Etats-Unis

Il est assez curieux de voir les questions que les gens se posent aux Etats-Unis sur leur image vis-à-vis de leurs détracteurs. D’après l’agence Ganett news service tel que rapporté dans la Presse
du 22 octobre 2001, la question que se pose Henry Hyde, président du comité de la chambre sur les relations internationales est, à cet égard, édifiante : " Comment se peut-il que le pays qui a inventé Holywood et Madison Avenue ait tant de difficulté à promouvoir une image positive d’elle-même à l’étranger? " La réponse à cette même question posée à Rob Frankel, un spécialiste aux Etats-Unis de la communication consisterait tout bonnement en un exercice de publicité. " C’est une question de mise en valeur d’une marque tout simplement, dit-il. Les pays ne sont guère différents des savons et des automobiles " Le même article met en relief différentes stratégies publicitaires visant à améliorer l’image des Etats-Unis, mais rien qui s’apparente vraiment à une analyse profonde des comportements dans ce pays, pas plus qu’une analyse structurelle à la base des comportements des autres à leur égard.
Même quand on croit les gens sur la bonne voie, après l’attentat, avec des questions comme celle-ci : " pourquoi ont-ils tant de haine à notre endroit? ", on constate cependant qu’ils ne vont jamais au bout de la logique de l’interrogation. Cela devrait les porter à s’analyser et, encore plus, à faire l’examen des problèmes sociaux, économiques et géopolitiques résultant de leurs relations internationales. Mais, ils s’interdisent, tout bonnement, d’aller si loin dans leur questionnement. Cette incapacité de leur part n’est finalement pas surprenante. Ayant pris l’habitude de dicter au monde ses comportements, ils ont davantage le réflexe de l’arrogance que celui de l’introspection.
Mais, ce qui est stupéfiant, ce n’est pas tant l’incapacité des gens de ce pays à se mettre en perspective. On connaît leur faiblesse à cet égard depuis longtemps. La surprise, c’est de voir les thuriféraires, voire les adorateurs de la société étatsunienne, en Amérique comme ailleurs dans le monde, abdiquer à ce point leur sens critique qu’ils vitupèrent ceux qui essaient de comprendre les causes sous-jacentes de l’explosion de haine que l’on connaît. Pour ceux-là, sont réputés détracteurs des États-Unis tous ceux qui, au lieu de se complaire en hommages laudatifs et compatissants à la suite de l’épreuve, s’adonnent à l’exercice de la réflexion sur les déterminants de l’événement du 11 septembre, craignant sûrement le risque de voir découvrir dans les placards, des squelettes qui dépareraient leur auréole. Et ce n’est pas la moindre des surprises, à l’occasion de cet événement, que de se rendre compte du large éventail des opinions, au point d’inclure ceux-là mêmes qui croient nécessaire de s’abstenir de mettre en cause les Etats-Unis sous quelque motif que ce soit.

5- Les perspectives d’avenir

A partir de ce qui précède, les perspectives d’avenir sont loin d’être optimistes. Si le processus de catharsis de la société étatsunienne était effectif et s’il pouvait parvenir à son terme, incluant une analyse des comportements des uns en relation avec les causes des ressentiments des autres, il y aurait des raisons d’espérer. Même si l’élucidation des problèmes refoulés ou méconnus, n’aurait pas, ipso facto,
peermis la transformation des structures d’échanges entre les Etats-Unis et leurs détracteurs, il y aurait quand même lieu de penser que le temps pourrait avoir un effet favorable sur les rapprochements nécessaires. Mais, on peut douter que la catharsis et les décisions qui en découleraient soient possibles. Malgré les chambardements sur le plan de la psychologie collective aux Etats-Unis et les efforts publicitaires que les responsables politiques voudront consentir pour changer l’image de marque du pays à l’étranger, il est loin d’être acquis qu’un artifice de maquillage, si parfait soit-il, puisse suffire à opérer les changements qu’impose la crise des relations internationales.
Ce 26 octobre 2001
Marc L.Laroche