lundi, avril 16, 2012

LA FRANCE COLONIALISTE ET L'HISTOIRE





Le grand paradoxe de la France c’est d’être le pays de la Révolution de 1789, de l’égalité des droits de l’homme, de l’abolition de l’esclavage et, en même temps, du révisionnisme, voire de la falsification de l’histoire lorsque son rôle n’a pas été très édifiant, comme cela est arrivé souvent, auprès des peuples déshérités des anciennes colonies. C’est le cas de ses rapports avec les peuples noirs qui ont eu à œuvrer dans la trame de l’histoire de ce pays.



Le premier événement d’importance qu’il convient de noter concerne les relations de la France avec Haïti. S’il y a un coin du monde qui a façonné un temps son évolution comme puissance économique, c’est bien Haïti qu’on appelait St-Domingue. Cette colonie était réputée plus intéressante que celle d’Angleterre en Amérique et qui est connue aujourd’hui sous le nom des États-Unis.

Une grande partie des richesses accumulées en France en général et notamment dans les villes côtières comme Saint-Malo, Nantes, Brest, la Rochelle, Bordeaux etc. pendant deux siècles, vient de cette colonie qu’elle a préférée à toutes ses autres possessions coloniales y compris le Canada.



Néanmoins, depuis la deuxième partie du XIXème siècle et davantage encore au XXème siècle, des générations entières de Français ne savent rien de ce passé. Aucune mention n’est faite dans les manuels d’histoire de ce que fut Haïti pour la France. Comme si  l’indépendance d’Haïti avait suffi pour la rayer tout bonnement de la planète, en plus de la conscience.


En fait la raison pour laquelle la France a essayé d’effacer tout souvenir de St-Domingue est liée à la défaite de l’armée de Napoléon dans cette île antillaise. La France a vécu cette défaite comme une double humiliation car il s’agissait de la première grande défaite de l’armée napoléonienne. Le sort a voulu que cette défaite fût aux mains de ces esclaves noirs auxquels on ne prêtait aucune intelligence et qu’on reléguait au rang des animaux. Ils avaient brisé leurs chaînes et défié la domination française.


À la question : comment expliquer que Nicolas Sarkosy soit le premier président français à se rendre en Haïti en deux cents ans d’histoire? Régis Debray répondit ce qui suit :

‘’Cela s’explique par le refoulement. Haïti a blessé l’histoire et l’orgueil français. Haïti a défait une armée de 40000 français avant l’indépendance en 1804, une armée dirigée par le général Leclerc, le beau-frère de Napoléon. Ensuite, la France a monnayé l’indépendance d’Haïti par le biais d’une indemnisation à verser aux colons qui a duré jusqu’en 1885. Tout cela fait que les rapports ont longtemps été peu chaleureux.[1]’’.
Ailleurs, s’expliquant en marge du rapport de la Commission franco-haïtienne dont il a été le président, Debray a encore été plus explicite sur le sujet. Parlant de l’oubli d’Haïti, il dira :

‘’Ce n’est pas une lacune, c’est une rature. Ce n’est pas une mauvaise conscience du tout. Haïti, c’est la face noire du siècle des lumières et, cela, les Français n’aiment pas qu’on le leur rappelle. Nos intellectuels ignorent Haïti et nos politiques aussi’’. Il continue en disant qu’il y a ‘’refoulement du code noir, refoulement de l’esclavage, refoulement de la défaite militaire des troupes napoléoniennes qui conduit à la proclamation de l’indépendance d’Haïti en 1804. Ensuite, il y a refoulement de ce qui est une extorsion de fonds…On a fait payer pendant soixante ans aux Haïtiens leur soulèvement et leur indépendance.’’



C’est d’ailleurs une démarche analogue de refoulement qui est à l’œuvre dans l’oubli qui frappe le général noir Alexandre Dumas, le père de l’auteur des Trois Mousquetaires, un des artisans glorieux de l’armée napoléonienne. Après bien des victoires sur les champs de bataille européennes, en France, en Italie et en Autriche où il a brillé comme un météore passant du grade de simple soldat à celui de général en sept ans, on le retrouve en Égypte à la bataille des Pyramides où il se brouille avec Napoléon.



