jeudi, juillet 22, 2010

HAITI: LA COLÈRE ET LA HONTE COMME EFFETS PATRIOTIQUES

Dans sa chronique au journal Le Devoir du 17 juillet courant, Mme Lise Payette, ex-ministre des institutions financières du premier gouvernement de René Lévesque au Québec posait la question suivante : Avez-vous honte parfois? Et elle justifiait ce sentiment, en ce qui la concerne, par la situation d’Haïti depuis le séisme du 12 janvier 2010.

« … on a cru pendant quelques semaines, dit-elle, que le monde entier allait se solidariser au-delà des différences et venir en aide à ce peuple qui agonise depuis si longtemps. Les promesses sont venues de partout. Des chiffres ont été avancés. Des centaines de millions ont été promis. On allait remettre ce pays sur pied et donner à ces humains, enfin, les moyens de leur dignité… Six mois plus tard, on constate que l’argent promis n’est pas venu, que le ramassage n’est débris n’est pas fait…Ma honte, dit-elle, est proportionnelle au gâchis que vit Haïti … »

Sur cette question, ils sont nombreux les Haïtiens de la diaspora à être animés du même sentiment. Peut-être pas pour les mêmes raisons.

Si le sentiment de Mme Payette vient du fait que la montagne de solidarité des lendemains du séisme qui a été l’occasion d’un rare battage médiatique planétaire pour une cause semblable, semble avoir accouché d’une souris, la honte des Haïtiens est d’une autre nature. Antérieure au séisme et plusieurs fois amplifiée par les séquelles de la dévastation, elle découle davantage du tableau affligeant offert au monde par les instances suprêmes du pouvoir en Haïti. Jamais n’y avait-on assisté à un tel spectacle d’inertie ou d’inconscience généralisée.

De l’Europe à l’Amérique, les Haïtiens carburent à la colère et à la honte. Ils sont acculés à ces sentiments, parce que ce sont les seuls qui fassent écho à la fougue patriotique de leur seize ans quand La Dessalinienne avait encore un sens ou que le chant Fière Haïti, qu’ils entonnaient lors d’activités de groupe, soulevait leur enthousiasme d’étudiants dans l’orgueil d’un passé glorieux.

Ils sont fatigués d’avoir à justifier par les vicissitudes de l’histoire la médiocrité de la gouvernance haïtienne. La tarte à la crème argumentaire utilisée en l’occurrence, auprès des étrangers, si elle est explicative dans une certaine mesure, ne saurait l’être qu’en partie. Nonobstant le fait que ce qui est glorieux chez l’Haïtien appartient à son histoire, en faire le référentiel obligé et absolu reviendrait donc à l’y dissoudre. Pour affronter les défis d’aujourd’hui, il importe qu’il soit capable d’en sortir pour accomplir son propre dépassement. C’est à cette condition qu’il pourra, à la lumière des changements planétaires, forger son destin et créer de nouveaux paradigmes plus propres à dynamiser son action sur la nature et à rendre compte de son développement comme peuple. Depuis que Joseph de Maistre a énoncé cette maxime qui veut que « toute question sur la nature de l’homme doit se résoudre par l’histoire », les sciences humaines ont fait des bonds prodigieux en montrant que la détermination historique, qu’elle soit géographique, culturelle, écologique ou autre, peut être neutralisée par l’acteur social lui-même en accomplissant un surgissement décisionnel dans l’histoire. Elles ont montré que l’homme est habité par un pouvoir de rupture par rapport à lui-même et par rapport au contexte sociologique pour créer et opérer les transformations nécessaires à sa psyché comme à son milieu.

Il est vrai que le comportement de beaucoup de nos gouvernants aurait tendance à justifier une vision pessimiste de la nation haïtienne. Mais l’histoire est aussi là, paradoxalement, pour établir la preuve que cette nation a des ressorts bien trempés qui l’habiliteraient éventuellement à inverser le cours des choses. D’ailleurs, le fait que son pessimisme n’échappe pas à sa propre objectivation de lui-même, comporte des garanties positives pour l’avenir. Cette expérience doit être le point de départ d’une réaction qui gagnerait à s’actualiser, dès aujourd’hui, dans des productions multiformes, que ce soit dans les oeuvres matérielles, artistiques ou d’autres de nature intangible, comme celles reliées à la culture, l’organisation ou celles dérivant d’une élaboration plus proprement intellectuelle.

