mardi, septembre 29, 2015

DANS LE SILLAGE DE MÉTASPORA


Métaspora, roman de Joël des Rosiers, a paru en 2013. Je crois qu'on n'en a pas entendu parler comme on aurait dû. Cela tient peut-être au fait que sa lecture laisse un certain malaise imputable à un des aspects de son contenu. Il n'est pas exagéré d'affirmer en effet qu'un bon tiers de l'ouvrage traite d'éléments biographiques. Néanmoins, une fois dépouillé des guipures hagiographiques ou de ce que certains appellent ''l'effet reposoir2'', on se retrouve devant une œuvre littéraire qui s'apprécie comme un essai important, autant par les intuitions originales de l'auteur sur les modes d'existence des exilés ou des itinérants de tout poil, que par ses exercices d'illustration conceptuelle.


À cet égard, l'érudition de l'auteur a conduit ce dernier à une plongée exploratoire à travers les arts, la littérature, le cinéma etc. et a joué un rôle de catalyseur dans ses recherches. Elle lui a permis de mettre en relation des phénomènes qui, de prime abord, existent dans des univers totalement différents ou opposés et dont seule l'imagination, en vertu d'une esthétique à définir, donne la possibilité d'en envisager la rencontre. Qu'y a-t-il de commun entre Le Procès de Kafka et les chansons de Wiclef Jean? Et, dans un cadre en dehors de l'ouvrage, entre par exemple, l'aventure de Jean-Claude Charles, écrivain à Paris, et celle d'un coupeur de cannes en République Dominicaine? Il y a donc au fondement du concept néologique de métaspora une esthétique de la dérive ou de l'exil sur les ruines du champ de la diaspora.


Formée de deux éléments, Méta étymologiquement qui dépasse ou englobe et Spore, organe reproducteur végétal qui dissémine sa semence dans toutes les directions, la métaspora comme concept analytique de l'aventure spatio-temporelle des humains sur la planète, se veut une appropriation universelle des situations liées aux dérives des populations et des individus au cours de leur pérégrination afin de les rendre signifiantes.


''La diaspora, dit l'auteur, fut un émoi, une résonance profonde, une nostalgie qui implique des départs sans retour. Mélange indissociable de bonheur et de malheur, le vocable fait ressentir longtemps les volutes de la sensibilité tout à coup écartelée entre d'une part la mélancolie et le passé englouti dans l'absence, et d'autre part l'effervescence et la soif d'un futur fulgurant de présence...''


''Le rapport à la métaspora, poursuit l'auteur, n'est pas de description ou de commentaires, il est posé à l'intérieur du langage lequel donne sens aux événements de nos vies...S'agissant des pôles d'identification...les migrants chercheront à se déporter, se décentrer face aux identités nationales tout en constituant une mouvance instable, un ensablement qui grippe les centres où ils vivent et envers lesquels ils se réservent, en endossant de multiples allégeances et autant de dissensions....C'est ce mouvement de camouflage ambivalent qui les conduit à se constituer en métaspora. À devenir les capteurs avancés du nomadisme immobile''.


À ce compte, le concept apparaît procéder autant de l'intuition et de l'imagination du poète que de la capacité réflexive et analytique du logicien malgré un parti pris téméraire de l'auteur de faire un coup de force sur le plan du langage.


Il importe de reconnaître que la dimension aventureuse du concept est loin de desservir l'objet de la connaissance. Il vient, en effet, à la rencontre des vagues intuitions, des anticipations idéelles émanant du magma de la condition des itinérants lancés dans le siècle et pour lesquelles aucune intellection n'était encore proposée. Au carrefour de ce qui semblait une aporie, il traduit bien le surgissement de réalités informes et inédites qui jonchent le parcours aléatoire des apatrides multiples, générés par le compactage de l'espace et la claudication du temps. Dans ce sens, il devient, ici et là, hier et demain, le point de fuite des errances tentaculaires, à la limite du réseau des bivouacs où l'on est tacitement sommé de transiter, créant, par ainsi des existences en intermittences.


''Plus légère, dit l'auteur, constituée de fragments d'existence plutôt que de narrations linéaires, la métaspora est ce qui mesure la distance entre des êtres intimes et l'intimité inattendue de la distance, qu'elle soit géographique, temporelle ou culturelle...La métaspora procède d'une logique d'improvisation de l'espace et du temps, d'une logique de recréation, placée sous le signe du devenir. C'est l'art du fragmentaire. Logique de spatialisation qui traduit en pleine conscience de l'indécidabilité du lieu, ce que les égarés en général, tout égaré contemporain en particulier, vivent dans le réseau globalisé dans lequel ils sont insérés''.


On comprend que là où une chronique de la diaspora s'avérerait incapable d'expliquer la réalité complexe des acteurs en situation d'itinérance, l'écueil peut être moins difficile à surmonter dans le cadre d'une chronique métasporique. Par la globalité de son outil conceptuel, son universalité et sa finesse, elle permettrait d'embrasser la totalité des situations d'exode et d'enracinements subséquents quant à leur mode de structuration dans le temps jusqu'à leur manière conjoncturelle de s'offrir géographiquement dans la culture.''Les événements de l'histoire universelle métasporique, dit l'auteur, sont dispersés, accrochés aux égarés qui les portent en tant qu'emblèmes intimes''.


Mieux encore, cette chronique donnerait accès à la compréhension d'une espèce en voie de déterritorialisation que les peuples sont devenus, du moins les phalanges itinérantes d'avant-garde, quant à leur psychologie complexe ou leur champ émotionnel multiforme ( patelins, identités, amours) dans la conquête des espaces où planter leur tente en attendant que ces lieux se révèlent des patries intimes faisant corps avec la personnalité ou l'identité des individus.


S'agissant d'identités, comment ne pas rapprocher cette citation faite de Bailly3 par l'auteur :''Le soubassement de l'identité...ce serait l'ensemble de toutes ces dormances, et la possibilité, à travers elles, d'une infinité de résurgences : jamais ce qui coule d'une unique source qui aurait valeur d'origine et de garantie, mais ce qui s'étoile au sein d'un système complexe de fuites et de pannes''


Cela suffit pour donner une idée de toute la complexité que soulève l'étude ou la critique métasporique. Ce qui se dit ici ne prétend, néanmoins, pas à rendre compte de l'oeuvre qui fourmille de pistes intéressantes en raison des différentes disciplines du savoir qui irriguent la pensée de l'auteur sur l'aventure de l'homme en situation de dérive. Si ce petit texte a une prétention ce serait celle de repasser dans le sillage de l'oeuvre dans une opération de glanage afin d'attirer l'attention sur un moissonnage exemplaire.



Marc Léo Laroche

Sociologue
25.09.2015



1Joël des Rosiers, Métaspora, essai sur les patries intimes, Triptyque, 2013

2Seuls les fidèles d'une Église avant l'aggiornamento de Vatican II peuvent bien comprendre à quoi l'expression fait référence.

3Jean-Christophe Bailly,Le Dépaysement.Voyages en France,Paris,Seuil 2011