samedi, février 01, 2014

          QUAND LES ADOLESCENTS DES ANNÉES 50 QUITTENT LES RANGS
                                   La mort de Jean Métellus

     Il est rare que la mort de quelqu’un laisse la même impression à tous ceux qui l’ont connu. Le plus souvent, les avis, sans être nécessairement divergents, focalisent des préoccupations  différentes selon des contingences de lieu, de temps et de situations.

     La mort de Jean Métellus  n’échappe certainement pas à ce constat. Probablement, en raison du fait que sa vie d’adulte s’est déroulée surtout en Europe, loin de sa base géographique, ce n’est ni le personnage du  neurologue ou du linguiste, ni même celui  du poète ou de  l’écrivain  qui nous revient d’abord à l’esprit.

Au préalable, il y a une donnée que nous voudrions écarter au sujet de la famille de Jean Métellus. Dans Requiem pour Jean Métellus.Portrait d'un médecin en poète, Joel Desrosiers dit qu'il était l'"aîné d'une  famille de quinze enfants". Cette donnée, nous l'avons trouvée dans trois articles différents sans savoir lequel a contaminé les autres. À notre connaissance, à part une fille qui serait morte très jeune, nous n'avons connu de la famille, depuis nos treize ans, que quatre enfants, soit Laure, Jean, Marc et Pierre.

      Quoiqu'il en soit, la nouvelle de la mort de Jean nous a laissé dans le même état psychologique que celle d’autres amis et connaissances de la génération des adolescents des années cinquante qui ont quitté les rangs.

     Certains, trop tôt comme Edvard et Joseph Laroche, Lionel Loubeau, Yannick Rigaud, Jean Pierre-Louis etc. victimes de la grande sauvagerie du pouvoir. D’autres,  un plus tard, comme tribut à la nature. En manière d’exemples, citons Rubert Ferdinand, Max Dominique,  Robert Beauduy etc. que nous avons rencontrés dans le cadre de la J.E.C.  Certains mêmes comme Robert  avec qui nous avons fait des rêves, voire même des projets d’action sociale avant de nous perdre dans le labyrinthe de la vie.

     Pourquoi ces départs laissent-ils dans leur sillage  une vague impression d’occasions manquées? C’est cette même impression qui émerge à la mort de Jean Métellus. Bien que ce dernier n’ait pas fait partie de la J.E.C[1], c’est par le truchement de cette organisation que l’adolescent qu’il était, eut  avec nous une rencontre mémorable. Bien  entendu, on se connaissait depuis longtemps. Bien qu’il soit notre aîné de quelques années, nous avons eu l’occasion de fraterniser lors d’une grève d’étudiants contre la répression policière. Il n’empêche que notre rencontre la plus significative avec lui survint plus tard après qu’il eut demandé une rencontre au responsable de la J.E.C que nous étions.

     Il faut savoir que sur le plan intellectuel, Jean avait un rôle de leader dans sa classe, au lycée. Quelquefois, il organisait des rencontres de discussions sur des thèmes sociaux ou politiques préalablement choisis.Muni d’une grille d’analyse peaufinée à l’intérieur de la gauche sur la situation sociale haïtienne, il lui manquait un groupe plus ou moins organisé qui pourrait réfracter les informations qu’il se faisait fort de diffuser à ses condisciples des classes terminales.

     C’est à cet égard que la J.E.C. l’intéressait. Nous formions, à l’époque, l’un des seuls groupes de jeunes organisés qui ne suscitait pas la méfiance. Bien sûr, il y en avait d’autres, d’inspiration marxiste ou autre; mais pour être viables, ces derniers se croyaient obligés d’être  clandestins. C’est  dans  ce contexte que l'organisation de la J.E.C pouvait faire des envieux.

     Lors de la rencontre de Jean avec nous ainsi qu’aux autres membres de l’organisation, sa proposition formulée verbalement se voulait une offre de partenariat, sans trop s’arrêter sur les conditions et les possibles dimensions de l’opération. Ne voulant pas le brusquer, nous lui avons fait comprendre que son offre serait étudiée et qu’éventuellement une décision suivrait.

     Nous le soupçonnions à l’époque, bien entendu, d’appartenance marxiste et nous le voyions insidieusement comme un cheval de Troie. Nous étions certains que ce qui l’intéressait, c’était moins un partenariat avec la J.E.C qu’un noyautage complet sur le plan de la substance quitte à en faire  une tribune pour des analyses critiques sur la situation sociale dans la cité et dans le pays.   

     Pour autant, nous ne lui faisions aucunement grief des idées que nous  lui prêtions, Nous partagions, en effet,  beaucoup d’entre elles. Nos réticences se logeaient surtout dans les moyens logistiques envisagés pour parvenir à ses fins.

     Avait-t-il appréhendé notre désaccord? Il n’était jamais revenu, par la suite, sur sa proposition pas plus que nous avions décidé de lui opposer notre refus. Il est aussi possible que le hasard lui ait donné d’autres préoccupations, ayant été, à l’époque,  à un moment critique de son évolution comme étudiant.

     C’est donc à cette période de notre vie d’étudiant que la nouvelle de sa mort nous a ramené, loin du neurologue ou du linguiste voire même de l’écrivain ou du poète.

 20/ 01/14
Marc.L.Laroche



[1] Lors d’une rencontre avec Jean Métellus en 2005 à l’occasion d’un Congrès à Montréal, nous nous amusions de certains souvenirs jacméliens. Quelle ne fut pas notre surprise quand il nous a convié à considérer l’époque où il était responsable de la J.E.C alors que ce rôle nous revenait!