dimanche, octobre 21, 2007

M-M FLEURANT:LE MASSACRE DES HA¸ITIENS EN 1937

L'article de Maismy-Mary FLEURANT( Le massacre des Haïtiens par le gouvernement de Trujillo en 1937: pour répondre à un devoir de mémoire) jette une lumière crue sur une période sombre de l'histoire d'Haïti. S'il est important de savoir comment les choses se sont passées, cela ne prémunit pas contre un profond sentiment d'humiliation et de honte devant la veulerie des hommes politiques haïtiens. Et cela permet encore moins de comprendre le sens des rapports politiques entre les deux pays depuis le terrible événement.

samedi, octobre 20, 2007

LE CHAMP D'UN TABOU: LES RAPPORTS D'HAÏTI ET DE LA RÉPUBLIQUE DOMINICAINE

Il y a des coïncidences étranges dans le domaine des idées surtout quand le propos n’est pas servi par l’actualité.
Généralement, la question des rapports d’Haïti et de la République dominicaine n’est pas une préoccupation importante. Pourquoi l’est-elle devenue au cœur de l’été à la faveur d’occasions plutôt anecdotiques et banales? Pourquoi un ONG qui a fait l’objet d’intimidation pour avoir dénoncé l’esclavage des Haïtiens dans les bateys de la République Dominicaine et le récit dithyrambique d’estivants haïtiens sur l’expérience touristique en ce pays ont-ils déclenché la réflexion sur ce sujet?

Quoi qu’il en soit, l’article de L.Trouillot dans Le Matin du 5 octobre 2007( Le peuple des terres mêlées, la littérature entre le silence,le réalisme et le volontarisme) en soulevant un problème de fond en rapport avec la question ne pouvait manquer de prolonger davantage la réflexion sur le sujet. Comment dès lors penser Haïti? Est-ce sans sa blessure dominicaine ou avec? Par ailleurs, comment avancer dans les chemins du présent en faisant l’impasse sur les verrues qui jalonnent le cours de l’histoire? A contrario, comment faire taire le cri qui monte des entrailles et qui s’achève sur le bord des lèvres en raison du silence assourdissant sur les pogromes du passé et les horreurs d’aujourd’hui?

Ces impedimenta en se condensant dans la psyché haïtienne en images traumatiques—conscientes ou inconscientes—contribuent à entraver la marche ascendante vers l’épanouissement collectif. Bien entendu, que dans la traversée du chaos des deux dernières décennies, la République Dominicaine ait été utilisée comme une soupape au stress et à la folie collective sans qu’on ait, au préalable, dénoué le nœud gordien, il n’y a rien à redire de l’emploi de cet exutoire. Le phénomène de survie mis en branle dans une telle occurrence a tous les droits. Encore faut-il qu’il ne soit pas un alibi ou le cheval de Troie de la mauvaise conscience jailli malgré la chape de plomb sur la mémoire ou la rigidité des œillères collectives.

 Mais voyons un peu le tableau. Entre les deux nations qui se partagent l’île il y a eu un massacre de plusieurs milliers d’Haïtiens et quelques pogromes au cours du dernier siècle. Des guerres ont eu lieu ailleurs pour des motifs moins graves. Heureusement que les Haïtiens en ont été épargnés! On se serait, néanmoins, attendu à ce qu’un tel événement ait fait l’objet d’un contentieux que l’homme politique haïtien aurait mis toute sa détermination à résoudre. Or, à moins que l’on se trompe, les milliers de victimes entre les deux pays ne semblent aucunement avoir entaché les rapports des deux états. Le même constat semble devoir être fait pour les centaines de milliers qui végètent inlassablement comme coupeurs de cannes dans les bateys. Leur sort ne semble pas davantage avoir jamais ému les dirigeants haitiens. Il y a là un comportement que la faiblesse politique seule ne peut expliquer et qui ressortit nécessairement à l’éthique de la responsabilité gouvernementale. Finalement, c’est le jugement de l’histoire qui en disposera et on espère qu’il sera impitoyable. Pourtant, au long des décennies, la République Dominicaine a souvent été une base arrière pour des politiciens haïtiens en mal de moyens avant de rebondir sur la scène nationale.

 Si la politique haïtienne a été silencieuse et aveugle sur les événements combien malheureux entre les deux pays, on aurait pu croire que la littérature comblerait le vide en témoignant pour les milliers de victimes qui, au long de ce siècle, ont perdu la vie sous les assauts de la police dominicaine. Or, ce témoignage semble loin d’être percutant.« Le massacre de 37, commente Trouillot, n’a pas «inspiré» un grand nombre d’auteurs haïtiens. La poésie qui tint pourtant le rôle de parole fondatrice et de proposition collective ne l’a pas vraiment capté. Il y eut quelques textes, quelques allusions, mais rien de comparable à cette négritude solidaire des autres peuples noirs…que célébrait Brière dans Me revoici Harlem». «Les grands malheurs, poursuit-il, ont tous eu leurs poètes, le massacre de 37 n’aura eu ni Hikmet ni Machado,ni Eluard ni Neruda».

 L’attitude indifférente induite dans la pratique sociale par les champs socio-politique et littéraire n’a jamais été aussi ostensible et révélatrice qu’à l’époque actuelle avec le déferlement des estivants haïtiens sur les plages dominicaines et le noyautage des universités par les étudiants haïtiens. Tout se passe comme si la République Dominicaine était devenue pour l’haïtien le lieu magique où le rêve devient réalité pris qu’il est au piège du chaos et de la folie. Pendant que l’homme d’affaires se prélasse sur les plages de Punta Cana, que l’intellectuel s’y fait masser au son d’une meringue entraïnante, le politique sirote son scotch dans un bar de Santo-Domingo ou à l’ombre d’un lupanar en prenant, comme les autres, ses distances avec les sombres cohortes tapies dans l’ombre comme si elles n’étaient pas rattachées au tronc ancestral.

 Où sont-elles la solidarité et la congruence haïtiennes? Au nom de quelle attitude essentialiste se fonde cette indifférence vertigineuse un peu plus de cent ans après les guerres populaires de l’indépendance? Serait-on tout à coup devenu amnésique au point de ne plus se reconnaître dans l’altérité du deshérité? Il y a quelque chose de doublement malsain dans les rapports entre Haïti et la République Dominicaine. En plus de ce perpétuel refoulement d’un peuple par rapport à une action qui doit être entreprise ou une parole qui doit être dite pour que la plaie devienne guérissable, il y a cet abandon d’une partie de soi-même dans une transaction toujours occultée et dont seul l’étranger reconnaît l’existence.

Mis à part de rares intellectuels haïtiens criant dans le désert, qui parle du paria des bateys hormis les ONG occidentaux depuis trois décennies et des chercheurs de même provenance? C’est un sujet proscrit dans certaines niches de la «bonne société» sous peine de passer pour un gauchiste de mauvais aloi ou pour avoir des affinités ou des accointances plébéiennes troublantes. Or, tôt ou tard, l’abcès doit être débridé. Tôt ou tard, cette parole qui est maintenue prisonnière—à défaut d’une action en réparation-- doit prendre son envol et permettre à l’Haïtien de sortir de son blocage avec le désir de rattraper le temps perdu. La santé des rapports entre les deux nations unies par l’insularité—plus importante encore pour Haïti-- est à ce prix comme d’ailleurs, jusqu’à un certain point, le cheminement vers la modernité.
 Marc L.Laroche
10 oct 2007

jeudi, octobre 18, 2007

LES IMPÉRATIFS DE CONSOLIDATION DE LA SOUVERAINETÉ D'HAÏTI

D’ici 2050, Haïti doit s’astreindre à un projet titanesque : celui de consolider sa souveraineté nationale. La référence à cette prétention risque de faire tiquer plus d’un pour la raison qu’à leur avis, cette souveraineté n’a jamais été ébranlée. Il ne s’agit pas ici de démontrer la profondeur de la dépendance d’Haïti, mais de remarquer simplement qu’on ne vit pas impunément de l’assistance économique et politique internationale sans que des fissures apparaissent à l’édifice national.

A ce sujet, il y a deux sortes de gens pour qui l’évidence ne saute pas aux yeux. 1-Ceux qui n’arrivent pas encore à émerger de l’abîme de la pauvreté et de l’ignorance. 2- Ceux qui, par esprit de système, refusent de voir ou, ayant vu, refusent de tirer les conclusions qui s’imposent. Aux premiers, il appartient au pays de mettre tout en œuvre afin de leur rendre les faits plus clairs et faciliter leur participation à la vie nationale. Aux seconds, on proposera un discours persévérant et persuasif car le projet doit engager toutes les forces vives de la nation, celles de l’intérieur comme celles de la diaspora.

 Ce projet revêt une importance capitale pour le démarrage du pays. En plus de son objectif initial qui consiste à recouvrer la dignité perdue à travers près d’un demi-siècle de turpitudes politiciennes, de conflits, de tâtonnements et d’assistance internationale, il permettrait d’instaurer une pédagogie de l’action salvatrice et concertée autour d’un projet transcendant, comme le fut l’abolition de l’esclavage à la fin du XVIIIème siècle. Si le projet révolutionnaire qui a culminé en la proclamation de l’Indépendance d’Haïti en 1804 tenait du prodige, celui que les Haïtiens doivent se donner en ce début du siècle, pour être différent dans sa forme, ne s’avère pas moins audacieux. Cela tient aux conditions multiformes de la dépendance extérieure d’Haïti et à l’écart considérable, voire le gouffre existant entre l’état de son développement—plus précisément, de son sous-développement—et celui des sociétés qui l’entourent en Amérique et dans le monde.

 L’AMPLEUR DE LA TÂCHE
Pour y parvenir, il faudra à l’Haïtien une longue marche à travers des problèmes multiples et complexes, en plus d’être capable de déplacer des montagnes et de forger des outils dans le creuset de son propre génie. Il lui faudra, à l’instar de Prométhée dérobant le feu aux dieux de l’Olympe, la capacité de se décupler, dût-il, pour cela, subtiliser le pouvoir des loas du vodou. Plus concrètement, le pays devrait s’évertuer à fertiliser ses régions arides ou désertiques, régénérer ses forêts, reboiser ses collines et ses montagnes, ouvrir des routes, réanimer les campagnes en ressuscitant l’agriculture en situation avancée d’anémie.

 Les gouvernements devront accélérer le programme d’alphabétisation, construire des écoles, pas seulement celles, en plus grand nombre, orientées vers des programmes scientifiques, mais aussi d’autres, techniques, permettant de répondre aux exigences de la modernité dans des secteurs de nouveaux besoins. Ils devront, en un mot, repenser le système d’éducation de manière à libérer la force de travail et l’innovation en favorisant à terme, l’autonomie économique du pays.