Les étrangers ne sont d’ailleurs pas dupes de notre réflexe argumentaire. Certains sourires narquois en disent parfois long sur les prétentions de l’interlocuteur haïtien. D’autres moins diplomatiques énoncent parfois brutalement ce qui leur paraît être la cause fondamentale de la léthargie ou de la régression du pays : la corruption et l’incapacité des Haïtiens à organiser le pays, frôlant le plus souvent l’argument ontologique, voire tout bonnement génétique, mettant en question la capacité intrinsèque des Haïtiens eux-mêmes. On les voit venir assez vite quand leur discours également tarte à la crème, se borne à évoquer un système de comparaison avec la situation prévalant en République Dominicaine ainsi que le montre, par exemple, Jared Diamond dans De l’inégalité parmi les sociétés

Il n’empêche que les Haïtiens sont habités continuellement par la honte et la colère. Sans vivre les sentiments aussi profondément que ce syndicaliste qui, pour se démarquer dans son milieu de travail aux États-Unis, de la teigne morale et psychologique dont s’imprègne la figure de l’homme haïtien, a apostasié son identité au profit de celle d’un autre antillais, il convient, néanmoins, de tenir compte de l’inconfort moral d’un nombre important d’entre eux.

Ils ont honte et en colère de la régression considérable que le pays a connue au cours des cinquante dernières années et qui s’est accélérée paradoxalement après le régime des Duvalier dans une danse macabre de Saint-Guy sur le mode ôte-toi que je m’y mette, sans rien apporter de valable et avec la volonté de tout prendre.

Ils ont honte et en colère de voir se dilapider le capital de dignité de la population haïtienne et de la voir maintenant réduite à la mendicité internationale.

Ils ont honte et en colère de voir se cristalliser partout dans le monde une image caricaturale de médiocrité de l’homme haïtien, incapable de concevoir et de mettre au point un plan d’organisation crédible du pays, pas plus que l’orchestration, aujourd’hui, au-delà du discours, de sa reconstruction après le séisme.

Ils ont honte et en colère de voir que loin de travailler à soulager la souffrance des centaines de milliers de gens dans la boue, sous les tentes, ce qui semble prioritaire pour certains fondés de pouvoir du peuple, c’est le positionnement de leurs réseaux d’amis et de partisans dans l’appareil d’état et en dehors, de façon à maximiser à leur profit, les retombées de la manne virtuelle des millions qui doit pleuvoir sur le pays.

Ils ont honte et en colère du fait que pour beaucoup de gens de la clique, la reconstruction est d’abord perçue comme une opportunité d’enrichissementpersonnel. Plusieurs réagissent avec cynisme aux revendications populaires de même qu’à celles des sinistrés croupissant dans la misère et le désarroi. Ils se pourlèchent les babines en attendant les occasions favorables.

Mais les Haïtiens doivent apprendre que les changements qu’ils appellent de tous leurs vœux ne viendront pas du seul fait des sentiments qui les habitent. La honte et la colère doivent opérer leur transmutation en des pulsions pour l’action. Ils doivent s’en servir comme tremplin pour avancer, c’est-à-dire, sélectionner les forteresses à culbuter, les pics à escalader, les terrassements à effectuer pour que le fétichisme électoral qui tient lieu de démocratie, puisse céder la place à une vraie démocratie de participation. Ils doivent sans cesse convoquer leur honte et leur colère à la définition du génie haïtien et des enjeux de l’action à entreprendre afin de baliser la route de l’avenir à tous les points de vue dont, entre autres : une société vraiment égalitaire, un système politique essentiellement démocratique, la mise en œuvre d’une éthique de la responsabilité à tous les niveaux et un grand respect de l’environnement.

Marc.L Laroche

Sociologue

20 juillet 2010

www.cramoel.blogspot.com

À LA RECHERCHE DU SENS

À lire tout ce qui a été écrit en marge des différents sommets autour des échanges sur la libéralisation du commerce (OMC, AMI, ALENA, ASIE-PACIFIQUE, SOMMET des AMÉRIQUES etc.) on est confondu de constater l’incapacité des commentateurs des scènes politiques et sociales à s’élever à la hauteur de vues nécessaire pour comprendre le comportement des opposants à ces événements.

S’il est juriste, criminologue ou policier, ce commentateur se borne à rapporter ces comportements aux balises juridiques définies dans les différents codes de lois pour les vitupérer de façon générale et plus rarement pour les excuser ou les justifier.

