Depuis le début de ce siècle, les médias foisonnent de
récits relatifs aux problèmes de demandeurs d’asile. Si le Canada est, avec
l’Australie et la Nouvelle-Zélande, l’un des principaux pays d’immigration, il ne
se recommande pas par l’accueil des réfugiés. Aussi paradoxal que cela paraisse,
les bénéficiaires du droit d’asile se retrouvent surtout dans les pays pauvres
du Sud, alors que les pays riches du Nord font tout pour les éloigner.
Aussi pour calmer
ceux qui, à l’instar de François Legault, Président de la CAQ, s’émeuvent des
pressions aux frontières, qui craignent que le Canada ne soit devenu
une ‘’passoire’’ et qui voient l’arrivée éventuelle au Québec, d’un
certain nombre de demandeurs d’asile, en majorité d’origine haitienne, comme l’équivalent de ‘’toutes les misères du
monde’’, on doit rappeler que le Canada est l’un des pays du Nord à avoir le
moins œuvré en faveur des bénéficiaires du droit d’asile et qu’il sait, depuis
longtemps, comment s’y prendre pour maintenir à distance les requérant de ce
droit. L’accueil de ces derniers, en ce début du XXIème siècle, est à ce point
problématique, que beaucoup de pays utilisent des procédés souvent abscons pour
les tenir à l’écart. C’est, en grande partie, ce qui explique l’érection des
murs à travers le globe. Dans la décennie 80, il n’y avait pas plus de 15 murs
sur la planète; trente ans plus tard, on en compte près de 100 construits ou
planifiés pour prévenir les conflits et surtout pour endiguer le flux des
demandeurs d’asile.
On est en présence
d’un phénomène qui traduit un double symptôme : d’une part, l’aggravation
des rapports négatifs entre les peuples et, davantage encore, leur migration et,
d’autre part, la déchéance, de plus en plus, des garde-fous juridiques visant à
réglementer ou à juguler ces rapports.
On a tendance,
parfois, à oublier qu’on est en plein dans l’ère de la mondialisation. La mise en branle de cette stratégie d’échanges
internationaux est, dès le début, entachée d’un vice qui aurait pu être rédhibitoire,
s’il y avait une structure d’autorité internationale capable de faire
contrepoids à la domination du Capital. En effet, l’application de cette
mondialisation a été vouée uniquement à la mobilité des marchandises, au détriment de celle tout aussi importante des personnes.
Les conséquences de cette stratégie sont d’autant plus
déplorables qu’elles surviennent à un moment névralgique de l’état de la
planète, avec la détérioration du climat et de l’environnement, forçant des
peuples à quitter leur milieu de vie au bénéfice de territoires moins
instables, plus sécuritaires, voire même plus dispensateurs de ressources. Ces
causes qui sont multiples vont de la sécheresse au réchauffement de l’océan, en
passant par les cyclones, les incendies, les inondations, la fonte des glaciers
etc.
Des signes avant-coureurs très significatifs balisent déjà
l’horizon et font comprendre que l’avenir risque, à moyen terme, d’être gravement
hypothéqué. De larges superficies du globe présentent le danger de n’être plus
habitables, particulièrement dans les régions du Sud. Cela signifie que les
mouvements de population qui accompagnent le cours de ce siècle vont se
multiplier avec le temps. L’expérience des dernières années indique que les
régions nordiques, plus riches et plus stables, sont considérées comme des
destinations de première importance.
Malgré le sang-froid que manifestent la plupart des
responsables politiques canadiens aux demandeurs d’asile qui frappent aux
portes, certains d’entre eux n’hésitent pas à exprimer, soit un irrépressible
besoin de monter aux créneaux pour se faire voir, soit une méconnaissance des
fondements de la migration des peuples. À cet égard, l’article de Pierre Lavoie
‘’Migrants’’[i] :
un terme et des gens qui ont une histoire’’ qui rappelle la migration
des Canadiens français vers la Nouvelle-Angleterre entre 1840 et 1930 pourrait
leur être un sujet de réflexion. Il écrit à leur sujet :’’ lorsque l’élite
clérico-nationaliste de votre pays natal (Québec) vous considère comme de la
racaille matérialiste et que les mouvements ouvriers anglophones et protestants
de votre pays d’accueil (États-Unis) vous perçoivent comme des ‘’ Chinois de
l’Est’’ inassimilables et illettrés, il va sans dire que vos motivations de
départ doivent être substantielles, et ce, peu importe la façon dont vous vous
déplacez entre les frontières.’’[ii]
Tant il est vrai qu’elles peuvent être multiples les raisons
à l’origine de la migration. Ainsi, qu’on
se le dise : les pressions aux frontières ne font que commencer. Avec
l’aggravation des causes qui les ont rendus nécessaires, elles vont s’accélérer
tout au long du siècle. Si l’on s’affole de l’arrivée de quelques milliers de
demandeurs d’asile, qu’en sera-t-il quand les problèmes climatiques obligeront
des centaines de milliers à frapper aux portes?
La réflexion sur ces questions s’accroche souvent, comme à
une panacée, au cadre juridique dans lequel s’inscrit le phénomène
d’immigration. On pourrait le comprendre en période de stabilité des
institutions socio-politiques. Mais lorsque surviennent les bouleversements
planétaires initiés par les dérèglements naturels, il y a grand risque que les
règles juridiques, émanant de la convention internationale de 1951, soient
frappées de forclusion. Le problème se pose quand on essaie de les appliquer,
malgré leur inadéquation à la nouvelle réalité. Car, à moins d’un changement de
paradigme dans l’approche du phénomène d’immigration, ces règles juridiques seraient
poussées à leurs limites, parce que, pas adaptées aux défis que
représenteraient les problèmes climatiques.
Les théoriciens des sciences économiques savent bien qu’il y
a complémentarité entre mondialisation et migration. Selon l’un d’entre eux,
‘’les migrations internationales sont inexorables et s’inscrivent pleinement et
de manière complémentaire dans la dynamique de la mondialisation’’[iii].
Toutefois, dans la pratique politique des états, si les ressortissants des pays
du Nord jouissent du bénéfice d’immigrer, ceux du Sud font généralement face à
l’hostilité, nonobstant des cas
particuliers. En fait, dans les récentes années, l’immigration n’est considérée
que dans la mesure où elle remplit des rôles spécifiques : à part les
tâches que les nationaux refusent d’exécuter dans certains états du Nord, on y
a recours, de plus en plus, pour suppléer à la rareté des cerveaux et des
naissances. Ceci est à la base de ce qu’on a appelé la ‘’diaspora de la
connaissance’’.
En tout état de causes, avec la dégradation de
l’environnement et les problèmes climatiques, c’est à un problème inexorable
que le monde doit faire face avec la question des réfugiés. La réponse qui sera
faite à cette question cruciale sera un indice éloquent de notre degré de
civilisation.à
Marc Léo Laroche
cramoel,blogspot.com
[iii] Mouhoud E.M et J.Oudinet(2010)
‘’Inequality and Migration. What different Europeans patterns of migration tell
us’’ in International Review of Applied Economic, vol 24,no3,july 2010.