 De surcroît, Il serait impératif de disposer de ressources humaines et matérielles adéquates pour répondre davantage aux besoins de santé de la population, ouvrir des hôpitaux et des dispensaires pourvus d’équipements nécessaires à leur fonctionnement continu, refondre la fiscalité de manière à ce que tous ceux qui le peuvent puissent contribuer à la consolidation financière de l’État, mettre en place des institutions et des services ayant pour mission d’encourager et de développer l’entrepreneurship haïtien.

 Parallèlement, il faudra faire face aux problèmes multiples que génèrent l’urbanisation accélérée et chaotique et ses conséquences sur le plan de l’environnement et de la santé publique. De même, on ne pourra éviter de répondre aux défis multiples que pose la bidonvillisation de la capitale que ce soit sur le plan de la restitution à l’espace urbain des no man’s land que de la valorisation du capital humain concerné en l’occurrence. A un autre pôle, la nécessité s’imposera d’intervenir pour stopper la dégradation de l’environnement en envisageant des mesures variées comme la gestion des déchets, la mise en place de techniques, autres que le seul reboisement, susceptibles d’apporter un frein à l’érosion des flancs de montagnes.

 Une place importante devrait être accordée à la question des droits constitutionnels. A cet égard, la remise en chantier de la constitution apparaît comme une exigence afin, entre autres, de conférer les mêmes statuts aux Haïtiens de la diaspora qu’à ceux de l’intérieur. Une telle décision libérerait une énergie qui ne demande qu’à s’employer pour l’avancement du pays. Notons en passant qu’il y aurait lieu pour Haïti d’imiter avantageusement plusieurs pays dont, en particulier, le Portugal en ce qui concerne l’extension de la double nationalité. Il faudra beaucoup d’autres mesures pour qu’à l’horizon du prochain demi-siècle, si Haïti ne finisse pas de se libérer du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale, elle puisse disposer de la marge de manœuvre suffisante pour défier les ajustements structurels, boulet au pied de sa souveraineté nationale, et qui l’obligent, en plus d’autres tracasseries, à maintenir la porte grande ouverte aux produits étrangers sans aucune contrepartie.

 LES EXIGENCES SUR LE PLAN DES VALEURS
 Haïti n’a pas le choix des moyens pour se développer. Elle est condamnée, néanmoins, à en avoir la volonté. C’est avec la volonté qu’elle pourra déplacer des montagnes, pas autrement. Mais cela ne se fera pas sans des mesures réparatrices… Le terrain des rapports sociaux est en jachère depuis qu’un tort immense a été fait à la population haïtienne au cours des dix dernières années. En dénonçant certaines franges de la population haïtienne à la vindicte populaire, on a détruit les valeurs qui endiguaient les passions et les pulsions. Il devenait légitime, par la suite, de casser du bourgeois, ouvrant la voie à une avalanche en déchaînement permanent. Les kidnappings contre rançon et, souvent, avec la mort en prime, n’ont pas d’autres fondements. Dans une entreprise de consolidation de la souveraineté d’Haïti, on ne peut passer à côté de l’objectif de l’Unité Nationale, et, par voie de conséquence, à côté de l’impératif d’une réconciliation entre les groupes en présence. Mais, cela suppose une démarche fondamentale sur le plan des valeurs.

 La pratique politique a produit parfois un discours tellement radical dans ses finalités sociales ou même ontologiques qu’on pourrait difficilement, aujourd’hui, faire l’économie d’un anti-discours pour rétablir l’équilibre. Car il faut plus que les pratiques inhumaines des brigands et les discours incendiaires des meneurs de foules de tout acabit pour que la morale sociale s’écarte de ses fondements judéo-chrétiens. Dans cet ordre d’idées, une déconstruction idéologique parallèle au processus de réconciliation s’impose comme une démarche à la fois apaisante et prophylactique. Elle permettrait de contrecarrer la résurgence des vieux démons dans l’arène politique. En regard des conditions idéologiques actuelles en Haïti, la démarche en vue de parvenir à la réconciliation semble, en effet, devoir être précédée d’une période plus ou moins longue de désintoxication populaire où les uns et les autres réapprendraient à partager les chemins du vivre ensemble. On est, à cet égard sur le terrain de l’inexorable.

 LES SIGNES D’ESPOIR
 Si la voie conduisant à la réconciliation et à l’unité nationale devait s’avérer trop cahoteuse pour la majorité, il n’y a pas de doute que le pays ferait face à un empêchement dirimant à toute réalisation vraiment valable en vue de la consolidation de sa souveraineté. Ce ne serait pas la première fois qu’on prendrait le contre-pied de la devise nationale : l’union fait la force. Dans un tel cas de figure, caractérisé surtout par un état de faiblesse généré par les conflits, le pays irait tout droit à l’échec et continuerait à dégringoler vers l’abîme. A moins de vouloir ardemment racheter la dignité nationale même au prix d’une ascèse fondée sur l’épuration des mœurs politiques, le refus de l’assistance internationale et le travail titanesque que commande la situation, Haïti qui fut longtemps un phare pour les nations africaines en mal de décolonisation, et les Afro-américains encore sous le joug yankee, restera longtemps encore comme l’anti-modèle par excellence ou le repoussoir de toutes les nations. De cette ascèse, il semble heureusement que les Haïtiens soient capables, si l’on tient compte du grand désir de changement qui anime les différents groupes sociaux à l’intérieur du pays et souvent de leur disponibilité à contribuer à la vie de la collectivité.

 A cet égard, l’entretien des routes dans certaines localités, le plus souvent, sans aucune rémunération, en est un exemple éloquent. Il n’est pas superflu d’ajouter la fatigue morale générée par la situation du pays. En butte depuis longtemps aux différentes formes de la tragédie, l’Haïtien, par cette expérience même, semble être motivé aujourd’hui à accepter les sacrifices que requièrent les changements souhaités. En ce qui concerne la diaspora, malgré que les dispositions ne soient pas encore prises pour sa pleine intégration à la vie nationale, sa disponibilité est depuis longtemps acquise. Il y a lieu, en effet, de souligner les multiples projets locaux de développement qu’elle patronne déjà et qui émaillent le territoire national. Autant dire qu’elle répondrait affirmativement et se manifesterait de toutes les façons dans le cadre d’un grand dessein national. Ce serait, pour lui comme pour le résidant de la métropole, le témoignage d’un vouloir vivre dans la fierté, cette même fierté qui a tant prévalu à la naissance de la nation.

 Marc L.Laroche
Sociologue
le 24/02/06

mardi, octobre 16, 2007

AUTOUR DE L'AFFAIRE MAILLOUX



Je ne sais que penser de l’opinion de ceux—de plus en plus nombreux—qui croient que l’affaire doc Mailloux, deux jours avant l’intronisation de Michaëlle Jean comme Gouverneure Générale n’est pas fortuite. Elle serait orchestrée dans un but précis dont les raisons ne sont pas claires. Quoi qu’il en soit, en marge de cette affaire, je préfère pousser ma réflexion vers d’autres avenues.

D’abord, il n’est que d’observer comment la table est mise à l’émission Tout le monde en parle pour se rendre compte que les invités se font souvent manipuler. On les lance sur la piste des lièvres à débusquer et les voilà partis, tous muscles tendus, à la poursuite de leur proie. Il est vrai que ces précautions s’avèrent superflues pour un prédateur du calibre de doc Mailloux.

Mais ensuite, non content de manipuler les invités, voilà que Radio-Canada récidive avec le public. Des protagonistes de ce réseau, Mario Clément directeur de programmes et Guy A Lepage producteur de l’émission, n’ont-ils pas déclaré: " Nous sommes de ceux qui pensent que les discours offensants, réducteurs et haineux doivent être discutés publiquement et dix fois plutôt qu’une "?

Je m’inscris en faux contre une telle assertion, car le biais pris pour en discuter relève de la sanction pénale. C’est par de tels biais que Ernst Zundel le ressortissant allemand antisémite a subi les rigueurs de la loi et a été déporté dans son pays d’origine.

D’ailleurs, il faut être grandement naïf pour ne pas voir la tentative de manipulation de ce discours. Tout se passe comme si Radio-Canada se découvre tout à coup une mission de purger la société de ses tares. Heureusement que les gens veillent et savent discerner le vrai du faux et, en l’occurrence, comment cette chaîne exploite les bas instincts de tous les doc Mailloux pour augmenter son audience auprès de la population québécoise. Car là réside son objectif primordial qu’elle tient à garder loin de la lumière.

En marge de la même affaire, l’émission Le Point a eu à rencontrer trois spécialistes sur la question particulière des tests psychométriques. Il paraît que les noirs par suite d’une sélection artificielle(!) intervenue dans le cadre de l’esclavage et les amérindiens accuseraient un déficit de 15 points sur l’échelle du Q.I. Ils seraient donc génétiquement moins intelligents que les blancs par exemple. Les réserves apportées sur ces questions par un neuropsychologue de l’université de Montréal et un psychologue de l’UQAM ont paru satisfaisantes. Les tests psychologiques sont supposés mesurer quelque chose, mais il n’est pas certain, pour de multiples raisons, que ce soit l’intelligence. De telles réserves étaient absentes du discours de Serge Larivée, diffuseur des thèses racistes de Herrnstein et de Murray élaborées à partir des résultats de tests psychométriques. Il ne serait jamais venu à l’esprit de Serge Larivée qu’on pourrait renverser la proposition de Herrnstein et de Murray et de voir dans les conditions de vie les déterminants des capacités intellectuelles. Au contraire, il n’a cessé de mettre en relief la scientificité de ces tests comme pour accréditer l’infériorité des groupes en question.

En écoutant Larivée, je ne pouvais m’empêcher de régresser au 19ème siècle où sévissaient l’anthropométrie en général et la craniométrie en particulier dans le cadre de l’école anthropologique de Paris. S. J. Gould a mis en lumière le rôle prépondérant qu’a joué Pierre Paul Broca à la tête de cette école. A cette époque, il ne s’agissait pas, d’abord, de mesurer l’infériorité des noirs, mais surtout celle des femmes, et l’on se vantait alors, de le faire avec " une certitude scientifique. " Bizarrement, l’idéologie scientifique n’est jamais bien loin quand les crypto-fascistes de tous poils montent aux barricades ou s’évertuent à noyer ceux qu’ils veulent considérer comme inférieurs.

Écoutons Gustave Le Bon, l’homme qui a fondé la psychologie sociale et grand disciple de Broca s’exprimer scientifiquement sur l’infériorité de la femme: ''Dans les races les plus intelligentes, comme les Parisiens, il y a une notable proportion de la population féminine dont les crânes se rapprochent plus par le volume de ceux des gorilles que des crânes du sexe masculin, les plus développés. Cette infériorité est trop évidente pour être contestée un instant, et on ne peut guère discuter que sur son degré " Plus loin, il poursuit : " Vouloir donner aux deux sexes, comme on commence à le faire en Amérique la même éducation et par suite leur proposer les mêmes buts est une chimère dangereuse."

Il n’est donc pas surprenant qu’après l’école anthropologique, c’est la psychologie qui a pris la relève des mesures de l’intelligence avec les tests psychométriques. Aujourd’hui le psychologue Le Bon serait renversé de constater que la femme inférieure qu’il voyait dans ses élucubrations scientifiques a damé le pion à bien des hommes et singulièrement, au milieu scolaire, lieu d’élection des performances psychométriques.

Aurait-il la propension à mettre en cause la finalité de ces tests? Peut-être se contenterait-il de changer de cible et de s’occuper des noirs comme le fait Larivée? D’ailleurs, dès 1881 dans le sillage de Broca, un des disciples n’a-t-il pas fait remarquer que " les hommes des races noires ont un cerveau à peine plus lourd que celui des femmes blanches "? Il soutenait alors toujours très scientifiquement que " les femmes et les noirs étaient comme des enfants blancs et que ces derniers, d’après la théorie de la récapitulation, représentaient une phase adulte ancestrale (primitive) de l’évolution humaine. "

En ce début du nouveau millénaire, on pourrait croire s’être débarrassé de ces impedimenta d’ignorances d’un autre âge. Ce serait une grossière erreur, car on doit tenir compte de tous les fascistes et crypto-fascistes qui font leurs choux gras des théories malsaines et qui se complaisent à maintenir les groupes qu’ils abominent dans le carcan du déterminisme biologique quand ce n’est pas dans un réseau inextricable de préjugés. A l’adresse de ces gens, j’aimerais citer un passage de Gould, l’éminent paléontologue de l’Université Harvard qui n’a cessé toute sa vie de démonter ou de pourfendre les thèses racistes de ses compatriotes :



" L’Homo Sapiens, dit-il, est apparu il y a au moins cinquante mille ans et, depuis cette époque, nous n’avons pas la moindre preuve d’une amélioration génétique quelconque. [] Tout ce que nous avons réalisé, pour le meilleur et pour le pire, est le résultat de l’évolution culturelle [Souligné par nous.]

Et nous l’avons fait à une vitesse qui est sans commune mesure avec toute l’histoire précédente de la vie. [] Ce que nous avons appris en une génération, nous le transmettons directement par l’enseignement et les textes. Les caractères acquis sont héréditaires dans les domaines de la technologie et la culture."

Cette perspective d’une transformation accélérée, loin de la lenteur des processus biologiques ouvre les horizons d’un " avenir libérateur " et constitue donc-- n’en déplaise aux Larivée de ce monde-- la revanche de la culture sur la biologie.
Marc-L Laroche
Sociologue
le 13/10/05

D'HAÏTI ET DES HAÏTIENS

Récemment, dans un article à votre journal, j’en ai appelé implicitement à la bonne volonté des Haïtiens en vue d’un engagement pour le développement du pays. Je répondais au constat de déliquescence dans laquelle se trouve ce pays depuis trop longtemps, sans qu’apparaissent à l’horizon des lueurs de développement. Entre autres réactions plutôt positives à ce texte, j’ai été, néanmoins, qualifié de " naïf " par un commentateur : mes propos traduiraient, au pire, un refus de regarder la réalité en face, au mieux, une méconnaissance de l’âme nationale dans ses tendances à l’apathie, quand la convoitise du bien public n’est pas en jeu. Il associait mon comportement à un manque de repères psycho-culturels dû à un séjour prolongé à l’étranger. D’où mes vaticinations stériles d’intellectuel auxquelles le peuple haïtien ne serait aucunement sensible, pas plus qu’à l’appel de la solidarité ou à des préoccupations qui mettent à contribution l’engagement de la collectivité.

Si cette réaction est, en l’occurrence, singulière, elle ne traduit pas moins une tendance qu’il convient nécessairement d’objectiver. En fait, je l’avais échappé belle, car il s’en fallait de peu que je ne sois taxé d’hypocrite comme ces Haïtiens qui tiennent, paraît-il, des discours patriotiques idéalistes à l’étranger et qui, une fois nommés ministres, tournent casaque à la vitesse de l’éclair. Dorénavant, ce qui les préoccupe, apprend-on, c’est davantage leur marge discrétionnaire sur le budget administré, quand ce n’est pas surtout les 20 à 30% de commissions sur le financement des projets qui transitent par leur ministère. D’autres se contentent d’expliquer ces revirements par la grande capacité de récupération du système politique haïtien, comme s’il allait de soi que les principes moraux ou éthiques ne faisaient pas le poids devant la vénalité générale.

En effet, selon un mythe reconnu pour sa ténacité, l’Haïtien parvenu au sommet de l’état n’aurait rien de plus pressé que de piller le trésor public. A défaut de pouvoir atteindre ce sommet qui lui permettrait de donner libre cours à sa cupidité, toute son énergie serait vouée à circonscrire les positions stratégiques qui s’en rapprochent, perçues qu’elles sont comme le sésame ouvre-toi de son rêve de mobilité sociale. Ce modèle de comportement ou ce fantasme qui a toujours existé, devrait se perpétuer, conformément à la tendance susmentionnée, quelles que soient les transformations à venir dans ce pays. Sous la forme d’attributs ou de ressorts psychologiques, ils seraient répartis dans toute la population et auraient, semble-t-il, leur lieu d’élection privilégié dans l’administration publique. Peu importe le régime politique, ils contamineraient indifféremment tous les paliers du personnel, du sommet à la base, jusqu’aux unités dispensant des services aux plus démunis de la population.

Cette réaction est, à l’évidence, symptomatique du désenchantement découlant des vicissitudes historiques de la nation : l’Haïtien n’a pas traversé les mille obstacles dressés sur sa route depuis les guerres de l’indépendance jusqu’aux péripéties sans nombre qui jalonnent son parcours dans l’action politique, sans en garder des marques dans les replis de sa psyché. Est-ce à cause de ces expériences malheureuses que sa vision est embuée de méfiance et de pessimisme? Quoi qu’il en soit des causes, au-delà des pesanteurs ataviques, la réaction traduit certainement, dans la confrontation avec la réalité d’aujourd’hui, une attitude foncièrement cynique et très peu propice à la recherche de solutions aux problèmes qui assaillent le pays. En conséquence, à cause de ses fondements, au moins en partie, dans la vie quotidienne, il devient difficile de combattre une telle attitude. On est en présence de traits culturels qui s’invétèrent et au sujet desquels toutes les hypothèses sont permises.

C’est une lapalissade de dire que la société haïtienne est pauvre. A part quelques familles qui disposent d’une certaine fortune transmise par héritage, la plupart des autres familles à bénéficier d’une relative aisance ont eu recours, hier ou aujourd’hui, et de façon plus souvent malicieuse que légitime, à la propriété de l’état. Le ressortissant de ce pays semble peu convaincu que le travail peut ouvrir la voie à l’enrichissement. Dans sa perception du champ socio-politique, les méthodes privilégiées pour y parvenir englobent, mis à part le trafic des stupéfiants de tendance récente, un éventail de procédés illicites constitués par des manœuvres étendues de spoliation, toute chose pouvant offrir un raccourci sur la voie de la réussite sociale. D’autant qu’en général, s’accaparer d’un bien appartenant à l’état, sans se faire prendre la main dans le sac, est considéré comme un acte d’intelligence comme est considéré stupide le passage à un ministère sans s’être remplumé. Il y a ici une distorsion du sens civique sur laquelle nos mythologies culturelles demeurent significativement silencieuses.

Comme il n’a pas l’habitude de la richesse, l’Haïtien ne sait pas comment se comporter quand d’aventure cela lui arrive du ciel ou d’ailleurs. Le patrimoine qui défie le temps et qui se transmet d’une génération à l’autre dans la famille, c’est l’affaire des autres. En ce qui le concerne, il en a plutôt une conception tout à fait ostentatoire. Tout se passe comme si, compte tenu de la provenance douteuse de cette richesse, il fallait la jeter par la fenêtre au plus vite. C’est à qui va construire la maison la plus grande, pas nécessairement la plus esthétique ni la plus confortable, et va disposer de l’écurie la plus sophistiquée. Les cas de familles avec plusieurs voitures de luxe, alors qu’une ou deux auraient été amplement suffisantes, ne sont pas rares. Là où d’autres peuples se préoccupent de faire fructifier leur pécule quitte à dépenser une partie des intérêts, lui, il dilapide son capital en dépenses somptuaires comme s’il était inépuisable. A la vérité, le désir chez lui d’en mettre plein la vue est tellement fort, qu’il oblitère son jugement et le rend incapable d’appréhender les conséquences de ses gestes.

Quoi d’étonnant alors à ce que l’état, source de toute richesse, soit de tout temps assiégé par une fraction importante de la population. Dispensateur des moyens conduisant à la mobilité sociale, dans la représentation populaire, il se voit assigner à lui seul le rôle de dynamiser la structure sociale. Ce n’est donc pas l’Haïtien qui ferait sien le mot de Khalil Gibran aux Libanais au début du siècle dernier (mot incidemment repris sans avouer ses sources par J.F.Kennedy) : " Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour votre pays " Cette proposition s’inscrit en opposition avec sa mentalité profonde en ce qui concerne le rôle dévolu au pays et, bien entendu, à l’état qui le représente.

Ainsi, avec le temps, même lorsque les acteurs changent, c’est la même partition qui se joue. Pas un iota n’a changé dans les comportements, au sommet de l’état, comme à la base, chez le peuple. A la prévarication et à la rapacité des uns répondent le cynisme et la convoitise des autres. Le seul point sur lequel ils se rencontrent, c’est dans la perception de l’état comme un perpétuel démiurge des conditions d’existence.

Tant que persistera dans la société cette représentation de l’état, les choses resteront telles qu’elles ont toujours été, comme d’ailleurs l’attitude cynique qui tend à légitimer le déterminisme des conditions sociales haïtiennes. A moins de magnifier le rôle des naïfs qui sont, en l’occurrence, des citoyens dans le plein sens du mot, de tous ceux qui, en dépit des pesanteurs de toute nature, croient à un sursaut de conscience dans l’histoire et qui travaillent pour que l’utopie d’aujourd’hui devienne la réalité de demain, les choses risquent de se perpétuer indéfiniment. Car la logique du cynisme qui conduit à la fatalité récuse le pouvoir de la volonté dans l’histoire, comme d’ailleurs l’ordre des moyens pour l’étendre et l’approfondir. Malgré que l’arène où évoluent les peuples grouille de forces obscures, qui agissent dans tous les sens, ces dernières n’arriveront pas à neutraliser le rôle du citoyen en tant qu’animateur de l’histoire. C’est là où le déterminisme est battu en brèche par ce dernier qui propose une vision nouvelle de la société et des actions propres à la transformer.
Marc L.Laroche
le 22/03/06

lundi, octobre 15, 2007

DE LA PALESTINE À HAÏTI

En dépit des différences évidentes entre les peuples palestinien et haïtien, leur trajectoire socio-politique n’est pas sans présenter des points de convergence, ne serait-ce que, entre autres, par le marasme de leurs institutions politiques et la place occupée par leur diaspora respective dans la vie nationale.

 Pour des raisons diverses, ces deux peuples ont, depuis longtemps, été au centre des enjeux idéologiques d’importance dans la géo-politique mondiale. Ce n’est pas par hasard si la nation haïtienne, dès sa naissance, a été mise au ban des nations occidentales. En se libérant du joug de l’esclavage, elle se présentait comme un modèle à tous les peuples asservis. A cause de cela, depuis plus de 100 ans, elle a été combattue de toutes les façons. Qu’aujourd’hui encore, elle attire l’attention pour d’autres raisons ne fait que souligner, encore une fois, sa position de pion sur l’échiquier de la politique internationale

.En ce qui concerne la Palestine, aussi paradoxal que cela paraisse, elle est la meilleure assurance pour les juifs contre l’oubli de l’Holocauste par les Occidentaux. C’est elle qui empêche la plaie de se cautériser et maintient vivant l’effort ou le devoir de mémoire. S’il est important de noter que le statut politique de la Palestine dérive de la culpabilité de l’Occident vis-à-vis du peuple juif, il est encore plus important de comprendre sa position stratégique dans le casse-tête du Moyen-Orient et la façon dont elle est appréhendée par la communauté internationale en relation avec la nature de l’état d’Israël.

 L’ironie du dernier scrutin palestinien, c’est qu’à un moment où la Palestine est sous la loupe, bien entendu d’Israël, mais surtout des membres du quartet ( ONU, UE, Etats-Unis, Russie), personne dans les capitales occidentales, pas plus qu’au Moyen-Orient, n’avait vu arriver l’occimoron explosif que représente les 76 sièges du Hamas sur les 132 que représente l’Assemblée. L’absurdité de la situation c’est que pressé par l’Occident de se soumettre aux activités démocratiques que sont les élections, conformément aux exigences du processus de paix, la Palestine en arrive à une institution législative dominée par un parti considéré comme terroriste et dont la charte prône la violence et la destruction d’Israël.

Comme quoi, il ne suffit pas toujours de poser les gestes de la démocratie pour recueillir des fruits démocratiques. Or, ce qui s’est passé en Palestine risque fortement de se produire en Haïti lors des prochaines élections. Beaucoup d’analystes sur le terrain savent que le climat qui règne en Haïti depuis longtemps n’est pas propice aux élections. Au cœur de la capitale existent plusieurs zones de non-droit que n’ose franchir la police nationale avec ses équipements rudimentaires, pas plus que le contingent de la MINUSTAH malgré la protection de ses chars d’assaut.

En conséquence, plutôt que d’observer l’emprise policière sur les quartiers dangereux, avec le temps, c’est le contraire qui se voit avec l’extension géographique de ces derniers. Il s’ensuit que les auteurs de kidnapings contre rançons, de viols, de meurtres etc. ne sont nullement inquiétés; leur contrôle de la situation est tel qu’ils ont l’assurance que leurs crimes demeureront impunis. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ces malfrats qui sévissent sans discontinuer ne sont pas toujours des affamés que l’occasion d’enrichissement appâte; ce ne sont pas non plus des anarchistes, si l’on veut entendre par ce terme des individus qui se contentent de défier la loi ou l’autorité. Leurs crimes et la situation sociale chaotique qu’ils génèrent sont orchestrés pour avoir des finalités précises.

La question à poser, en l’occurrence, est celle de savoir à qui profitent les crimes et le chaos social qui en découle? À cette question, beaucoup d’observateurs haïtiens de la scène politique connaissent la réponse. Voilà pourquoi, depuis plus d’un an, ils n’arrêtent pas de tirer la sonnette d’alarme. Pourtant, cette analyse haïtienne de la situation sociale en Haïti n’a jamais pu percer le mur de l’indifférence des administrations internationales, pas plus de celle des représentants onusiens en Haïti. On en veut pour preuve le fait que là où la répression aurait été appropriée pour enrayer l’insécurité endémique qui sévit depuis trop longtemps à Port-au-Prince, les forces étrangères se sont contentées d’adopter le mode de l’expectative. Il y a, en filigrane, une raison déjà signalée. Avec la déliquescence de ses institutions, Haïti est devenue une plaque tournante pour beaucoup d’ambitions régionales ou hémisphériques.

Au-delà du projet de favoriser la stabilité des institutions du pays dont certains groupes d’intérêts étrangers n’en ont cure, Haïti est plutôt perçue comme le lieu de prédilection où certaines ambitions peuvent le mieux se réaliser. D’où le mot d’ordre cynique que beaucoup semblent adopter : " qu’importe si Haïti va vers un naufrage, pourvu que nous ayons des bénéfices pour la réalisation de notre mandat. " Sans compter, par ailleurs, que les bénéfices peuvent découler du naufrage lui-même… Par conséquent, plutôt que d’avoir des élections dans de mauvaises conditions—des conditions surdéterminées par des manœuvres criminelles qui risquent de fausser le jeu de la démocratie---il est cent fois préférable de les retarder quitte à prolonger la période de transition, cent fois préférable que les élections ne viennent pas légitimer la mainmise des tenants de tous poils de la violence et la guerre inévitable des groupes sociaux.Il y a, en effet, un risque très grand qu’Haïti se retrouve avec des résultats qui constituent non seulement une insulte au credo démocratique comme en Palestine, mais, surtout, un crime contre une population qui a déjà connu son lot de souffrances. Ce risque, le Conseil de Sécurité l’a pris, en insistant pour que les élections aient lieu, coûte que coûte, le 7 février prochain.

 Marc L.Laroche
le 29/01/06

LETTRE OUVERTE À ALAIN FINKIELKRAUT


On a été accoutumé à penser, depuis un certain temps, que le Front National représentait en France, malgré les prestations des dernières élections présidentielles, un courant minoritaire. Mais, à observer ce qui s’écrit dans l’Hexagone, à l’occasion de la crise des banlieues, on est moins sûr de cette appréciation.

On semble assister, en effet, à un élargissement de la droite en concomitance avec un tassement de la gauche, du moins dans les réactions d’une fraction caractérisée de la population. La virulence des discours et leur champ intellectuel de provenance incitent à croire aujourd’hui que le Front National a de beaux jours devant lui. Au point de penser que vous qui chassez sur les terres de ce parti ne seriez pas dépaysé dans le fauteuil du chef. A défaut d’avoir l’étoffe de ce dernier, vous en avez, au moins, les coups de gueule et cela est de plus en plus remarqué dans le paysage politique français et même à l’étranger.

En fait, vous avez deux atouts qui manquent au vieux réac. Vous avez, d’une part, une ferveur républicaine qui sent le zèle du néophyte. Pourtant, il n’y a aucun mal à être un immigré de la deuxième génération. Malgré qu’un excès de zèle, manifestation souvent d’un complexe, peut parfois pousser à des dérives sur le plan politique.

D’autre part, vous avez une réputation de philosophe qui vous permet, comme d’ailleurs à d’autres anciens " nouveaux philosophes ", de masquer les autres personnages qui vous habitent et au nom desquels vous prenez la parole sur la place publique. On sait, entre autres, à quels sophismes vous avez recouru pour justifier la guerre étatsunienne contre l’Iraq. Si ces prises de position ont pu mystifier certains, il y a de plus en plus de gens que vos exercices de prestidigitation ne leurrent plus. Ils en ont découvert les ressorts et les voient à l’œuvre dans nombre d’opinions qui se donnent souvent pour des analyses philosophiques.

Ce sont ces ressorts qui se révèlent dans votre parti pris de vous en tenir à une analyse unidimensionnelle et triviale des banlieues, dans votre obsession à voir la touche religieuse dans les manifestations violentes des jeunes même lorsque la religion était maintenue à distance. On voudrait, dites-vous, " réduire les émeutes des banlieues à leur niveau social. Voir en elles une révolte de jeunes de banlieues contre leur situation…Le problème est que la plupart de ces jeunes sont noirs ou arabes et s’identifient à l’Islam…Il est clair, qu’il s’agit d’une révolte à caractère ethnico-religieux "

Pourtant le directeur de la police nationale est d’un autre avis : " Les violences en banlieue n’ont aucun lien avec des institutions ou des préoccupations religieuses " Au fond, avouez-le, cela vous aurait fait tellement plaisir que les révoltés des banlieues se réclament d’une allégeance islamiste ou, mieux encore, qu’ils emploient des propos qui vous eussent donner l’occasion de dénoncer le complot contre l’occident judéo-chrétien ou de crier, comme d’habitude, à l’antisémitisme! Il est vrai que si les alibis vous arrangent, vous pouvez bien vous en passer quand il s’agit de monter aux créneaux pour vos affabulations ou vos croyances.
On peut aussi observer ces ressorts dans votre insistance à ne voir dans les scènes de violence dans les cités, plutôt qu’une indication du désespoir des acteurs ou un prodrome du mal social de la République " un gigantesque pogrome antirépublicain " quand ce n’est pas de la haine pure. On l’observe aussi dans le verbe imprécatoire par lequel vous pourfendez les casseurs : " faces stupides, abjectes et viles, où le triomphe de l’ivresse, la drogue et la bêtise mettent comme une crapulerie rayonnante (sic) "et dans la banalisation que vous faites des signaux multiples par lesquels les jeunes des cités essaient de communiquer le vide de leur existence dans un monde pour eux sans horizon.

Ce sont également ces ressorts qu’on trouve dans votre réclamation à peine voilée de reconnaître l’unicité historique du crime contre l’humanité que fut l’Holocauste : " Le modèle de la Shoah, dites-vous, plane désormais sur toutes les horreurs collectives. Cette concurrence des victimes doit être combattue sans répit ." On trouve également ce ressort dans le négationnisme que vous pratiquez, en corollaire, à l’égard des crimes qui jalonnent les siècles du colonialisme dont plus de trois cents ans de traites négrières avec le support juridique sophistiqué que fut le Code Noir. Selon vous " L’esclavage n’était pas une Shoah, pas un crime contre l’humanité "; et vous vous désolez que " désormais, on enseigne qu’ils [ l’histoire coloniale et l’esclavage] furent uniquement négatifs, et non que le projet colonial entendait éduquer et amener la culture aux sauvages "

C’est ainsi que le philosophe, ou plutôt, l’autre personnage qui s’avance masqué à sa place se sert d’un repoussoir pour maintenir à distance les idéaux de l’humanisme afin de consolider l’ordre bourgeois républicain dont il se veut, à la fois, le zélateur et le thuriféraire. Dans cet exercice, on ne s’étonne pas de rencontrer des attributs apparemment antinomiques (philosophe et raciste) sous le même chapeau. Une telle opération de renversement de perspectives due à des rapprochements sémantiques incongrus est, paraît-il, le prix à payer en mystification idéologique et, comme on le constate, ce prix a été payé rubis sur l’ongle.

En dépit de la désinvolture et de la mauvaise foi avec lesquelles vous avez approché la crise des banlieues, en utilisant sciemment de faux concepts, la majorité des gens ont bien vu l’importance des enjeux dans une société pluriculturelle laminée par de sacro-saints idéaux républicains. Mais, cela vous justifierait plutôt de paraphraser ce mot célèbre de l’histoire de la France colonialiste " Périssent les minorités plutôt qu’un principe " A ce sujet, ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater que ceux chez qui on attendait de la lucidité pour faire face aux défis de la non-reconnaissance et du désespoir des minorités, sont précisément ceux-là qui se promènent manifestement avec des œillères dans les allées du pouvoir ou de la connaissance. Là-dessus, on ne peut qu’être d’accord avec le sociologue Jean Beaudrillard quand il écrit au sujet de la crise des banlieues: " Rien n’empêchera nos politiciens et nos intellectuels éclairés de considérer ces événements comme des incidents de parcours sur la voie d’une réconciliation démocratique de toutes les cultures. Tout porte à considérer au contraire que ce sont les phases successives d’une révolte qui n’est pas près de prendre fin ." Et on peut d’ores et déjà ajouter que ce n’est sûrement pas des " philosophes " à plusieurs faces que viendra la solution des problèmes du temps présent.

Marc L.Laroche
Sociologue
Montréal, le 15 décembre 2005

QUELQUES TENDANCES SOCIO-POLITIQUES DU NOUVEAU SIÈCLE


Avec la chute du Mur de Berlin et la désintégration de la Russie Soviétique consécutive à la faillite du communisme, d’aucuns croyaient pouvoir pousser un soupir de soulagement. C’était la fin d’une ère et le début d’une autre qui consacrerait la paix dans le monde. Le mythe de la " fin de l’histoire " dans l’œuvre de Fukuyama n’a pas d’autre justification.

Le nouveau siècle allait donc s’ouvrir sur des perspectives qui n’avaient rien à voir avec celles qu’auguraient, au siècle dernier, les deux guerres mondiales avant de culminer, vers la fin de ce siècle, à la peur et à la menace apocalyptique d’une guerre thermonucléaire qui risquerait de détruire la vie sur cette terre. Mais l’analyse des tendances profondes du nouveau siècle porte très vite à déchanter, car jamais dans l’histoire de l’humanité, les conditions de survie de l’espèce humaine sur la planète, ne s’étaient montrées plus menacées et plus précaires. On peut en voir les manifestations, entre autres, dans la gestion planétaire de la pollution, dans la prévalence des modèles de résolution des conflits entre les États, dans les formes privilégiées dans la satisfaction des besoins des individus et des peuples etc. La réflexion qui suit est vouée à un bref survol de chacune de ces questions.


1—La géopolitique de la pollution à l’échelle du globe


Il ne fait pas de doute que la conscience et la connaissance des problèmes écologiques ont fait un bond prodigieux au cours des trente dernières années. Néanmoins, il appartient à ce nouveau siècle d’être confronté à l’énorme défi de les régler. Ce défi est d’autant plus grand qu’on ne peut pas compter sur la dramatisation planétaire du problème pour voir s’y engager les volontés nationales. On en veut pour preuve le fait que l’amincissement de la couche d’ozone et les conséquences que cela entraîne sur la planète (réchauffement de la terre, fusion des glaces, montée des océans, désordres atmosphériques, maladies etc.) n’ont pas suffi à convaincre tous les États d’adhérer au Protocole de Kyoto sur la question des gaz à effets de serre. On sait que les Etats-Unis, en particulier, qui sont responsables en termes relatifs de la plus grande partie de la pollution mondiale, se sont retirés de ce Protocole pour n’avoir pas à envisager des changements dans leur système économique et leur mode de vie.

Or, ce qui doit être fait sur le plan écologique pour la pérennité des espèces vivantes sur le globe ne saurait souffrir de retard. A cet égard, malgré l’alarme du Club de Rome au début des années 70, les hommes ont attendu trop longtemps avant d’être frappé par l’éclat de la lumière et de se rendre compte que la terre risque de ne plus être habitable si de profonds changements ne s’opèrent dans le mode de vie de ses habitants. D’où l’urgence de l’action dans ce domaine. Il est clair que cette urgence n’est pas reconnue, du moins par les Etats-Unis, la première puissance mondiale.


2—La géopolitique des conflits à l’aube du nouveau siècle

L’ONU a été, incontestablement, la meilleure réponse aux conflits perpétuels qui jalonnent les siècles passés. En effet, au fur et à mesure que les États ont été intégrés à cette institution internationale, on pouvait croire que les conflits allaient trouver dans ce forum les conditions de leur règlement et qu’ils auraient tendance, par le fait même, à se résorber. Or, si l’Organisation des Nations-Unies a pavé la voie à la résolution de quelques-uns de ces conflits, on doit, néanmoins, se rendre à l’évidence que ses échecs sont plus éloquents. Il n’est que de penser à la litanie des résolutions du Conseil de Sécurité sur les questions orientales restées lettre morte pour s’en convaincre. Alors que les Etats-Unis se sont embarquées à toute vapeur dans l’aventure d’attaquer l’Irak à cause de son refus de se soumettre, à leur manière, à ces résolutions, il est significatif de noter qu’au même moment, ils apportent, sans vergogne, leur soutien indéfectible à l’état hébreu dans son refus d’obtempérer à des résolutions de ce Conseil encore beaucoup plus nombreuses sur le conflit israëlo-palestinien. Comment une telle situation de discrimination à la face du monde ne pourrait-elle pas déconsidérer l’ONU?

Cette situation illustre très bien la dégradation morale de l’institution internationale que De Gaulle appelait déjà " le machin " avant qu’elle ne connaisse certains de ses plus cuisants échecs. Mais c’est l’avènement de Geoges.W. Bush à la Maison-Blanche qui semble lui avoir assené le coup de massue. Ce dernier, en énonçant par à-coups sur les relations internationales ce qu’on a appelé pompeusement sa " doctrine ", a mis en relief deux éléments essentiels de la nouvelle politique des Etats-Unis. D’abord, la revendication de leur unilatéralisme en matière de politique internationale. Dans cette optique, la lutte contre le terrorisme et la perspective de la guerre contre l'Irak qui les ont obligés à une démarche multilatéraliste se révèlent davantage une tentative opportuniste plutôt qu’une décision de conviction. Ensuite, la revendication par les Etats-Unis d’une action militaire préventive, en dehors de l’ONU et du cadre juridique international.

On en est loin du besoin qui a prévalu au lendemain des guerres mondiales de policer les relations internationales. Car, par beaucoup de leurs réflexes et de leurs actions politiques, les Etats-Unis semblent être revenus à l’époque où le continent américain tout entier était considéré comme leur arrière-cour et prenaient ombrage, dans cette aire, des influences de centres politiques et culturels externes comme celles de la France à l’époque. C’est d’ailleurs dans cette logique que le président Wilson s’était prévalu du supposé droit d’occuper Haïti en 1915 comme d’ailleurs d’autres états de l’Amérique espagnole.

L’avènement de la Guerre Froide n’avait fait qu’intensifier cette pratique. A la supériorité affirmée des Etats-Unis, s’opposait la puissance soviétique. Le monde allait être divisé en deux blocs idéologiques, politiques et militaires, alimentant entre eux un conflit larvé et garantissant paradoxalement une ère d’équilibre.

Mais, depuis l’implosion de la puissance soviétique, les Etats-Unis occupent tout l’espace de la puissance, certainement politique, sinon tout à fait militaire. Et ils se déclarent prêts à s’y maintenir coûte que coûte, considérant déjà, comme certaines déclarations de la Maison-Blanche semblent l’accréditer, que toute velléité d’en contester la légitimité par une quelconque forme de concurrence, serait considérée comme inamicale et combattue en tant que telle.

C’est la première fois que les Etats-Unis sont allés si loin dans l’affirmation de leur hégémonie et leur unilatéralisme politique. Avis donc est donné aux puissances en devenir comme l’Inde, la Chine, la Russie et même les alliés occidentaux.

Mais, il y a plus. Non contents d’affirmer au monde leur puissance économique, politique, militaire etc. les Etats-Unis revendiquent le leadership moral du monde. Par un manichéisme puisé aux sources religieuses de l’origine de la nation, le monde leur paraît divisé en deux camps. D’un côté, les bons; de l’autre, les méchants. Vu qu’ils se perçoivent comme le peuple prédestiné pour incarner les bons, ils se croient investis de la légitimité nécessaire pour imposer leur hégémonie et servir de guide aux autres peuples sur la route du bien. Cela faisait dire à Donald Cuccioleta : " Les Etats-Unis, la seule hyperpuissance de la planète ne semblent plus vouloir se contenter de jouer au policier international, mais plutôt, veulent s’ériger comme le seul vrai gardien de la conscience morale planétaire. "


3—La géopolitique de la satisfaction des besoins

Si religieux que soient les Etats-Unis et malgré leur affirmation des principes de générosité hérités des théories de John Locke sur la défense des droits naturels dans leur déclaration d’indépendance, aucun pays plus qu’eux, n’a subordonné à ce point, la défense des valeurs morales à celle de la défense de ses intérêts individuels et collectifs. On pourrait écrire en lettres de sang une histoire des Etats-Unis en relatant les actes de barbarie par lesquels, au nom de leurs intérêts, la puissance de cette nation s’est édifiée au détriment des droits naturels et moraux des autres peuples.