S’il est psychologue ou psycho-sociologue, il pourra difficilement s’abstraire des éléments de la psyché individuelle ou de la conscience collective et s’abstenir de faire état des « pulsions agressives » pour expliquer tel ou tel comportement des acteurs concernés.

Mais si par malchance on tombe sur un théoricien de la doctrine néo-libérale qui fait du « marché » la voie royale de l’épanouissement de l’homme, on a l’occasion de voir accoucher beaucoup d’inepties sur ces opposants et sur le fonctionnement de la société.

Bien entendu, les journalistes se font rarement remarquer dans ce concert par une réflexion profonde. On peut leur trouver des circonstances atténuantes, vu qu’ils n’ont pas souvent le recul suffisant pour mettre en perspective les faits dont ils doivent rendre compte quotidiennement.

Les seuls qui pourraient s’élever à la hauteur nécessaire pour comprendre et expliquer ces phénomènes e, surtout, frayer un chemin dans la confusion des valeurs qui accable les sociétés, ce sont des philosophes ; or, ils sont aussi rares dans les médias que les aurores boréales sous les tropiques

Pourtant, ce n’est pas le besoin qui manque d’expliquer les enjeux économiques et sociaux auxquels l’humanité doit faire face. Il y a actuellement une crise de la planète Terre et peu de gens en sont conscients .Parmi ces derniers, il s’en trouve pourtant qui choisissent sciemment de subordonner les préoccupations relatives à la planète à leurs intérêts financiers à court terme.

En attendant, les sociétés sont livrées pieds et poings liés à des épiciers de tout acabit qui n’hésitent pas à mettre sur un plateau de la balance, la destruction de l’environnement et, à terme, celle de la planète, et de l’autre, la libéralisation du commerce et l’accumulation des dollars dans leur compte de banque. Et il faudrait laisser faire…, compter sur ces épiciers pour gérer la crise la plus grave que confronte l’humanité!

Dans ce désert de la réflexion, les gens de toute appartenance qui sont capables de prendre des risques (risques d’être blessés, gazés, d’avoir un dossier criminel ou même de perdre la vie) contre le rouleau compresseur de l’uniformisation et forcer à la réflexion, ont droit à l’admiration. Et ce ne sont pas quelques « casseurs » se faufilant parmi eux et, de toute façon, non-significatifs statistiquement, qui devraient amoindrir cette admiration, malgré l’amalgame que font les défenseurs de la pensée unique pour diaboliser tout le mouvement d’opposition.

Contrairement à ce que croit le Premier ministre du Canada, ce ne sont pas les élus du peuple qui peuvent apporter une contribution significative au développement social et humain. Les changements opérés à leur niveau sont souvent bien minimes et n’ont généralement aucune portée sur le plan des valeurs. Or, tout vrai changement au plan humain se mesure à l’aune des valeurs. À cet égard, seules de rares personnes dans l’histoire des sociétés peuvent être comptables de tels changements. En général, elles ont ceci en commun qu’elles n’ont jamais appartenu aux sphères de l’État.

S’il fallait attendre, par exemple, que les interrogations légitimes concernant les OGM viennent des députés, cela fait longtemps que le Canada serait couvert d’un océan à l’autre de plantes génétiquement modifiées. Il en est de même de toutes les substances chimiques qui rentrent dans l’alimentation des animaux avec la bénédiction de Santé-Canada. N’était-ce des cris venant d’un peu partout en dehors de la sphère de l’État, il n’y aurait aucun questionnement sur des pratiques qui ne sont fondées que sur une conception fausse de la rentabilité et donc, à l’encontre des vraies valeurs.

Il n’y a pas de doute, pour passer à travers la crise, les sociétés auraient besoin de moins d’épiciers de toute provenance, moins de policiers, moins de courtiers en finance et beaucoup plus de philosophes qui soient capables de s’abstraire des contingences, fussent-elles institutionnelles, pour retrouver les valeurs en cause dans les débats et interpréter les événements.

Le jour où cela se vérifiera, il y a des probabilités que les défenseurs de l’environnement, de la production alimentaire naturelle, de la culture etc. qui se retrouvent dans le réflexe anti-mondialisation des manifestants lors des événements cités plus haut, soient vus pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire, non pas à l’instar des bandits comme se plaisent à les voir les agents du pouvoir, mais comme les révélateurs de la situation épouvantable de la planète, tout en signalant la nécessité d’opérer un changement draconien dans l’ordre des valeurs, afin de parvenir à la transformation souhaitée des sociétés.

Marc-Léo Laroche

15 mai 2001

www.cramoel,blogspot.com