La
déclaration de politique générale du gouvernement Préval-Alexis ne peut manquer
de soulever beaucoup d’interrogations. Par exemple, on ne sait rien des moyens
prévus pour faire face à l’ensemble des objectifs du quinquennat, pas plus
qu’on ne soit renseigné sur la manière de consolider la souveraineté nationale
mise à mal par toutes sortes de conditions sociales et politiques, y compris
par celles ayant justifié la présence des Nations-Unies sur le sol national.
Par
ailleurs, la composition plurielle du gouvernement, louable par essence dans
les circonstances, contient dans son principe une contrainte qui n’est pas
forcément à l’avantage du pays. Elle pourrait forcer le gouvernement à des
calculs stratégiques qui soient favorables à sa viabilité politique, mais au
détriment des attributs indispensables comme la compétence, l’intégrité morale
etc. Il s’agit, bien entendu, d’une vision tout à fait théorique qui n’est pas
pour autant superflue, car dans le désert éthique qui a semblé caractériser la
réalité de l’action politique en Haïti ces dernières années, ces qualités
brillaient souvent par leur absence.
Malgré
cette réserve d’importance, on doit s’inscrire en faux contre l’opinion de ceux
pour qui ce discours n’a pas de contenu (Voir, en ligne, Une coquille vide, 12 juin 2006 de Jean-Eric René).
Il faut être un tantinet de mauvaise foi ou avoir une volonté manifeste de
s’abriter derrière des lunettes sombres pour expliquer une charge si résolument
accablante. Au demeurant, cela n’empêche qu’on puisse être pleinement justifié
d’être inquiet de l’avenir.
Pour
notre part, nous croyons préférable de nous arrêter à un aspect de ce discours
qui, pour n’être pas l’un des plus importants, n’en est pas moins très
significatifs. Il s’agit du modèle de représentation de soi que l’haïtien ou
l’haïtienne peut en dégager. La structuration de ce modèle dans la conscience
nationale n’est pas un processus banal. Facteur de l’estime de soi et de
l’orgueil national, elle est appelée à conditionner, dans le cadre, par
exemple, du développement du pays, l’effort de volonté pouvant être consenti en
vue de l’accomplissement collectif.
À cet
égard, la première remarque qu’il convient de faire de ce discours c’est qu’il
se démarque d’une certaine tradition. Nulle part, en effet, il n’est question
d’une rhétorique dont on s’est trop longtemps complu sur une trame épique ou
légendaire dans les communications socio-politiques. C’est d’ailleurs ce trait qui
a valu à plus d’un observateur de considérer qu’au pays de Toussaint-Louverture
l’action est ironiquement phagocytée par le discours.
Bien sûr,
les hauts faits à l’origine de notre indépendance nationale resteront des
événements marquants dans l’histoire des libérations populaires. Aucun peuple
n’a réussi, jusqu’à présent, à égaler la
dimension prodigieuse de notre ascension vers la liberté. Il convenait, par
conséquent que cet épisode fondateur dans l’histoire de la nation haïtienne
soit magnifié et chanté par les générations qui se sont succédé.
Mais s’il
est honorable de glorifier la geste héroïque qui, d’un peuple d’esclaves, a
fait passer le peuple haïtien à l’acte ultime de son émancipation qu’est
l ‘indépendance politique, il est moins louable de battre sans cesse le
rappel de ce passé, hélas! pas toujours pour trouver des sources d’inspiration,
mais plus souvent, semble-t-il, pour se dédouaner d’un présent anarchique ou en
constante déliquescence.
L’histoire des harangues politiques en Haïti fourmille de ces recours à
cette période mythique comme si notre avenir se retrouvait derrière nous. De
fait, pendant deux siècles après l’indépendance, tout s’est passé comme si
Haïti avait cessé d’apporter sa
contribution à la civilisation universelle.
Le
capital symbolique hérité de nos ancêtres avait beau être immense, mais à
l’exploiter comme nous l’avons fait, sans penser à le faire fructifier
comportait un risque grave d’épuisement. Il devenait impératif de trouver un
alibi qui détourne un tant soit peu de
« l’épopée de 1804 », après l’avoir eue comme tremplin, et nous force
à rechercher d’autres sources de richesses pour construire l’avenir.
Il
ressort en filigrane de cette déclaration qu’une de ces sources de richesses
est à trouver dans la détermination nouvelle à changer les mentalités et les
structures qui retiennent le peuple prisonnier du passé, dans la capacité, à
l’aube de ce nouveau siècle, de forger les éléments du destin afin de
galvaniser l’ardeur endormie de ce pays.
On a
compris que pour être en adéquation avec les contraintes existentielles
auxquelles le peuple haïtien doit faire face, il a besoin d’un supplément
d’être qui lui permette de faire appel à des ressorts insoupçonnés afin de se
dépasser dans l’action, en vue du
développement du pays.
Au-delà
de ce qui est manifeste dans le discours introductif, on a cru y déceler une
vision de ce que pourrait être un « après » à la suite du
désenchantement de l’« avant ». Un nouveau départ semblait se
profiler à l’horizon qui n’aurait, on veut l’espérer, rien des pratiques
politiciennes habituelles où le cynisme le disputait à la corruption,
l’arbitraire à l’incurie, l’incompétence à la mauvaise foi etc. Néanmoins, il
faut plus que les bonnes intentions pour neutraliser certains schèmes de pensée
rétrogrades et certaines pratiques dolosives qui se sont invétérées même dans
les sphères du pouvoir.
À cette étape
où tout le jugement sur les réalisations est suspendu, la question obsédante
est celle de savoir si la vision, somme toute, généreuse pour la démocratie
sociale et politique résistera à l’épreuve des faits et si les cyniques de tout
poil continueront à gagner sur les optimistes inconditionnels de ce pays.
À cet égard, les prochains mois du
gouvernement serviront de tests et pourraient même être déterminants dans la
justification de l’énoncé du parti présidentiel. Il en est de même de la
pérennité du sentiment d’espoir qui a surgi tout à coup, d’un point à l’autre
du pays comme des deux côtés de l’atlantique dans la diaspora haïtienne.
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