Que faire en démocratie quand les conditions sociales et politiques permettent l’arrivée au faîte de l’état de gens dépourvus des qualités requises pour cette fonction?
Que faire quand les questions de gouvernance suprême n’inspirent pas toujours les vrais leaders ou les gens animés des meilleures intentions pour la sauvegarde et la fructification du bien public?
Que faire quand les allées du pouvoir sont remplies d’affairistes et de magouilleurs de tout acabit prêts à des actions condamnables pour barrer la route à toute initiative susceptible de renverser le système inégalitaire prévalant dans la société?
Que faire finalement pour sauver la démocratie quand l’appareil d’état coiffant l’organisation sociale et politique devient le seul vrai dispensateur d’emplois et la source de toute richesse?
C’est le piège dans lequel se sont longtemps trouvés les Haïtiens et, particulièrement, la Démocratie elle-même, depuis les deux dernières décennies.
Si la dictature prévalait encore, les Haïtiens pourraient se prendre à rêver à un régime démocratique auquel ils prêteraient toutes les vertus. À défaut de vivre dans le présent, ils se laisseraient aller à vivre, au moins, d’espoir. D’espoir de changements de tous ordres. À commencer par celui d’un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Mais, ils n’ont pas besoin de rêver… Le rêve n’est-il pas déjà dans la réalité? N’est-ce pas l’ère de la démocratie qu’a instaurée la nouvelle constitution de 1987? Les constituants de l’époque ne pouvaient, néanmoins, pas prévoir que la notion de démocratie au cœur de leur réflexion serait vidée de sa substance pour ne retenir, à beaucoup d’égards, que ses apparences. De sorte que là où on aimerait compter des DÉCISIONS et des ACTIONS appropriées aux conditions de sous –développement du pays et dont les répercussions se feraient sentir en profondeur dans la société, on ne dispose que de GESTICULATIONS superficielles sans aucune portée sociale valable.
L’un des domaines les plus significatifs de ces gesticulations est, à cet égard, celui des élections. Qui aurait cru qu’on en viendrait presque à se plaindre de leur multiplication? C’est que dans la structure socio-politique haïtienne, cet acte éminemment démocratique a perdu son sens. Depuis deux décennies, il en faut pour toutes les subdivisions administratives et territoriales. Il est vrai qu’il s’agit d’une prescription constitutionnelle, mais c’est la seule activité nationale qui ne semble pas souffrir de manquement. Dans la conjoncture nationale de la captation, au profit d’un centre déjà pléthorique, de tout pouvoir, qu’il soit économique, politique ou administratif, cette gesticulation démocratique importe peu sur l’organisation ou le développement des régions ou des collectivités. Ce qui importe pour les tenants de la forme ou de l’apparence en matière démocratique, c’est que les gestes soient posés et donc les postes pourvus même si les structures existantes ne laissent à l’élu aucun pouvoir pour changer ou améliorer les choses dans son domaine.
Dès le début donc, ce fut une démocratie de façade ou du discours creux quand il y en a, où manquait l’essentiel, c’est-à-dire, la prise en compte des besoins de la population et des moyens appropriés pour les satisfaire. Dès le début, les fondés de pouvoir du peuple agissaient comme s’ils ne représentaient qu’eux-mêmes, ne sentant aucune contrainte de satisfaire aux revendications de leurs commettants, de les informer de leurs projets et de leur orientation.
Le séisme du 12 janvier 2010 fournit un exemple flagrant de la maladie de la démocratie en Haïti. Bien entendu, cette maladie est également endémique ailleurs. On pourrait même dire que les sociétés occidentales qui se donnent souvent à voir comme les parangons de la vertu démocratique, contribuent largement à son développement. Ce n’est néanmoins pas une raison pour ne pas essayer de l’éradiquer au pays de Toussaint-Louverture où elle prend des formes particulières.
