mercredi, octobre 21, 2015

L'ARGENT COMME DANGER





On accepte généralement l'idée que les gens sont plus heureux dans les pays riches. L'inverse est aussi acceptée comme une évidence. Depuis l'antiquité, on n'a cessé, dans toutes les sociétés, d'associer l'argent au bonheur comme s'il suffisait d'en avoir pour qu'on soit heureux. Sans avoir fait le tour de la question, on croit pouvoir affirmer, en effet, qu'il y a beaucoup plus d'arguments en faveur de ce lien que le contraire. Aujourd'hui encore, on apprend que 74% de français ayant un haut niveau de salaire (plus de 3500 Euro mensuellement) s'estiment heureux alors que seuls 38% d'entre eux le sont avec un salaire de moins de 1500Euro. Les études faites aux U.S.A ou ailleurs vont dans le même sens.

Cette perception de l'argent comme symbole du bonheur qui a titillé la plupart des analystes du fonctionnement des sociétés semble avoir occulté l'observation d'autres attributs de l'argent, en l'occurrence, comme danger pour l'individu et la société.


Il tombe sous les sens que l'argent est indispensable à un certain bien-être. Sans aller jusqu'à en définir la quantité, laquelle peut varier selon les cultures ou les classes sociales, on peut convenir que l'idéal du bien-être devrait être atteint avec la satisfaction des besoins primaires et secondaires. Par besoins primaires, on entend tous les besoins qu'il faut satisfaire pour vivre et besoins secondaires, ceux relatifs à l'éducation, à la culture et aux loisirs. Angus Deaton, prix Nobel d'économie 2015 semble fixer le montant correspondant à la satisfaction de ces besoins à $75.000.00 US. On imagine qu'il s'agit d'un revenu individuel exempt d'impôts. L'économiste Daniel Cohen1, dans une étude en rapport avec l'économie du bien-être, fait le commentaire suivant :''La France est deux fois plus riche qu'il y a cinquante ans, mais elle n'est pas plus heureuse. La recherche du bonheur dans les sociétés modernes bute sur un obstacle simple et fondamental : les besoins sont toujours relatifs''.


Par conséquent, il est important que la question du montant nécessaire au bien-être demeure ouverte. Néanmoins,on peut facilement tomber d'accord sur le fait que tous les hommes devraient disposer des capacités financières requises à la satisfaction de ces deux types de besoins. Dans ce scénario, nulle part l'argent n'apparaît comme un danger. Cela commence à se vérifier, cependant, quand les revenus disponibles vont au-delà de ce qui est nécessaire aux obligations primaires et secondaires et dont l'utilisation peut être faite à d'autres fins que les besoins mentionnés. La prise en compte de cette situation, pour bien en comprendre les effets, requiert la présence d'un certain nombre de conditions en regard de la seule variable à considérer dans les circonstances, soit l'acteur social reconnu, par hypothèse, comme ayant une aisance financière au-dessus de la moyenne.


Sous la figure de cet acteur social, de quel individu parle-t-on? S'agit-il de quelqu'un de structuré intellectuellement et moralement ou à l'inverse de quelqu'un de fruste et d'arriéré perdu dans un univers de préjugés? L'argent, chez lui, intervient-il comme un des moyens dans les attributs de sa personnalité ou est-ce plutôt la pièce maîtresse de cette personnalité? Est-il capable de rester froid dans la possession de valeurs ou est-il plutôt porté à perdre sa lucidité? Peut-il envisager des projets altruistes ou est-il exclusivement égocentrique dans ses projets et ses actions? Son rapport à l'argent l'est-il en fonction de son atavisme familial? Quelle est la nature de cet atavisme? A-t-il tendance à utiliser l'argent surtout comme tremplin pour briller? Sur le plan social et politique est-il porté à s'en servir pour s'acheter, selon les cas, des privilèges ou des suffrages? Est-il du genre suffisant et hautain et fondé à croire que tout est achetable? Lequel des syndromes – celui du généreux, du parvenu ou de l'avare-- traduit mieux son comportement ? Cette liste est loin de tarir la source de toutes les questions envisageables dans la situation.


Néanmoins, la réponse à ces questions permet déjà de mettre au point le cadre d' une typologie des individus dans leur rapport avec l'argent. Cela peut aller du comportement le plus inexpressif jusqu'au comportement le plus significatif ou le plus extrême. Parmi les cas les plus extrêmes, à un pôle de cette typologie, on peut citer le cas de gens exceptionnellement généreux dépensant une partie importante de leurs revenus pour le bien de leurs semblables, que ce soit dans le cadre de fondations contre la pauvreté ou favorisant la recherche pour endiguer le développement de certaines maladies. On les rencontre également dans des programmes de mécénat en faveur des artistes ou d'autre groupes de gens dans la société.

À l'autre pôle de cette typologie, on peut citer des gens qui pour n'être pas toujours perçus comme des voleurs ou des escrocs ne sont pas moins dotés d'une forte capacité de nuisance pour les autres et parfois pour eux-mêmes. Ils foncent sans se soucier de ceux qu'ils écrasent de leur pouvoir financier. Pour se donner bonne conscience, ils accusent tous ceux qu'ils piétinent (surtout les pauvres) de fainéantise et de paresse etc. Dans les cas de litiges nécessitant l'intervention des tribunaux, ils savent comment utiliser l'appareil de justice à leurs fins pour anéantir l'adversaire et le ruiner.


Sur le plan de l'action sociale et politique, l'enjeu est d'abord pour eux dans la manière d'utiliser leur capacité financière afin de l'emporter sur les autres. Dans ce sens, la corruption leur est un atout capital en vue du succès en intervenant à tous les maillons de la chaîne sociale, depuis le niveau, par exemple, des simples votants jusqu'aux appareils administratifs ou institutionnels garants de la démocratie.

Dans la plupart des sociétés, les groupes de privilégiés ou ce qu'on appelle souvent les élites par incorrection ou détournement de sens sont infestés de ces gens qui, sous une apparence qui peut parfois leurrer, sont toujours à l'affût des occasions où ils peuvent faire main-basse sur les rênes du pouvoir par la corruption et tous les procédés de même acabit. Il va de soi que dans ces cas de figure, l'argent, fondement de ce pouvoir qui permet le contrôle sur les différents rouages de la gouvernance devient un danger pour la société dans tout son fonctionnement quand il ne l'est pas pour l'individu lui-même.

Marc L.Laroche

!5 oct 2015

1Daniel Cohen: Homo economicus et Le monde est clos et le désir infini, Editions Albin Michel.

mardi, septembre 29, 2015

DANS LE SILLAGE DE MÉTASPORA


Métaspora, roman de Joël des Rosiers, a paru en 2013. Je crois qu'on n'en a pas entendu parler comme on aurait dû. Cela tient peut-être au fait que sa lecture laisse un certain malaise imputable à un des aspects de son contenu. Il n'est pas exagéré d'affirmer en effet qu'un bon tiers de l'ouvrage traite d'éléments biographiques. Néanmoins, une fois dépouillé des guipures hagiographiques ou de ce que certains appellent ''l'effet reposoir2'', on se retrouve devant une œuvre littéraire qui s'apprécie comme un essai important, autant par les intuitions originales de l'auteur sur les modes d'existence des exilés ou des itinérants de tout poil, que par ses exercices d'illustration conceptuelle.


À cet égard, l'érudition de l'auteur a conduit ce dernier à une plongée exploratoire à travers les arts, la littérature, le cinéma etc. et a joué un rôle de catalyseur dans ses recherches. Elle lui a permis de mettre en relation des phénomènes qui, de prime abord, existent dans des univers totalement différents ou opposés et dont seule l'imagination, en vertu d'une esthétique à définir, donne la possibilité d'en envisager la rencontre. Qu'y a-t-il de commun entre Le Procès de Kafka et les chansons de Wiclef Jean? Et, dans un cadre en dehors de l'ouvrage, entre par exemple, l'aventure de Jean-Claude Charles, écrivain à Paris, et celle d'un coupeur de cannes en République Dominicaine? Il y a donc au fondement du concept néologique de métaspora une esthétique de la dérive ou de l'exil sur les ruines du champ de la diaspora.


Formée de deux éléments, Méta étymologiquement qui dépasse ou englobe et Spore, organe reproducteur végétal qui dissémine sa semence dans toutes les directions, la métaspora comme concept analytique de l'aventure spatio-temporelle des humains sur la planète, se veut une appropriation universelle des situations liées aux dérives des populations et des individus au cours de leur pérégrination afin de les rendre signifiantes.


''La diaspora, dit l'auteur, fut un émoi, une résonance profonde, une nostalgie qui implique des départs sans retour. Mélange indissociable de bonheur et de malheur, le vocable fait ressentir longtemps les volutes de la sensibilité tout à coup écartelée entre d'une part la mélancolie et le passé englouti dans l'absence, et d'autre part l'effervescence et la soif d'un futur fulgurant de présence...''