D’aucuns prétendaient que Napoléon le jalousait, mais il est plus vraisemblable que ce dernier ait été mû par des préjugés raciaux et qu’il ait dû donner des gages aux esclavagistes qui s’agitaient autour de sa femme pour recouvrer leurs biens dans les colonies; de sorte que Napoléon voulait non seulement en finir avec ces noirs qui contestaient la domination de la France et les remettre en esclavage, mais de plus, le rôle des généraux tels que Beauvais, Rigaud et surtout Toussaint-Louverture à la tête des insurgés à St-Domingue ne manquait pas de lui rappeler la présence du général Dumas dans l’armée française.


C’est ainsi que, sans raison apparente, il décida de dégrader Alexandre Dumas de son titre de Général, dès son retour en France et, sans lui accorder les soldes auxquels il avait droit. C’est le cas le plus manifeste de l’épuration ethnique dans l’armée française à la suite de l’insurrection de St-Domingue. De plus, non content de le mettre à la retraite, sans aucun revenu, l’histoire fit l’impasse sur sa mémoire. Même le Mémorial de Ste-Hélène ne fait aucune mention de lui.


La même attitude est à l’œuvre dans l’oubli total dans lequel est tombé Severiano de Heredia, l’antillais noir qui fut maire de Paris avant de devenir en 1887 le ministre des Travaux publics de la 3ème république. Selon l’auteur[2]d’un livre sur ce dernier, De Heredia ‘’ était un grand réformiste social et laïc’’ Et pourtant, dit-il, il reste méconnu pour ne pas dire inconnu. ‘’Son nom ne figure pas sur la liste des personnalités enterrées au cimetière parisien des Batignoles où il repose, ni dans les dictionnaires et encyclopédies populaires actuelles. Aucune trace de son nom dans le Paris d’aujourd’hui ou ailleurs en France. Il n’a d’ailleurs jamais été décoré de la légion d’Honneur alors même qu’il est le créateur des bibliothèques municipales à Paris et, à la suite de Victor Hugo et Jules Ferry, président de l’association Philotechnique.’’


La condition qui est faite aux noirs des colonies africaines qui ont participé à côté des soldats des métropoles aux deux guerres mondiales illustre, s’il en est besoin, l’oubli dans lequel sont tombés ces derniers. En plus des souffrances propres à la guerre, ils ont eu à faire l’expérience d’un racisme monstrueux, notamment de la part des Nazis. Pourtant, c’est à peine s’ils sont mentionnés dans les livres d’histoire. La preuve qu’ils n’ont jamais existé c’est que le gouvernement français, comme d’ailleurs le gouvernement belge, a toujours refusé de reconnaître leur contribution à la défense de l’Europe, en leur accordant, comme il l’a fait pour les soldats métropolitains, la pension à laquelle ils avaient droit. Il a fallu attendre 2007 pour que la France cède à la pression en reconnaissant à leurs survivants une partie de la rente allouée aux Français d’origine.


Cela éclaire un peu les rapports confus que la France a maintenus avec les peuples colonisés et particulièrement avec les noirs qui ont été soumis à l’esclavage. Un travail de mémoire reste à faire à cet égard. Pas un travail de révisionnisme qui permettrait de rendre le passé supportable aux Français, mais un vrai travail d’objectivité qui rendrait justice à l’histoire et par le fait même, aux vraies dimensions morales et psychologiques des acteurs alors en présence.

Marc-Léo Laroche
15.04.12








[1] Rapporté le 16.02.10 parT.Berthemet et E De Montety du journal Le Figaro autour de la visite de Régis Debray en Haïti.


[2] Paul Estrade:Sévériano de Hérédia, ce mulâtre cubain que Paris fit maire et la république ministre

Aucun commentaire: