dimanche, octobre 03, 2010

UN CAS D'INEPTIE ADMINISTRATIVE: LA PRODUCTION DU CAFÉ EN HAÏTI

Récemment, dans un article paru dans Le Nouvelliste[i], j’ai eu à faire mention de la condition difficile de la paysannerie haïtienne à travers l’histoire, en raison de son continuel abandon par les pouvoirs publics. Les répercussions désastreuses de ce retrait politique sur la condition paysanne peuvent être attestées par tous les marqueurs sociaux de la précarité caractérisant le mode de vie rural.

En raison du rôle important qu’a joué le café dans l’évolution du pays en général et dans celle de la paysannerie en particulier, il n’est pas inopportun d’observer le comportement singulier des pouvoirs publics en regard du processus laborieux de cette production.

Comme indiqué antérieurement dans le texte déjà signalé, c’est, d’une certaine manière, la production caféière qui a sonné le glas de la production sucrière, dans la mesure où cette denrée, cultivée partout dans l’arrière-pays depuis le XVIIIème siècle, a monopolisé les bras que requéraient, au début du XIXème siècle, les installations sucrières héritées de la période coloniale. On connait la cause de cette situation : au lendemain de la libération des esclaves, les nouveaux libres n’avaient rien de plus urgent que de fuir les plantations agro-industrielles des plaines où sévissait la rigueur du caporalisme agraire qui leur rappelait le régime esclavagiste. De sorte que, dès cette époque, le café qui commande, comme production, moins d’investissement de temps de travail que les autres types de production, a été leur culture de prédilection dans les mornes, avant de ravir la première place comme ressource d’exportation. Par la suite, malgré la volonté de rentabiliser certaines industries antérieurement prépondérantes comme le sucre, l’indigo, le coton etc. les tentatives de l’État, à cet égard, n’ont pas été couronnées de succès.

C’est ainsi que le café allait devenir, pendant une période de 150 ans environ, la colonne vertébrale économique du pays. De la fin du XIXème siècle au premier quart du XXème siècle, Haïti a exporté une moyenne annuelle approximative de 32millions de kg de café. À compter du premier quart du XXème siècle jusqu’au milieu des années soixante, la moyenne annuelle a connu une baisse de 6 millions de kg environ passant à 26millions 5; cette chute s’est accélérée, tombant à 16 millions de kg, à compter du dernier tiers du XXème siècle. Pourtant, cette donnée moyenne ne rend pas justice de la réelle situation au cours des dernières années, car elle cache une baisse tendancielle qui s’est affirmée de plus en plus, puisque la production moyenne par année, de 1990 à l’an 2000 concernant les onze années impliquées, s’est affaissée à 984mille kg.

L’explication de cette situation dépend de plusieurs facteurs dont les principaux sont, d’une part, le désabusement des paysans-producteurs en raison de la chute des prix de la ressource sur le marché international. Moyennant quoi, les plantations de caféiers se voyaient, peu à peu remplacer, dans certaines régions, par des productions plus rentables. D’autre part, le recul de la ressource sur le marché de l’exportation en raison du délabrement des plantations dû à leur vieillissement et à l’érosion quand ce n’est pas certaines maladies propres aux arbres fruitiers. Enfin une troisième explication de la situation réside dans les nouvelles dispositions prises eu égard à la commercialisation du produit. En effet, il semble qu’une partie du café destiné à l’exportation ait pris, depuis quelques années, les chemins de la République Dominicaine sans que la transaction ait été préalablement enregistrée et donc, sans aucun bénéfice fiscal pour le pays. On se rend compte à quel point la situation actuelle laisse place à l’organisation et à la réglementation et combien l’inertie étatique s’avère éloquente!

Devant une telle situation et à cause de la place occupée par la ressource dans la balance des paiements du pays, depuis très longtemps, le tintement d’une sonnette d’alarme aurait dû se faire entendre aux oreilles du pouvoir. En effet, en dépit de la faiblesse de la production haïtienne de cette ressource, on peut imaginer que tout État se trouvant dans les mêmes situations se serait doté d’un centre de recherches sur le café permettant de maîtriser les facteurs susceptibles d’influencer sa production et d’augmenter son attrait sur le marché international.

Un tel centre se serait préoccupé de connaître le climat qui convient le mieux au développement de la ressource, la qualité des sols qui se prêtent davantage à cette culture, les causes de la destruction de certaines caféières (ancienneté, appauvrissement du sol, ravages d’insectes etc.) les espèces les plus appropriées aux latitudes, aux niches écologiques et aux conditionnement des sols et, bien entendu, les moyens agronomiques ( physiques, chimiques, biologiques y compris les travaux agricoles) que requiert le dynamisme des exploitations caféières en vue d’une performance optimale.

En conséquence, des solutions appropriées auraient pu être prises comme la chasse aux insectes ravageurs, la régénération des plantations, la fertilisation des sols etc. Mais, les pouvoirs publics n’ont jamais cherché à savoir les causes de la détérioration de la production pas plus qu’ils n’ont contribué, d’une quelconque façon, à des solutions circonstancielles. Ils sont heureux d’avoir les devises que procure le commerce du café sans jamais apporter d’aide aux paysans, qu’elle soit technique, scientifique, fiscale ou autre.

Il en est de même de l’aspect marketing du produit. Cela suppose, pour commencer, une réglementation relative au traitement de la production vouée au marché international et, bien entendu, un contrôle de la qualité qui se doit d’être contraignant pour l’intégrité du produit. Or, il semble que beaucoup de livraisons sur le marché international laissaient à désirer en regard de plusieurs dimensions de la qualité, même si les Haïtiens se targuent, depuis toujours, de produire le meilleur café du monde. Le mythe a la vie dure même après le déclassement du café haïtien, auprès de plusieurs officines d’importation. Il serait intéressant de savoir si l’Institut national du café haïtien (INCAH) est perméable à ces préoccupations et a déjà pris les mesures de redressement nécessaires.

Bien que le prix du café sur le marché international soit une donnée importante. En regard, toutefois, de notre réflexion sur le sujet, cette préoccupation est plutôt mineure. De toute manière, étant donné la faiblesse de la production haïtienne, c’est un secteur sur lequel les pouvoirs publics n’ont aucun contrôle. D’ailleurs, même le processus de la production et du traitement du produit sur lequel ils devraient avoir prise, leur a toujours échappé, soit en raison de leur indifférence à l’égard des paysans-producteurs, soit plus probablement, par ineptie administrative. De sorte que, de tout temps, la production caféière, principal facteur de l’entrée des devises au pays, a été régie par la force d’inertie.

Qu’aujourd’hui, certains secteurs paysans veuillent prendre la situation en main en s’organisant en coopérative de production ou de toute autre manière, pour remonter le courant, voilà qui devrait susciter l’encouragement, voire l’aide des pouvoirs publics. Pourtant, en dépit d’une orientation que salue le bon sens, il n’est pas sûr qu’elle soit toujours partagée au niveau où se prennent les décisions de manière à susciter l’aiguillon administratif nécessaire. L’indifférence à l’égard de la paysannerie est tellement forte qu’on oublie aisément qu’elle est un des principaux moteurs de l’évolution du pays, ne serait-ce que par son rôle d’approvisionnement alimentaire des villes. De sorte que toute politique dont elle pourrait être la cible spécifique est considérée a priori comme une perte de temps.

Marc-Léo Laroche

Sociologue

2 octobre2010

www.cramoel.blogspot.com



[i] Marc-Léo Laroche : La paysannerie haïtienne: produit imprévisible d’un militarisme agraire, Le Nouvelliste, 18.08.10