''Le rapport à la métaspora, poursuit l'auteur, n'est pas de description ou de commentaires, il est posé à l'intérieur du langage lequel donne sens aux événements de nos vies...S'agissant des pôles d'identification...les migrants chercheront à se déporter, se décentrer face aux identités nationales tout en constituant une mouvance instable, un ensablement qui grippe les centres où ils vivent et envers lesquels ils se réservent, en endossant de multiples allégeances et autant de dissensions....C'est ce mouvement de camouflage ambivalent qui les conduit à se constituer en métaspora. À devenir les capteurs avancés du nomadisme immobile''.


À ce compte, le concept apparaît procéder autant de l'intuition et de l'imagination du poète que de la capacité réflexive et analytique du logicien malgré un parti pris téméraire de l'auteur de faire un coup de force sur le plan du langage.


Il importe de reconnaître que la dimension aventureuse du concept est loin de desservir l'objet de la connaissance. Il vient, en effet, à la rencontre des vagues intuitions, des anticipations idéelles émanant du magma de la condition des itinérants lancés dans le siècle et pour lesquelles aucune intellection n'était encore proposée. Au carrefour de ce qui semblait une aporie, il traduit bien le surgissement de réalités informes et inédites qui jonchent le parcours aléatoire des apatrides multiples, générés par le compactage de l'espace et la claudication du temps. Dans ce sens, il devient, ici et là, hier et demain, le point de fuite des errances tentaculaires, à la limite du réseau des bivouacs où l'on est tacitement sommé de transiter, créant, par ainsi des existences en intermittences.


''Plus légère, dit l'auteur, constituée de fragments d'existence plutôt que de narrations linéaires, la métaspora est ce qui mesure la distance entre des êtres intimes et l'intimité inattendue de la distance, qu'elle soit géographique, temporelle ou culturelle...La métaspora procède d'une logique d'improvisation de l'espace et du temps, d'une logique de recréation, placée sous le signe du devenir. C'est l'art du fragmentaire. Logique de spatialisation qui traduit en pleine conscience de l'indécidabilité du lieu, ce que les égarés en général, tout égaré contemporain en particulier, vivent dans le réseau globalisé dans lequel ils sont insérés''.


On comprend que là où une chronique de la diaspora s'avérerait incapable d'expliquer la réalité complexe des acteurs en situation d'itinérance, l'écueil peut être moins difficile à surmonter dans le cadre d'une chronique métasporique. Par la globalité de son outil conceptuel, son universalité et sa finesse, elle permettrait d'embrasser la totalité des situations d'exode et d'enracinements subséquents quant à leur mode de structuration dans le temps jusqu'à leur manière conjoncturelle de s'offrir géographiquement dans la culture.''Les événements de l'histoire universelle métasporique, dit l'auteur, sont dispersés, accrochés aux égarés qui les portent en tant qu'emblèmes intimes''.


Mieux encore, cette chronique donnerait accès à la compréhension d'une espèce en voie de déterritorialisation que les peuples sont devenus, du moins les phalanges itinérantes d'avant-garde, quant à leur psychologie complexe ou leur champ émotionnel multiforme ( patelins, identités, amours) dans la conquête des espaces où planter leur tente en attendant que ces lieux se révèlent des patries intimes faisant corps avec la personnalité ou l'identité des individus.


S'agissant d'identités, comment ne pas rapprocher cette citation faite de Bailly3 par l'auteur :''Le soubassement de l'identité...ce serait l'ensemble de toutes ces dormances, et la possibilité, à travers elles, d'une infinité de résurgences : jamais ce qui coule d'une unique source qui aurait valeur d'origine et de garantie, mais ce qui s'étoile au sein d'un système complexe de fuites et de pannes''


Cela suffit pour donner une idée de toute la complexité que soulève l'étude ou la critique métasporique. Ce qui se dit ici ne prétend, néanmoins, pas à rendre compte de l'oeuvre qui fourmille de pistes intéressantes en raison des différentes disciplines du savoir qui irriguent la pensée de l'auteur sur l'aventure de l'homme en situation de dérive. Si ce petit texte a une prétention ce serait celle de repasser dans le sillage de l'oeuvre dans une opération de glanage afin d'attirer l'attention sur un moissonnage exemplaire.



Marc Léo Laroche

Sociologue
25.09.2015



1Joël des Rosiers, Métaspora, essai sur les patries intimes, Triptyque, 2013

2Seuls les fidèles d'une Église avant l'aggiornamento de Vatican II peuvent bien comprendre à quoi l'expression fait référence.

