vendredi, août 18, 2017

AU SUJET DES PRESSIONS DES DEMANDEURS D'ASILE HAïTIENS AUX FRONTIÈRES...

  


Depuis le début de ce siècle, les médias foisonnent de récits relatifs aux problèmes de demandeurs d’asile. Si le Canada est, avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, l’un des principaux pays d’immigration, il ne se recommande pas par l’accueil des réfugiés. Aussi paradoxal que cela paraisse, les bénéficiaires du droit d’asile se retrouvent surtout dans les pays pauvres du Sud, alors que les pays riches du Nord font tout pour les éloigner.
 Aussi pour calmer ceux qui, à l’instar de François Legault, Président de la CAQ, s’émeuvent des pressions aux frontières, qui craignent que le Canada ne soit devenu une ‘’passoire’’ et qui voient l’arrivée éventuelle au Québec, d’un certain nombre de demandeurs d’asile, en majorité d’origine haitienne,  comme l’équivalent de ‘’toutes les misères du monde’’, on doit rappeler que le Canada est l’un des pays du Nord à avoir le moins œuvré en faveur des bénéficiaires du droit d’asile et qu’il sait, depuis longtemps, comment s’y prendre pour  maintenir à distance les requérant de ce droit. L’accueil de ces derniers, en ce début du XXIème siècle, est à ce point problématique, que beaucoup de pays utilisent des procédés souvent abscons pour les tenir à l’écart. C’est, en grande partie, ce qui explique l’érection des murs à travers le globe. Dans la décennie 80, il n’y avait pas plus de 15 murs sur la planète; trente ans plus tard, on en compte près de 100 construits ou planifiés pour prévenir les conflits et surtout pour endiguer le flux des demandeurs d’asile.
 On est en présence d’un phénomène qui traduit un double symptôme : d’une part, l’aggravation des rapports négatifs entre les peuples et, davantage encore, leur migration et, d’autre part, la déchéance, de plus en plus, des garde-fous juridiques visant à réglementer ou à juguler ces rapports.
 On a tendance, parfois, à oublier qu’on est en plein dans l’ère de la mondialisation.  La mise en branle de cette stratégie d’échanges internationaux est, dès le début, entachée d’un vice qui aurait pu être rédhibitoire, s’il y avait une structure d’autorité internationale capable de faire contrepoids à la domination du Capital. En effet, l’application de cette mondialisation a été vouée uniquement à la mobilité des marchandises, au détriment de celle tout aussi importante des personnes.
Les conséquences de cette stratégie sont d’autant plus déplorables qu’elles surviennent à un moment névralgique de l’état de la planète, avec la détérioration du climat et de l’environnement, forçant des peuples à quitter leur milieu de vie au bénéfice de territoires moins instables, plus sécuritaires, voire même plus dispensateurs de ressources. Ces causes qui sont multiples vont de la sécheresse au réchauffement de l’océan, en passant par les cyclones, les incendies, les inondations, la fonte des glaciers etc.
Des signes avant-coureurs très significatifs balisent déjà l’horizon et font comprendre que l’avenir risque, à moyen terme, d’être gravement hypothéqué. De larges superficies du globe présentent le danger de n’être plus habitables, particulièrement dans les régions du Sud. Cela signifie que les mouvements de population qui accompagnent le cours de ce siècle vont se multiplier avec le temps. L’expérience des dernières années indique que les régions nordiques, plus riches et plus stables, sont considérées comme des destinations de première importance.
Malgré le sang-froid que manifestent la plupart des responsables politiques canadiens aux demandeurs d’asile qui frappent aux portes, certains d’entre eux n’hésitent pas à exprimer, soit un irrépressible besoin de monter aux créneaux pour se faire voir, soit une méconnaissance des fondements de la migration des peuples. À cet égard, l’article de Pierre Lavoie ‘’Migrants’’[i] : un  terme et des gens qui ont une histoire’’ qui rappelle la migration des Canadiens français vers la Nouvelle-Angleterre entre 1840 et 1930 pourrait leur être un sujet de réflexion. Il écrit à leur sujet :’’ lorsque l’élite clérico-nationaliste de votre pays natal (Québec) vous considère comme de la racaille matérialiste et que les mouvements ouvriers anglophones et protestants de votre pays d’accueil (États-Unis) vous perçoivent comme des ‘’ Chinois de l’Est’’ inassimilables et illettrés, il va sans dire que vos motivations de départ doivent être substantielles, et ce, peu importe la façon dont vous vous déplacez entre les frontières.’’[ii]
Tant il est vrai qu’elles peuvent être multiples les raisons à l’origine de la migration.  Ainsi, qu’on se le dise : les pressions aux frontières ne font que commencer. Avec l’aggravation des causes qui les ont rendus nécessaires, elles vont s’accélérer tout au long du siècle. Si l’on s’affole de l’arrivée de quelques milliers de demandeurs d’asile, qu’en sera-t-il quand les problèmes climatiques obligeront des centaines de milliers à frapper aux portes?
La réflexion sur ces questions s’accroche souvent, comme à une panacée, au cadre juridique dans lequel s’inscrit le phénomène d’immigration. On pourrait le comprendre en période de stabilité des institutions socio-politiques. Mais lorsque surviennent les bouleversements planétaires initiés par les dérèglements naturels, il y a grand risque que les règles juridiques, émanant de la convention internationale de 1951, soient frappées de forclusion. Le problème se pose quand on essaie de les appliquer, malgré leur inadéquation à la nouvelle réalité. Car, à moins d’un changement de paradigme dans l’approche du phénomène d’immigration, ces règles juridiques seraient poussées à leurs limites, parce que, pas adaptées aux défis que représenteraient les problèmes climatiques.
Les théoriciens des sciences économiques savent bien qu’il y a complémentarité entre mondialisation et migration. Selon l’un d’entre eux, ‘’les migrations internationales sont inexorables et s’inscrivent pleinement et de manière complémentaire dans la dynamique de la mondialisation’’[iii]. Toutefois, dans la pratique politique des états, si les ressortissants des pays du Nord jouissent du bénéfice d’immigrer, ceux du Sud font généralement face à l’hostilité,  nonobstant des cas particuliers. En fait, dans les récentes années, l’immigration n’est considérée que dans la mesure où elle remplit des rôles spécifiques : à part les tâches que les nationaux refusent d’exécuter dans certains états du Nord, on y a recours, de plus en plus, pour suppléer à la rareté des cerveaux et des naissances. Ceci est à la base de ce qu’on a appelé la ‘’diaspora de la connaissance’’.
En tout état de causes, avec la dégradation de l’environnement et les problèmes climatiques, c’est à un problème inexorable que le monde doit faire face avec la question des réfugiés. La réponse qui sera faite à cette question cruciale sera un indice éloquent de notre degré de civilisation.à

Marc Léo Laroche
cramoel,blogspot.com


[i] In Le Devoir 14 aout 2017
[ii] Les parenthèses sont de nous
[iii] Mouhoud E.M et J.Oudinet(2010) ‘’Inequality and Migration. What different Europeans patterns of migration tell us’’ in International Review of Applied Economic, vol 24,no3,july 2010.