 
Pourtant, l’affirmation de leurs intérêts depuis les vingt dernières années, dépasse de loin ce qui a été enregistré auparavant, du moins en termes d’extension planétaire, sinon en termes de conséquences humanitaires. Pour s’en convaincre, il n’est que de considérer leurs rapports avec les peuples démunis de la terre sur le plan des besoins essentiels de ces derniers (besoins alimentaires, de santé, d’éducation etc.) c’est-à-dire, la confrontation de ces besoins avec les intérêts commerciaux de Washington.


3.1—La politique des Etats-Unis et la satisfaction des besoins alimentaires des pays pauvres
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Si un gouvernement est au courant des conditions générales de la planète, c’est bien celui des Etats-Unis. En raison de leur puissance technologique, ils possèdent toutes sortes de données sur les contrées les plus reculées du globe, y compris sur les ressources dont elles disposent et les problèmes naturels qui les affectent, à commencer par l’état de leurs besoins alimentaires.

Or, il se trouve que la production alimentaire constitue l’une des pièces maîtresses de l’arsenal commercial des Etats-Unis, formant très souvent, le peloton de tête dans la pénétration des marchés. Au nom de leur intérêt commercial, ils n’hésitent pas à y recourir comme élément d’une stratégie de pression politique ou de domination. Leur insensibilité et la rudesse de leurs rapports avec les pays pauvres incapables de répondre temporairement aux besoins alimentaires de leur population, sont à mettre au compte d’une stratégie d’implantation prête à faire flèche de tout bois lorsqu’il y va de leurs intérêts commerciaux. Même l’aide ponctuelle rendue parfois nécessaire à la suite de sécheresses ou d’autres calamités naturelles est parfois régie par des conditions qui en font des éléments de marketing et confinent, au bout du compte, au-delà des ententes asservissantes, à une exploitation de la faiblesse et de la misère de ces peuples. Qu’il suffise seulement de citer le bumping vers ces pays des surplus de production, Ces gestes qui se donnent généralement pour des actes de générosité ne peuvent faire illusion que dans la population étatsunienne elle-même. Ils n’arrivent à occulter leur vraie nature à aucun alphabétisé du Tiers-Monde. D’autant que l’utilisation de ces pays comme déversoirs a des conséquences dramatiques sur la structure des productions nationales en en sapant les bases par un effet de substitution de produits, rendant prohibitives les productions nationales. Sans compter que ces pays sont souvent utilisés comme cobayes pour tester la toxicité de nouveaux produits (OGM).

Pourtant, ces pratiques, par l’échelle impliquée, sont encore de peu d’importance à côté de celles qui sont relayées par les institutions internationales. Qu’on pense, encore une fois, au Fonds Monétaire International et à la Banque Mondiale qui se chargent, de concert, de rabattre les états débiteurs insolvables et d’assurer le paiement des intérêts sur les prêts consentis à ces états. Pour parvenir à leurs fins, ils recourent, au besoin, à des pressions sur les marchés, forçant, par exemple, la dévaluation de la monnaie, la suppression des subventions gouvernementales et d’autres mesures du même tenant, rendant, par le fait même, la satisfaction des besoins essentiels encore plus problématiques.

Qu’on pense également à l’OMC, à l’ALENA, à l’AMI etc. tout un aréopage de tribunaux de tout acabit, au service de l’Occident en général et des Etats-Unis en particulier, défendant avec becs et ongles les intérêts des créanciers de ces centres politiques et commerciaux et garantissant l’accès à tous les marchés de la planète. Sans oublier, bien entendu, la promotion des produits comme les films, les disques etc. vrai cheval de Troie culturel et commercial de l’emprise étatsunienne.

C’est ce que les tenants du libéralisme économique appellent sans vergogne le libre-échange et qui est un autre mode d’asservissement des économies du Tiers-monde à celles de l’Occident et, au premier chef, à celles des Etats-Unis d’Amérique en vue de ce qu’on a convenu d’appeler la " macdonalisation "de la planète.


3.2—La politique des Etats-Unis et la satisfaction des besoins de santé des pays pauvres


En dépit de l’accélération des phénomènes de communication au cours des trente dernières années, notamment en ce qui concerne les déplacements de populations d’un continent à l’autre, les occidentaux et, plus particulièrement les Etats-Unis, n’ont pas semblé comprendre l’ampleur des défis que de tels déplacements posent à la gestion des maladies et donc à la santé.


Avec les politiques macro-économiques des centres financiers internationaux relayés par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, on assiste partout dans les pays du Tiers-Monde à un effondrement du système de santé et à l’apparition de maladies qu’on croyait avoir éradiquées depuis longtemps. C’est le cas du choléra, de la variole, de la lèpre, du paludisme, de la tuberculose et bien d’autres. Cette situation est due, en grande partie, à la flambée des prix des médicaments depuis la déréglementation de l’industrie pharmaceutique et à l’obligation qui est faite à l’état de se retirer du champ de la santé au bénéfice du secteur privé, sous peine d’être sanctionné par les bailleurs de fonds internationaux. Il s’ensuit que dans ces pays, les soins de santé, de même que les médicaments demeurent inaccessibles à la grande majorité des populations et créant le climat propice à l’éclosion et à la propagation des germes dormant de maladies anciennes.

A cette reviviscence des affections oubliées s’ajoutent de nouvelles maladies qui sévissent, comme par hasard, avec une virulence particulière dans les régions du globe les plus défavorisées. C’est le cas du sida, de la fièvre ebola, de la dengue etc. A cela s’ajoutent de nouvelles affections comme la grippe aviaire en processus de mutation de l’animal à l’homme. En raison de l’incidence géographique de ces maladies qui les met, par le fait même, en étroite corrélation avec la pauvreté et le déficit d’infrastructures d’hygiène et de santé, on ne s’étonnera pas que peu de moyens financiers soient investis pour les combattre sauf lorsqu’elles sont susceptibles d’épidémies à l’échelle mondiale. Il faut dire que la recherche médicale et pharmaceutique des pays occidentaux ne s’est jamais préoccupée des besoins de santé manifestés sous des latitudes différentes des leurs. Cela explique pourquoi les maladies tropicales ou les affections propres aux peuples de ces régions n’ont pas connu le développement significatif tant sur le plan du diagnostic que sur celui du curatif au cours des trente dernières années.

De la part des Occidentaux, c’est une approche à courte vue de la problématique mondiale de la santé à cause d’une vision mal comprise de leurs intérêts, laquelle semble se formuler ainsi : " Pour nous, tous les avantage des marchés mondiaux sans les inconvénients ." En se préoccupant de faire pénétrer les marchés les plus lointains par leurs produits tout en fermant les yeux sur la décrépitude ou l’absence plus ou moins grande des infrastructures de santé des sociétés concernées, ils prennent, à court terme, la voie de la maximisation des profits. Ils ne se rendent pas compte qu’à moyen terme, ils risquent d’être rattrapés par la dégradation des conditions de vie et de santé de ces sociétés sous la forme d’une mondialisation des maladies et des épidémies.


3.3—La politique des Etats-Unis et la satisfaction des besoins d’éducation des pays pauvres.


Ce qui vaut pour le système de santé vaut, mutatis mutandis, pour le système d’éducation.
Alors que les pays pauvres doivent, dans l’ensemble, combattre des taux effarants d’analphabétisme, en plus d’avoir des déficits importants sur le plan des structires d’encadrement pour assurer leur développement, ils sont pris à la gorge par des bailleurs de fonds internationaux, au premier rang desquels se trouvent les Etats-Unis, pour sabrer dans les programmes d’éducation ( formation des jeunes, formation des maîtres etc.) Il s’agit de dégager une partie importante de leur budget pour le service de la dette. Ce rôle de contrôle ou de garde-chiourme est assuré de concert, avec un soin jaloux, par les mêmes organismes internationaux.
Pris dans un cercle vicieux implacable, entre les besoins d’éducation et de développement de leur pays et les exigences tatillonnes des centres financiers internationaux, les États pauvres voient chaque jour s’éloigner le jour où ils pourraient accéder à la première marche conduisant au développement.

Conclusion

Ce rapide coup d’œil sur quelques tendances socio-politiques du nouveau siècle laisse nécessairement de côté des pans considérables de la réalité internationale. Pourtant, elles semblent déjà assez éloquentes quand il s’agit d’évoquer la domination et l’arrogance politique et militaire des Etats-Unis sur les autres peuples de la planète et, par voie de conséquence, l ‘érosion de la capacité des peuples démunis à s ‘organiser et à se développer.

En dépit de la répugnance des uns et des autres pour les régimes communistes, on peut très bien regretter que l’implosion du régime soviétique ne laisse sur l’échiquier mondial aucune puissance capable de tenir tête à celle des Etats-Unis. Les politologues commencent à peine à découvrir que la rivalité Etats-Unis-Russie Soviétique ne formait pas un équilibre dans la terreur, mais un équilibre tout court, et qu’à tout prendre, mieux valait la paix induite par cet équilibre que la vassalité, voir l’asservissement des peuples de la planète.
En résumé, il n’est pas vain de dire que le siècle commence sous de mauvais auspices et que rien dans les tendances à court terme ne semble prédisposer à la paix et à la prospérité des peuples.
Marc L Laroche
Sociologue
le 15/11/04

LES TARES ORIGINELLES DE LA CONSTITUTION D'HAÏTI

La campagne électorale en Haïti a mis en relief la constitution de ce pays à l’occasion du pourvoi en cassation d’un des candidats à la présidence de la république. Il voulait établir son éligibilité à cette fonction malgré sa double nationalité, haïtienne et américaine. Il semble que depuis, la cour de cassation ait fait droit à la requête du candidat, sans qu’on sache encore les fondements juridiques du jugement.

 En marge de cette affaire, et à la lumière des événements politiques et sociaux qui affligent le pays depuis trop longtemps, il n’est pas inopportun de réfléchir à la question de savoir, si l’outil fondamental dont ce pays dispose, soit la constitution, est adéquat pour réaliser sa marche vers le progrès. Vais-je surprendre le lecteur? D’emblée, il me semble que cette constitution, bien loin d’être l’outil dont le pays a besoin pour amorcer son démarrage et son développement, opère plutôt comme un instrument de régression, si cette expression peut encore avoir un sens dans le contexte social que l’on connaît.

 Cette inadéquation se révèle à la lumière de deux dimensions de ce document fondateur, lesquelles apparaissent plutôt comme des tares. La première de ces tares est d’ordre logico-administratif, alors que la deuxième renvoie à un problème sociologique. Les lignes ci-dessous exposent brièvement les deux facettes problématiques de cette constitution .