3Jean-Christophe Bailly,Le Dépaysement.Voyages en France,Paris,Seuil 2011



jeudi, septembre 24, 2015

VERS UNE GUERRE MONDIALE ISLAMIQUE




Au cours des dernières années du vingtième siècle, quand la guerre froide a galvanisé le développement des recherches sur les technologies nucléaires, le monde était persuadé qu'une troisième guerre mondiale, si jamais il devait y en avoir une, serait nécessairement de type thermonucléaire. On avait plus ou moins la conviction que dans une telle occurrence, la planète serait devenue un désert qui mettrait fin à la continuité de la vie.

Il ne viendrait cependant à l'esprit de personne, aujourd'hui, de penser que cette guerre a déjà commencé. Peut-être pas dans la forme qu'on l'avait imaginée, ni avec les belligérants qui en sont actuellement les acteurs.

En fait, les débuts de cette guerre remontent à l'invasion de l'Irak en 2003 par Georges W. Bush sous le fallacieux prétexte que Sadam Hussein, alors président de ce pays, détient des armes de destruction massive lesquelles, en l'espèce, étaient appréhendées comme chimiques, bactériologiques voire nucléaires.

Il s'agissait officiellement de se défaire d'un dictateur dangereux pour le monde entier et de faire en sorte que la gouvernance de l'Irak soit désormais assurée selon des valeurs démocratiques. On avait convenu qu'une fois réglés les problèmes politiques de ce pays, on mettrait de l'avant les moyens nécessaires pour étendre ces valeurs aux États du Golfe et du Moyen-Orient où prévalent des régimes autoritaires.

Ces objectifs, les néo-conservateurs autour de Bush ( Paul Wolfowitz, Donald Rumsfeld, Dick Cheney, David Frum, Elliott Abrams, Condolezza Rice etc). n'en faisaient pas mystère dès l'arrivée du président à la Maison Blanche en 2001. Ce qu'ils cachaient jalousement, c'était la vraie raison du projet d'invasion de l'Irak. À cette fin, certains d'entre eux se réunissaient dans ce qu'on a appelé la société secrète avec la mission de mettre en œuvre, cartes à l'appui, la main-mise américaine sur les sites pétrolifères de huit régions particulières d'Irak. Eric Laurent1, dans un livre : La face cachée du pétrole a mis en lumière les mensonges et la désinformation dont cette mission a fait l'objet. Ces faits devaient être corroborés, ultérieurement, par le président de la Réserve fédérale américaine Alan Greenspan2 en 2007.


L'expédition militaire anglo-américaine a profondément déséquilibré la société irakienne. Jusqu'à l'arrivée des forces expéditionnaires, Irak bénéficiait, il est vrai d'une société instable que la poigne de fer de Sadam Hussein réussissait à maintenir ensemble entre les chiites majoritaires, les sunnites minoritaires et les kurdes autonomistes. De temps à autre, des interventions policières,voire militaires s'avéraient nécessaires pour maintenir l'ordre public.


L'intervention anglo-saxonne a bousculé toutes les fonctions unificatrices de cette société et jeté dans la mêlée les chiites contre les sunnites, les islamistes radicaux contre les modérés, les autonomistes ou isolationnistes contre les tenants du grand Irak sans compter ceux qui rêvaient de conquêtes territoriales et pour qui les sites pétrolifères présentaient un attrait irrésistible.


Toutefois, l'événement qui a précipité la déconfiture de la société irakienne remonte à la décision de Nouri al-Maliki, le premier ministre irakien, d'enclencher la répression contre les sunnites. En plus d'ordonner l'arrestation d'un grand nombre d'entre eux dont certains allaient périr devant le peloton d'exécution, il fit arrêter Tarek al-Hachemi, leur leader, qu'il accusa de''terrorisme et de complot contre le pouvoir''.


À compter de cet instant, toutes les vannes de la retenue furent ouvertes. Les complicités avec l' E.I, encore à ses débuts, devenaient manifestes. L'opposition des sunnites contre le régime se durcissait et devenait chaque jour plus aguerrie, au début, avec l'aide d'al-Kaïda et par la suite, tout seuls, avec des djihadistes comme peloton d'avant-garde, jusqu'à la proclamation en 2013 de L'État islamique en Irak et au Levant, en même temps que l'instauration d'un califat qui englobe l'Irak, la Syrie et le Kurdistan. Ces événements correspondaient à la montée en puissance de l'islam radical et à la désorganisation de l'armée irakienne devant les progrès réalisés par l'ennemi sur les champs de bataille. Face à cette constatation, le gouvernement irakien n'avait d'autre choix que de solliciter l'aide internationale. A quoi beaucoup de pays occidentaux ont répondu en plus de certains États du Golfe et du Moyen-Orient, s'engageant les premiers, à y aller de frappes aériennes contre Daech3 et les seconds, à fournir de l'aide matérielle et des instructeurs.


Il n'y a pas de doute, l'aide ainsi fournie a permis au gouvernement irakien de récupérer certains territoires qu'il occupait antérieurement, mais cela n'avait guère empêché l'État islamique de conquérir d'autres territoires. Vu que des jeunes de nombreux pays répondaient à l'appel du djihad, il ne semblait jamais en manque de soldats. Même les scènes de destructions de patrimoines historiques ou de décapitations à la face du monde ne l'ont  pas empêché d'augmenter son membership.


À l'islamisme radical du proche Orient, une dizaine de groupes du même genre d'Afrique se sont joints dont le plus connu est peut-être Boko-Haram qui a fait allégeance à Daech et qui en est l'émule en cruautés. En fait, en Afrique comme au Moyen-Orient, l'islamisme radical présente les mêmes objectifs : a) conquête d'un grand territoire en vue de l'instauration d'un califat b) application du salafisme, c'est-à-dire, de la charia. Ces deux objectifs sont subordonnés à une stratégie de la violence, à toutes les étapes visant la sujétion sinon l'exode des autres confessions.


Ce qui est très surprenant, c'est qu'après plus d'un an d'intervention des forces occidentales et orientales4 pour combattre Daech, la capacité de ce dernier ne semble pas s'émousser. Il est vrai que les forces de la coalition s'interdisent toute opération terrestre, mais avec les moyens technologiques dont elles disposent, on se serait attendu à ce qu'elles arrivent à refréner la progression territoriale de l'ennemi et sa combativité. Mais paradoxalement, on a l'impression du contraire.


Beaucoup d'États africains de confession musulmane ont été touchés récemment par le développement du radicalisme islamique5. Ce qui est vrai pour l'islamisme radical au Moyen-orient l'est aussi pour l'Afrique. Si la France a pu, à certaines occasions, l'emporter sur certains groupes de moindre importance du Maghreb islamique ou du Sahel, il reste beaucoup de choses à faire pour endiguer Boko-Haram, plus fort et plus aguerri que les autres groupes, même après la coalition de cinq états (Tchad, Bénin, Cameroun, Niger, Nigeria) pour le combattre et l'évincer du Nigeria et du Cameroun.


Tout cela préfigure une guerre de très grande envergure. En effet, elle a tous les ingrédients d'une potentielle conflagration mondiale. C'est une guerre de religion qui présente la complexité d'être à la fois une guerre de musulmans entre eux (Sunnites contre Chiites) et de musulmans contre les religions chrétiennes. En plus de cela, elle met en jeu une grande partie des peuples de la terre sur tous les continents. Jusqu'à présent, les combats sont d'intensité moyenne et, à part les millions de réfugiés qu'elle a jeté sur les routes du monde, relativement peu de gens ont péri sur les champs de bataille. Si les forces occidentales coalisées, devaient lancer des troupes terrestres dans la mêlée, pour plus d'efficacité, rien ne garantit que les jours à venir ne verront pas s'empirer irrémédiablement le sort abominable des multitudes de tous les camps en lutte dans ce qui pourrait être un embrasement général.


Marc Léo Laroche

Sociologue

20 sept 2015

1Eric Laurent : La face cachée du pétrole. Flammarion

2Alan Greenspan : Le temps des turbulences

3Daech est l'acronyme de l'État islamique. Les deux expressions sont utilisées dans ce texte.

4La coalition est formée de 13 pays occidentaux(Allemagne,Australie,Belgique,Canada,Danemark,Espagne,États-Unis,France,Pays-bas,Portugal,Royaume uni,Turquie) et de 5 États du Moyen-Orient(Arabie Saoudite,Émirats Arabes Unis,Jordanie,Maroc,Qatar).

5Les pays africains concernés sont entre autres:l'Algérie,le Mali, la Somalie,le Kenya,le Tchad,la Mauritanie,le Nigeria,le Cameroun etc.

samedi, septembre 05, 2015

LE LABORATOIRE DE L'INCULTURE CIVIQUE





Au delà des questions fondamentales concernant la viabilité d'Haïti comme pays dans les conditions économiques et démographiques actuelles, il n'est pas inopportun, malgré tout, de poser le problème de la démocratie dans cette partie du monde.

