mercredi, août 01, 2018

EN MARGE DE SLAV ET DE KANATA


Comme membre d’une minorité, j’ai suivi avec attention la saga des tenants de l’appropriation culturelle qu’ils soient intervenus à partir de SLAV ou de KANATA. J’ai suivi avec la même attention les artistes et autres concernés par les revendications des premiers. Sans avoir assisté à aucune des représentations, je crois pouvoir y aller de quelques remarques.
Premièrement, tout échange culturel n’est pas de l’appropriation culturelle et tout cas d’appropriation culturelle ne procède pas nécessairement d’un sentiment de racisme. Il m’a semblé qu’un amalgame a pu être fait à cet égard.
Deuxièmement, ne retenir de la situation multidimensionnelle soulevée par SLAV et KANATA que l’idée de censure traduit soit de la mauvaise foi ou une fermeture totale à la compréhension des problématiques sociales codifiées par l’histoire et dont il s’agit d’en trancher le nœud.
 Ce qu’il faut savoir, en effet, c’est que la prise de parole à l’occasion de SLAV ou de KANATA ne procède pas d’une génération spontanée comme l’éclosion des champignons après la pluie. Cela vient d’une longue maturation à travers les âges et s’éprouve, d’abord, comme des sentiments d’aliénation et d’humiliation avant que ces sentiments, à travers des générations successives ne murissent et ne trouvent le chemin de l’expression, étape antérieure à celle des revendications, surtout si l’expression, mille fois formulée, n’a pas été entendue. C’est tout cela que le concert de réprobation semble reléguer aux oubliettes, par ignorance ou mauvaise foi, se contentant de signaler aux zélateurs qui n’en demandent pas tant, que désormais, le répertoire artistique est réduit à la portion congrue ne pouvant plus représenter, par exemple, Othello ou Le Marchand de Venise de Shakespeare, pas moins que Antigone de Sophocle.  
Quand en 1940 les femmes ont pu voter au Québec pour la première fois, c’était à la suite d’un combat de longue haleine malgré les cris d’orfraie des notables de l’époque qui voyaient l’événement comme une atteinte à leurs privilèges. Les problématiques relatives à l’homosexualité et au genre ont connu le même purgatoire. Il en est de même actuellement avec les vives réactions des différents milieux des arts et de la communication au sujet des allégations d’appropriation culturelle. Mais les temps changent.
Ce que l’observateur retient de l’évolution des idées autour de cette saga c’est que la seule chose de sacré n’est autre que la liberté d’expression ou de création. Or ce principe qui trouve son origine dans la philosophie libérale n’a jamais été perçu, même au XVIIIème siècle, comme absolu. Au plus fort des joutes intellectuelles qui ont vivifié les mouvements sociaux des siècles passés, l’application de ce principe a toujours été balisée par des situations sociales et politiques où ce principe devenait nécessairement caduc pour le maintien de la paix sociale ou, comme on dit aujourd’hui, pour l’édification du vivre- ensemble.
Sur la question de la censure appliquée aux revendicateurs de SLAV et de KANATA, on a rappelé, récemment à Radio-Canada, qu’une représentation devant illustrer la bataille des Plaines d’Abraham en 2009 avait été annulée par suite des pressions populaires. Invité à dire ce qu’il en pense au sujet de la censure qui semblait se manifester à cette occasion, Mathieu Bock-Coté n’a pas hésité à dire :’’ce n’est pas pareil’’. Serait-ce parce que les pressions ne venaient pas des minorités?

Quoi qu’il en soit des prétentions des uns et des autres, nous sommes au confluent de deux points de vue dont l’un prend sa source au passé tandis que l’autre s’ouvre vers l’avenir. Dans le premier cas, les protagonistes semblent dire que les choses n’ont jamais été telles auparavant, pourquoi devraient-elles changer? Pourquoi devrait-on, par exemple, trainer le boulet de la consultation préalable au risque d’alourdir la liberté créatrice? Dans le deuxième cas, les protagonistes, souvent fatigués d’être toujours sur la brèche, ne sont pas moins fondés à creuser le sillon de leurs revendications quitte même à en accélérer le rythme, conscients que les temps changent et que l’avenir leur donnera raison.

C’est ainsi que la table est mise logiquement pour une conversation globale de tous les intéressés. Que signifie l’appropriation culturelle, l’échange culturel, la confluence culturelle ou la parenté culturelle etc. À quelles conditions doivent satisfaire les emprunts culturels dans les arts de représentation. Ces questions et bien d’autres doivent faire l’objet d’un traitement préalable avant que le ciel s’éclaircisse et que la confiance, autant des minorités que des promoteurs, s’établisse dans l’univers de la création artistique.

Marc Léo Laroche
31/07/18