 1—La tare logico-administrative
La constitution haïtienne est parcourue par un système de pensées qui, dans l’histoire de la France cartésienne, a fait des merveilles sur le plan du traitement des idées et des choses (système des poids et mesures) mais qui s’avère plutôt inadéquat lorsqu’il est appliqué au gouvernement d’un état. C’est pourtant ce modèle, efficace pour sa logique centralisatrice, que les artisans de la constitution haïtienne ont importé avec la conséquence que l’on sait : une multiplication d’instances administratives comme pour donner le change sur la finalité centralisatrice du système. A cet égard, l’haïtien peut comprendre aisément les propos de l’homme politique français Gilles de Robien quand il décrit l’administration publique de son pays : " …on a tellement chargé la barque des institutions locales, tellement multiplié…les niveaux de décision—commune, intercommunalité, district, département, région etc.—que le seul qui puisse s’y retrouver c’est le pouvoir administratif central, embusqué au milieu de sa toile d’araignée. " Il s’ensuit de cette situation que la plus grande partie des énergies disponibles pour sortir Haïti de l’ornière où elle s’est enlisée depuis l’Indépendance, est vouée à une participation ritualiste à la chose publique, sans objectif réel. La gestion des problèmes qui touchent à la vie quotidienne des gens se dérobe à l’appréhension. Les élections aux différentes instances du système administratif ont beau se multiplier, les décisions échappent à ces instances qu’elles soient locales ou régionales. A l’image de la toile d’araignée se superpose alors celle des poupées russes où l’on voit toujours s’éloigner le niveau du sens ou de la réalité. On sacrifie à la gestuelle démocratique sans se préoccuper de l’essentiel qui serait, en l’occurrence, la participation effective à la démocratie politique.

 2—La tare sociologique
Si la constitution haïtienne avait été élaborée dans les années 50 ou même au début des années 60, les constituants de l’époque auraient raison de n’avoir pas vu se développer ce qu’il est convenu d’appeler la diaspora haïtienne. En revanche, que ce flux démographique ne retienne pas l’attention dans les années 80, c’est une erreur impardonnable. Car, de quoi s’agit-il? Il s’agit, dans l’ensemble, de l’hémorragie de la classe moyenne, la force vive de la nation. Lorsqu’on sait le rôle moteur joué par cette classe dans la dynamique du développement des sociétés, le phénomène de l’émigration massive des plus scolarisés de la nation devrait sonner l’alarme et susciter des provisions constitutionnelles propres, sinon à juguler l’hémorragie, du moins à neutraliser ses conséquences dévastatrices pour le pays. Pour mettre les choses en perspective, il faut savoir que la structure démographique actuelle d’Haïti est sensiblement la même que celle qui a prévalu à l’époque coloniale. A cette époque, les habitants de St-Domingue étaient ainsi répartis : 7% représentaient les colons, 13%, les affranchis et 80% les esclaves. Rien donc de différent de la répartition actuelle qui, à la veille de l’an 2000, allie, grosso modo, 5% à la classe supérieure, 10% à la classe moyenne et 85% à la classe prolétarienne. Ce rapprochement met en évidence une situation sociale épouvantable de stagnation. Une fois écartés les membres de la diaspora, on se retrouve donc avec une structure démographique caractérisée par une absence totale de mobilité sociale et qui signifie dans les faits, une régression unique dans l’histoire des sociétés modernes.

Mais plus grave encore, un tel modèle démographique, allié à d’autres considérations concernant les ressources disponibles, ne semble permettre aucun espoir de viabilité pour l’avenir. Comment en effet ne pas être pessimiste quand on sait qu’à défaut de compter sur les ressources du sol et du sous-sol, le pays ne peut pas compenser son manque en comptant sur la ressource de sa classe moyenne, c’est-à-dire, sur le dynamisme, l’ingéniosité, et la capacité d’entreprendre de ses membres? Pourtant, il aurait été possible qu’il en soit différemment si les artisans de la constitution, informés des tendances profondes de la société, conscients de leurs conséquences sociologiques et aiguillonnés par le destin tragique de ce pays, avaient envisagé l’intégration formelle à la nation de cette excroissance démographique des deux côtés de l’atlantique. Or, loin d’envisager une telle intégration, les articles 13 et 15 de la dite constitution ont consacré son exclusion de la nation haïtienne.

 Conclusion
Compte tenu des tares inhérentes à la constitution dont il est question plus haut, ce document fondateur doit être remis sur le métier sans tarder afin de garantir la double nationalité aux membres de la diaspora. Il est ironique de constater que cette diaspora est quand même bien présente dans la réalité haïtienne puisqu’on attend d’elle qu’elle fournisse, bon an, mal an, plus d’un milliard de dollars annuellement à l’économie du pays, alors qu’elle est évacuée sur le plan des droits politiques. Si elle remplit à ce niveau un rôle utile, son rôle essentiel est à venir de façon à lui permettre de pouvoir prendre part, de manière légitime, aux processus politiques et contribuer efficacement au développement du pays. Le renouvellement de la constitution devrait, par ailleurs, consacrer l’émondage de l’administration publique haïtienne et, par le fait même, favoriser l’essor des idéaux de la démocratie. Haïti a, en effet, à gagner de faire l’économie, sur le plan administratif, de certains schémas et structures empruntés d’ailleurs et de se débarrasser d’une certaine gestuelle démocratique, au profit de réelles activités démocratiques. Cela n’a lieu que dans le cadre de la participation effective de la population aux décisions qui la concernent.

 Marc L Laroche
Sociologue
le 24/10/05

HAÏTI, LE BROUILLARD DANS LE DISCOURS




Après avoir lu, dans un état d’inconfort intellectuel, le texte de Gérard Barthélémy Haïti, l’ordre sous le chaos apparent paru dans Le Monde le 03.09.05, je me préparais à y réagir quand le texte a disparu de mon bureau. Il m’a fallu attendre près de trois mois pour le trouver. Voilà pour mes impressions tardives.

Déplorons, pour commencer, l’approche unidimensionnelle de la situation haïtienne évoquée dans cet article. En effet, faute d’une perception équilibrée de la problématique haïtienne qui tiendrait compte autant des facteurs endogènes qu’exogènes, la saisie de cette question s’avère essentiellement intéroceptive. Comme si une grande partie des mésaventures et des tribulations d’Haïti depuis deux siècles n’étaient pas générées par le rejet dont ce pays a fait l’objet depuis la proclamation de son indépendance!

Mais, dans son argumentation, l’auteur n’en a cure…Qu’à cela ne tienne! Suivons-le dans son élaboration…Presque dès l’incipit, il annonce que la singularité d’Haïti est explicative de trois phénomènes--trois thèses à notre point de vue--qu’il assimile à des mythes fondateurs. Il s’agit du non-aboutissement de la nation , du refus d’Etat et d’une répulsion instinctive vis-à-vis du développement. Par cette grille, on a l’impression que la " singularité d’Haïti " vient de trouver, tout à coup, un analyste singulier. Devant les contours du problème évoqué, on est, en effet, perplexe devant les référents subjectivistes, voire teintés de psychologisme de son analyse.

Quoi de surprenant alors que le présent commentaire se borne ici à la première de ses thèses, soit celle relative au non-aboutissement de la nation; quant au deux autres, le moins qu’on puisse en dire c’est que leur consistance empirique n’est pas une évidence. Si elles correspondent à quelque réalité, elles ressortissent, probablement, à l’ordre des effets plutôt qu’à celui des causes et apparaissent, par conséquent, comme des outils ébréchés, donc inadéquats pour travailler sur la complexité d’une formation sociale.

Quoi qu’il en soit, à croire l’auteur, la " nation haïtienne " n’est pas aboutie à cause de la scission entre les deux ensembles qui la fondent—les natifs de la colonie et les natifs de l’Afrique ou, pour schématiser, les créoles et les bossales. Ce dualisme est interpellé chez lui dans la dichotomie ville-campagne, comme on le fait depuis 1804, sans autre considération sur les phénomènes de migration interne. Or, il importe de noter que le processus de bidonvilisation en cours, depuis plus d’un demi-siècle dans les principales agglomérations, à partir de ponctions accélérées des couches rurales, fait que cette dichotomie s’avère de moins en moins pertinente pour représenter de manière exhaustive la dispersion de ces deux ensembles dans l’espace national. Autrement dit, " le pays en dehors " est aussi " en dedans " et, paradoxalement, c’est en ce lieu qu'il est le plus critique, parce que plus volatil au point de vue social, économique et social.

D’un autre côté, dans l’hypothèse de la scission des deux groupes sociologiques à l’origine de la nation haïtienne, comment comprendre que les historiens n’aient pas débusqué dans le creuset de la colonie des signaux si manifestes? Bien sûr, ils ont, ça et là, fait état des grincements à la surface de la nouvelle société née de la colonie. Malgré des différences notoires entre ces deux ensembles à la veille de l’Indépendance, la cause de l’émancipation et la souveraineté était à ce point transcendante qu’elle permettait de surmonter tous les obstacles en vue de la fusion des volontés. La preuve en est que les chefs de guerre se recrutaient des deux côtés pendant toute la guerre de l’Indépendance. Une fois l’Indépendance effective, la société n’allait pas tarder, à être structurée en classes sociales autour, principalement de la propriété et la tenure de la terre. Ce phénomène, qui est loin d’être unique, a prévalu dans les deux hémisphères Quelle que soit l’importance de ces écueils dans la consolidation des bases de la société, les historiens n’y ont jamais vu de problèmes rédhibitoires à l’instauration et à l’intégrité de la nouvelle république.