L'un des défis de la gouvernance de ce pays concerne les conditions de la mise en branle de modèles sociaux permettant la participation du peuple au jeu de la démocratie et l'ajustement, dans une logique d'efficacité, des rôles que jouent les acteurs sociaux dans la phénoménologie de cette gouvernance. Car l'analyse du contexte social et politique de ce pays met en lumière une situation étrange en marge de la taxinomie des formes sociales. Il s'agit de l'abstention d'un groupe social important (à cheval sur deux classes sociales) des activités liées à la gouvernance en tout ce qui a trait aux actes et aux rituels socio-politiques. L'importance de ce groupe est affirmée tant par les places privilégiées que ses membres occupent dans la structure socio-économique que par les effets de leur posture dans la cité.

L'objet de cet article consiste à esquisser la réflexion sur le sens et les formes que recouvre cette abstention dans la dynamique politique et sociale. La thématique peut sembler abstraite, elle n'est pas moins induite par la réalité telle qu'elle s'observe depuis très longtemps. Si la démarche peut servir à envisager les conséquences possibles de cette situation sur le destin de ce pays, elle pourrait ne pas être entièrement vaine.

Il n'est pas exagéré de dire que les citoyens de ce groupe social vivent continuellement un phénomène d'ambivalence, réplique sur le plan social du phénomène psychique de dédoublement de la personnalité. Qu'ils soient entrepreneurs, gestionnaires des secteurs public ou privé, professionnels de la santé, du génie, de l'éducation, du commerce international ou autres, la seule chose qui semble les rattacher à la matrice originelle, sinon aux rhizomes culturels dont ils sont, peu ou prou, les produits, à moins d'être d'extraction extérieure, c'est la situation pécuniaire et les avantages connexes dont ils bénéficient en situation complexe de sous-développement1.

Parce qu'ils sont en situation d'excroissance sociale, et, par cela même, en marge, d'une certaine façon, de cette société, ils sont poussés à se barricader dans leur logis quand ils ne s'abritent pas dans de véritables forteresses protégées par des murailles à l'épreuve du peuple introjecté nécessairement sous la figure de l'envieux, du cupide, du voleur voire du meurtrier. Ces précautions sont pourtant jugées insuffisantes.Ne se  croient-ils pas  obligés, en plus, de garder suffisamment de distance pour marquer leur altérité ( de nature évidemment!) par rapport aux déclinaisons multiples de la pauvreté connotée négativement au point de vue moral. Pour cela, compte tenu de la topographie des lieux, ils s'éloigneront autant que possible et, s'il le faut, escaladeront les montagnes, favorisant, à l'occasion, la floraison de l'architecture montagnarde quelquefois en porte-à-faux par rapport aux lois de la gravité. Qu'à cela ne tienne, quand il s'agit de s'affranchir de la populace!

Pour beaucoup d'entre eux, leur progéniture naîtra à l'extérieur du pays en attendant d'y poursuivre tout le cursus académique et ne revenant au pays qu'en périodes de vacances, comme on va au chalet ou à la maison de campagne. Dans ce scénario, seuls les soins médicaux courants de la famille sont dispensés au pays : le recours à l'étranger devenant un réflexe normal dès l'instant où les besoins présentent une certaine gravité. Il va de soi que cette attitude en dit long autant sur la perception de soi de l'Haïtien de ce groupe que sur les institutions, quand elles existent, à commencer par  les systèmes éducatif et sanitaire.

Il fut un temps où on se contentait de fuir à Pétionville, à La Boule ou à Kenskoff etc.
Depuis que ces destinations appartiennent aussi aux lieux d'élection de la plèbe, les protagonistes se trouvent désormais, en raison d'une position symbolique non dénuée de jactance, condamnés à une modification incessante de l'espace où il faut jeter l'ancre, loin d'un modèle de fixation ou d'implantation pragmatique. Cette fuite ne se déroule pas seulement dans la réalité que crée l'immédiateté spatiale des choses et des événements, elle a son pendant dans l'imaginaire. De ce fait, elle condense un univers polysémique constitué de rêves plus ou moins réalisables, dans la mesure où elle ouvre sur des lieux (les rues de n'importe quelles cités étrangères), sur l'exotisme culturel (habitudes culturelles surtout occidentales) mais aussi sur des objets de consommation très différenciés (multiples produits technologiques, alimentation etc.)