Après bientôt six mois de ce douloureux événement que fut le séisme, où les gouvernants ont fait la preuve d’une totale nullité sur le plan du leadership, pas une fois, ils n’ont songé à informer la population des plans envisagés en marge de la reconstruction. Compte tenu des circonstances tragiques, on se serait attendu, dans les premiers jours, à ce que le président s’adresse à la nation afin de la soutenir dans ces moments difficiles, communier dans sa douleur et esquisser les voies des actions à entreprendre. Par la suite, il aurait été dans l’ordre des choses que la population soit mise au courant, de manière régulière, des plans et projets gouvernementaux pour faire face à la catastrophe et au problème de la reconstruction. Mais depuis, c’est le grand silence national.
Ce comportement n’a, d’ailleurs, pas arrêté d’attirer l’attention, bien entendu, à l’intérieur du pays, mais aussi, `à l’extérieur, auprès des réseaux internationaux d’aide. Tous ceux d’entre eux qui ont suivi l’évolution des événements en Haïti au cours des cinq derniers mois se retrouvent dans la même constatation, à savoir, l’absence de leadership du gouvernement et le manque de communication à la population.
Le rapport sénatorial américain présidé par John Kerry, sénateur du Massachussets, ne dit d’ailleurs pas autre chose. On y signale, d’une part, l’absence de leadership du gouvernement et, d’autre part, le fait qu’ « il ne communique pas de façon efficace aux Haïtiens qu’il est prêt à mener les efforts de reconstruction » Quant au député européen Michèle Striffler en visite en Haïti, elle s’est montrée très préoccupée de l’ « apparente absence de leadership des autorités haïtiennes ». Le gouvernement n’a même pas été capable d’exploiter l’opportunité qui s’offrait à lui pour faire avancer le projet de reconstruction. À cet égard, elle note que les camions et les pelleteuses ont été ramenés aux États-Unis et en Europe alors que les Haïtiens ne disposent que de pelles et de brouettes.
La plupart des organismes étrangers en poste en Haïti vont dans le même sens. Devant l’apathie bien connue du gouvernement, certains d’entre eux caressaient l’idée de voir l’irruption des Haïtiens de la diaspora sur la scène nationale. C’était, selon eux, le seul moyen de donner une impulsion au projet herculéen de la reconstruction du pays.
Bien entendu. une telle idée était de l’ordre du fantasme, car non seulement ces Haïtiens ne bénéficient-ils pas du statut pour intervenir politiquement sur la scène nationale (la plupart ont une nationalité étrangère, ce qui leur fait perdre le bénéfice de leurs droits politiques en Haïti ), mais, en dehors des élections générales, aucune provision constitutionnelle ne pourrait justifier une telle intervention.
Ces contraintes font partie des obstacles cruciaux conditionnant l’évolution de la situation politique haïtienne. Sans compter de nombreux autres, à différentes dimensions de la société, qui tendent à rendre l’exercice de la démocratie une épreuve difficile. Sous prétexte que ce régime politique est souvent le chemin le plus long afin de parvenir à la réalisation d’un projet, certains ont tendance à lui imputer des tares qui tiennent davantage à leur carence intellectuelle et à leur manque de leadership. Comme si la démocratie était parfois, dans ce pays, l’alibi de la faiblesse pour rendre compte de l’inertie à différents niveaux de l’administration publique.
Les Haïtiens sont nombreux à souhaiter vivement un changement de gouvernement. Comme au casino, ils sont prêts à parier encore une fois même s’ils ont si souvent perdu leur mise. Encore une fois, ils espèrent gagner le gros lot, soit un vrai leader à l’étoffe intellectuelle nécessaire et doublé du sens de l’éthique et de la responsabilité qui incombe à la fonction du président de la république. De plus, comme si ce n’était pas assez, ils osent réclamer des gens de la même trempe au sénat et à la chambre des députés. Serait-ce surréaliste?
Marc-Léo Laroche
Sociologue
Sociologue
08.07.10