Barthélémy voit dans la négation de cette dualité par l’" élite créole occidentalisée " la cause des blocages institutionnels d’Haïti. C’est pour cela, qu’il s’écarte de l’idée reçue voulant que les problèmes d’Haïti soient d’abord économiques. " La vraie dimension de la crise haïtienne, dit-il, n’est pas économique, mais idéologique. "Rien d’étonnant alors qu’il dénonce l’aide économique des " pays amis " :
" Jusqu’à présent, l’aide programmée à la hâte n’a pas empêché de monter d’un échelon dans l’échelle Richter de la catastrophe. Peut-être serait-il temps d’arrêter cette progression autrement qu’en envisageant une mise sous tutelle pour dix ans par les Nations unies. "

Et voilà le lecteur en pleine confusion. Car, malgré une telle déclaration, l’auteur ne paraît pas convaincu de la capacité du pays, s’enfonçant dans la négation du clivage national, de sortir de sa " stérilité " ou de son " blocage " par lui-même. Au contraire, il semble croire, paradoxalement, que la situation légitime l’intervention d’une volonté extérieure:
" En confiant, dit-il, aujourd’hui à cet État l’essentiel de la responsabilité de sa régénérescence, on rend inévitablement tout dialogue entre lui et la population encore plus impossible. Ce n’est pas un Etat sans pouvoir ni structures qui va se réorganiser lui-même. Il a déjà échoué deux fois, en 1986 après Jean-Claude Duvalier, et en 1994, au retour du président exilé Aristide. "

Par la manière d’esquisser les éléments de la conjoncture, on croirait l’auteur sur le point de proposer le divan du psychanalyste comme solution au dualisme national. De là à penser que le nouveau chef de l’État devrait être, dans l’idéal, un émule de Freud, il n’y a qu’un pas qu’il n’a pas franchi mais que d’autres le font pour lui avec un sourire. Et qui est, nécessairement, une manière cynique de penser comme illusoire tout changement en ce pays…

On quitte ce texte sans avoir une idée claire de la pensée de l’auteur. Tantôt, on croit avoir saisi chez l’élite créole occidentalisée, par sa négation de la majorité afro-paysanne, la cause des blocages institutionnels qui affligent le pays. Tantôt, c’est chez cette majorité elle-même que résideraient ces blocages, en tant que matrice d’une structure derrière le désordre apparent des institutions. Cette structure est, en effet, interpellée comme " …une tentative pour exprimer l’atypisme en s’attaquant à l’ordre comme expression symbolique du pouvoir. " La thèse du " refus d’Etat ", si elle veut dire quelque chose, est sans doute liée à ce comportement développé dans la marginalité paysanne.
Par ailleurs, s’il y a refus d’État dans la paysannerie, il n’y a pas refus d’ordre; car on apprend du même souffle que : "…les deux tiers de la population, le monde rural, malgré la quasi-absence de police dans les campagnes ces dix dernières années, ont réussi, vaille que vaille, à endiguer la violence multiforme qui s’étendait dans les villes. "

Si la voie que doit prendre ce pays n’est pas claire, il n’est pas clair non plus de savoir laquelle des instances sociales concentre éventuellement, l’essentiel des causes de blocage. L’auteur dit que : "… depuis deux siècles, une partie du pays, son élite créole occidentalisée, n’a cessé de manipuler les faux-semblants d’une démocratie de façade pour mieux asseoir son propre pouvoir sur la grande masse afro-paysanne des campagnes. " On peut bien se demander qui manipule qui puisque cette masse, selon l’auteur, n’a pas cessé de mettre des bâtons dans les roues de cette élite au pouvoir en développant ce qu’il appelle ‘’une répulsion instinctive’’ face au ‘’développement’’.

Marc L.Laroche
Sociologue
le 12/01/06

CHOC DES CIVILISATIONS OU LUTTE POUR LA DOMINATION ÉCONOMIQUE



Les occidentaux aiment se mirer dans ce qu’on a convenu d’appeler la civilisation occidentale. À l’instar de Narcisse, amoureux de la beauté de sa propre image, ils éprouvent un sentiment de plaisir à se projeter dans cette civilisation qui domine le monde depuis cinq à six cents ans : la preuve a donc été faite qu’ils sont supérieurs. Et ils le sont à différents niveaux : scientifique, technologique, économique, culturel etc. La conscience de cette supériorité est à la base du Choc des civilisations de Samuel Huntington qui reconnaît à la culture occidentale une place spéciale à la tête des six ou sept autres dans le monde, soit : les cultures islamique, hindoue, confucéenne, japonaise, slave-orthodoxe, latino-américaine et africaine, dont il n’est pas certain que cette dernière existe, et qui sont toutes axées autour d’une religion.


Selon l’auteur, la culture occidentale est la seule à promouvoir les valeurs de progrès humain que sont, entre autres, l’individualisme, l’égalité, la liberté, la démocratie, les droits humains etc. Ce par quoi elle est en opposition avec toutes les autres et donc, potentiellement la cible de toutes les autres. Par rapport à ces prétentions, l’auteur semble, néanmoins, avoir oublié que les valeurs humanistes de transcendance, ne sont pas immanentes à la culture occidentale mais qu’elles ont procédé plutôt d’une longue maturation historique supportée par la richesse accumulée au fil du temps et des expéditions coloniales. Est-ce à cause de cela que ces valeurs apparaissent fragiles? En tout cas, les événements de toute nature qui jalonnent les siècles passés semblent en faire la preuve par une tendance bien nette des repères éthiques ou moraux à s’embrouiller ou à disparaître dans les rapports humains

De sorte que, si cette civilisation occupe le rôle central qui est le sien, ses assises historiques sur le plan des valeurs ne paraissent pas l’y avoir destiné. Sans prétendre que les autres cultures pouvaient faire prévaloir des avantages à ce niveau, on doit reconnaître que la civilisation occidentale avait commencé incontestablement par se disqualifier. Elle était, en effet, la seule à s’être fondée sur l’esclavage comme mode de production.

Cela dit, je sais déjà que certains m’en voudront de ce rappel comme si l’on avait trop rabâché les faits de cette période de l’histoire. Je récuse a priori toute attitude ou toute prétention de cette nature et affirme, qu’au contraire, ces faits ont été longtemps évacués du discours universel. Mais je comprends que pour cette catégorie de gens, il y a des questions qu’on doit s’abstenir de ramener à la lumière des projecteurs sous peine d’être accusé de trahison ou de quelque infamie du genre. Car ils réagissent à ce rappel en se sentant visés personnellement et en essayant, par tous les moyens, de repousser toute responsabilité éventuelle qu’on pourrait leur attribuer, arguant par exemple, que les sociétés africaines qui sont concernées, avaient, elles aussi, des esclaves et qu’elles étaient souvent à l’origine des razzias ayant mené à la traite des noirs par les Européens. À chaque fois, c’est oublier ou refuser de reconnaître que toutes les sociétés archaïques ou antiques avaient des esclaves. C’était vrai de la société égyptienne, des sociétés hébraïques de la Palestine, de la Grèce de Périclès, de la Rome de César comme de toutes les sociétés primitives des cinq continents. Mais la possession d’esclaves ne caractérisait pas, à elle seule, la société de façon à en faire automatiquement un régime esclavagiste. Sous-produit des guerres entre les états et les tribus, l’esclave occupait généralement la strate inférieure de ces sociétés et vaquait, souvent contre son gré, à des activités auxquelles les autres refusaient de se livrer.

Il a fallu l’irruption des Européens sur la scène de l’histoire pour en faire l’élément capital d’un système de production, dans une violence qui n’a pas son égale dans l’aventure humaine sur le globe. D’autant qu’il s’agissait d’une tragédie qui s’est jouée sur environ quatre cents ans pendant que s’opérait, à leur profit, dans une soif insatiable de richesses, le massacre des autochtones de la Baie d’Hudson à la Terre de Feu en Amérique et dans les autres continents en dehors de l’Europe. Car, n’ayons pas peur des mots, c’est par le sang et la sueur de l’esclave, comme par l’extermination de peuples entiers, que s’est édifiée la civilisation occidentale. C’est la violence du rapport du maître à l’esclave, du colonisateur au colonisé qui a permis l’accumulation du capital à la base du système capitaliste actuel et, bien entendu, de la superstructure culturelle qui en est le porte-étendard et qu’on identifie par la civilisation occidentale.

Néanmoins, en aucun cas, l’instance culturelle de ces civilisations ne saurait en être le moteur comme la thèse de Huntington semble le soutenir. Ce n’est pas parce que la gauche ou les courants idéologiques qui se réclament d’une analyse des sociétés en termes de luttes des classes sont presque rayés de la surface du globe que toute la théorie marxiste est erronée. Conformément à cette théorie, la variable économique est déterminante en dernière instance dans l’analyse et l’explication des phénomènes sociaux. Cela veut dire qu’elle est la locomotive des transformations sociales. Que le culturel soit aujourd’hui, selon Huntington, plus que le politique et l’économique, le nouveau moteur de l’histoire, cela apparaît, pour dire le moins, comme une banalisation grossière de l’action des forces économiques dans une société. L’auteur de Choc des civilisations a pris pour le moteur de l’histoire ce qui n’est, certes, pas un nouveau front de lutte des sociétés entre elles, mais, un pôle devenu stratégique dans cette lutte. L’économique demeure la principale instance des transformations des sociétés. Seulement, pour des raisons liées au contexte idéologique mondial dont il serait intéressant d’analyser en profondeur le pouvoir d’occultation, la lutte idéologique s’est déplacée sur le mode de la culture, masquant stratégiquement et conjoncturellement les véritables enjeux de la lutte de domination économique.

C’est parce que cette lutte s’est raffinée, devenant plus symbolique que matérielle que les contradictions du système mondial se répercutent de façon privilégiée sur le terrain de la culture. Cela ne change aucunement les données fondamentales du système. La preuve en est que pendant qu’Huntington dessine les contours de ce système en termes de luttes entre les civilisations, paradoxalement, il n’a jamais tant été question, dans la réalité comme dans les discours des enjeux économiques, que ce soit par le développement des marchés continentaux, le phénomène protéiforme de la mondialisation ou simplement par le truchement des forums internationaux devant servir à le consolider au bénéfice de l’occident. Dans ce contexte, il n’est pas futile de remarquer que la culture est devenue une notion marchande et que la sacro-sainte souveraineté des états, si elle n’est pas complètement déphasée, est virtuellement appelée à être mise en tutelle quand les intérêts des entreprises seront concernés.

Il est clair que la thèse de Huntington échoue à situer les enjeux du capitalisme mondial dans la confrontation entre les cultures, mais cela ne constitue pas davantage une justification de la théorie de la fin de l’histoire de Francis Fukuyama contre laquelle sa pensée s’est édifiée. Ce dernier voyait le surgissement de la fin de l’histoire ou la fin des idéologies avec la chute de l’empire soviétique et la généralisation de la modernisation selon le modèle étatsunien. On peut douter de l’adaptabilité universelle de ce modèle dans un monde de plus en plus éclaté et où prévalent, en plus, de nouveaux sujets historiques avec l’intervention sur la scène mondiale des organisations, des groupes ou même des individus à vocation trans-étatique ou trans-nationale servis par l’évolution des communications et, en particulier, par le développement de l’internet. En tout cas, bien loin de cette situation d’équilibre relatif envisagée dans l’optique de la fin de l’histoire. Il est plus logique de penser que la réalité internationale, plus conforme au maintien d’un déséquilibre, induirait forcément une redéfinition tant des centres hégémoniques eux-mêmes que de leurs stratégies d’échanges sinon de domination en rapport avec les autres états du globe.

Marc L Laroche
le 14/04/05
Sociologue