En ce qui concerne les produits d'alimentation­-il est vrai que le pays a cessé depuis longtemps d'être auto-suffisant, ne serait-ce que pour le tiers, voire le quart de sa consommation alimentaire- peu de choses, dans la portion congrue que peut encore livrer le terroir tropical, semblent trouver grâce à leurs yeux. Par définition, tout produit de provenance étrangère est meilleur à ceux d'origine autochtone. Ce positionnement écarte d'emblée, entre autres, les questions sur les défis de l'environnement et les étapes auxquelles le pays est rendu dans la filière du CO2 comme si la spatialisation des objets de consommation n'était pas, en soi, un enjeu à considérer dans une vision raisonnable de l'écologie de ce coin de la planète. Il faut croire que les dernières leçons sur ces questions n'ont pas encore abordé les rivages de ce pays.

On aboutit finalement à une situation où l'''ailleurs'' est ''ici'' accompagné de multiples ersatz culturels comme par exemple le''dîner en blanc'' et nombre d'autres du même acabit. Tout cela n'arrive pas à masquer le vacuum qui s'agrandit de jour en jour dans le pays pour de multiples raisons dont l'abstention de ce groupe social du jeu socio-politique n'est pas la moindre. Dans l'intervalle, cela laisse la voie libre à n'importe quel nigaud pour l'organisation de la cité. C'est ainsi qu'on assiste depuis quelque temps à l'érection d'une tour de Babel, quand cela n'aboutit pas à une pétaudière, chaque fois qu'il s'agit de renouveler les membres du gouvernement. Des fonctions de hautes responsabilités qui auraient dû requérir la meilleure attention en termes de compétence, de sagesse et de dignité deviennent de viles situations de convoitises pour le premier chômeur ou le premier aventurier venu.

Plutôt que d'être bénéfiques au pays, les membres de ce groupe qui sont souvent, dans leur for intérieur, des transfuges à défaut de l'être toujours dans la réalité ne réussissent qu'à constituer une sorte de laboratoire d'inculture de civisme dont le cône d'ombre se projette sur toute la société et où les seules choses qui méritent un certain effort, ce sont les voies permettant de gagner de l'argent, quelque soient les moyens, honnêtes ou malhonnêtes. Dans ce décor où l'argent règne en maître, on pourrait croire qu'ils se soumettent facilement à la taxation et à l'impôt foncier devant permettre à l'État d'atteindre les 40% de sa contribution au budget national. Mais cela est très loin de la réalité. Tous les artifices leur sont possibles pour éviter de s'acquitter de leur part de responsabilités financières y compris en recourant à certaines pratiques de délocalisation quand il ne s'agit pas, tout bonnement de prévarication, de fraude ou de corruption. C'est donc dans un tel climat que la culture dans le sens transcendant du terme et tout le reste, c'est-à-dire, tout le patrimoine traditionnel, historique et symbolique  sont perçus comme des insignifiances à laisser au gros peuple.

Marc Léo Laroche
Sociologue

4 septembre 2015

cramoel.blogspot.com



1Le moindre de ces avantages ne consistent pas seulement à laisser à d'autres, souvent pour des prunes, les activités mêmes domestiques jugées monotones ou désagréables.

jeudi, juillet 02, 2015

DÉPORTATION DE DOMINICAINS D'ASCENDANCE HAÏTIENNE





Il se passe actuellement en République Dominicaine l'un des pires cas de négation des droits humains.Malheureusement, cela a lieu au moment où l'attention mondiale est accaparée par «l'état islamique» dans sa guerre totale sur trois continents.

Depuis quelques semaines,en effet, les Dominicains d'ascendance haïtienne sont sous le coup d'une déportation. Nés en République Dominicaine de parents sans citoyenneté dominicaine, ces Dominicains se font, pour cette raison même, confisquer leur certificat de naissance par le pouvoir quand ce document existe. À moins que leurs parents ne se soient vus, dès le début, dénier le droit de s'en faire délivrer, comme cela arrive souvent, rendant leurs enfants nécessairement apatrides dans les deux cas. Bien entendu, cette négation du droit du sol se fait au mépris de traités internationaux que la République Dominicaine avait officiellement reconnus.La décision de cette déportation a été prise le 23 septembre 2013 par un arrêt de la Cour constitutionnelle connu sous le numéro 0168/13 ciblant particulièrement les Dominicains d'ascendance haïtienne.

Il faut savoir que les relations houleuses avec les Haïtiens ne datent pas d'hier. Dès le début du XXème siècle, ces derniers ont fait l'objet d'ententes plusieurs fois renouvelées entre les gouvernements haïtien et dominicain, à l'occasion de leur embauche comme ouvrier agricole dans l'industrie sucrière. Pourtant, ils n'ont jamais cessé d'être maltraités de toutes les façons, socialement,économiquement et juridiquement. Tout au long du siècle dernier, leur traitement a fait l'objet de nombreuses dénonciations tant de la part d'organismes internationaux comme l'ONU, l'OEA etc.que de divers ONG comme leCIIR,l'OIT ou the Anti-Slavery Society de Londres etc.

Depuis quelques semaines, réagissant à la pression des autorités et aux différents signaux du pouvoir dominicain,on voit ces Dominicains, parfois tout dépenaillés, avec le peu de biens dont ils disposent, sur les routes à destination d' Haïti, un pays que la plupart ne connaissent pas.



Car beaucoup d'entre eux savent ce qu'est un signal du pouvoir dominicain. C'est par un signal de Rafaël Léonidas Trujillo, le président du pays dans les années 30, qu'environ 20000 à 35000 d'entre eux ont été égorgés en 1937 à l'arme blanche, à la baïonnette par les soldats et aux couteaux par les résidents d'une vingtaine de localités le long de la frontière haïtiano-dominicaine du Nord au Sud depuis Monte Christi. Si l'on met de côté les millions d'Ukrainiens morts de faim par la volonté de Staline entre 1932 et 1933, l'extermination des Haïtiens inscrite dans les annales de différentes chancelleries mais qui n'a jamais passé la rampe de la presse internationale est pourtant considérée comme le deuxième génocide du vingtième siècle après celui des Arméniens en 1915. Il faut,en partie, imputer la cause de cette ignorance à l'indifférence internationale et aussi aux carences des agences de presse malgré que certaines d'entre elles comme la United Press et le New York Times, au moins par un article,ont essayé d'en répercuter la nouvelle. À cela il ne faudrait pas passer sous silence la réclamation d'un membre du Congrès que les États-Unis rompent leurs relations avec la République Dominicaine en raison de ce génocide.



Ce pays a toujours considéré l'immigration haïtienne comme un mal nécessaire. Nécessaire parce qu'elle permet de répondre, répétons-le, aux besoins en main-d'oeuvre de l'industrie sucrière et garantissant par le fait même son développement. Mais surtout un mal parce qu'elle ne correspond pas au modèle envisagé de l'idéal dominicain. Cette attitude dichotomique, si elle n'est pas toujours présente dans la population, varie d'un pôle à l'autre selon les événements et les impératifs historiques.



La société dominicaine est une société métissée, composée,en majorité, de descendants d'européens surtout d'espagnols et de descendants d'esclaves africains qu'ils sont allés chercher en remplacement des aborigènes, en l'occurrence, les Taïnos qu'ils avaient préalablement exterminés.. Mais par un étrange processus mental à la lisière de la schizophrénie cette société se perçoit comme formée, bien entendu, d'Européens mais aussi de Taïnos quand il s'agit d'expliquer l'origine des non-blancs, oblitérant les caractères africains, au moment même où la réalité convainc éloquemment du contraire. Car si les Taïnos y ont laissé des traces comme d'ailleurs en Haïti,elles sont loin d'être considérables. Dans une étude présentée au congrès médical dominicain en 1951, Dr José de Jesus Alvarez a évalué les composantes du génotype dominicain dans les proportions suivantes:17% d'indiens(Taïnos), 40% de blancs et 43% de noirs. Évidemment, beaucoup n'en crurent pas leurs oreilles.



C'est dans ce contexte pathologique qu'il faut comprendre la dynamique des relations avec l'immigration haïtienne et surtout avec l'existence de Dominicains d'origine haïtienne. Évidemment, il y a, à la base, un racisme qui est tantôt déguisé tantôt manifeste selon les couches sociales concernées et qui traduit la volonté politique d'épurer la dominicanité de certains phénotypes.



Il y aurait beaucoup à dire sur l'attitude des gouvernements haïtiens successifs sur ce phénomène, mais ce n'est pas l'objet de notre propos. On peut seulement prévoir que le jour où le gouvernement haïtien s'avisera de mettre en question l'entente concernant la main-d'oeuvre haïtienne --car,il faut, de toute urgence y arriver--la République Dominicaine ne manquerait pas de jeter des cris d'orfraie. En attendant, en dépit des protestations haïtiennes maintes fois formulées, rien ne semble devoir arrêter le processus de déportation de ces Dominicains



Marc Léo Laroche

30juin 2015


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