jeudi, octobre 18, 2007

LES IMPÉRATIFS DE CONSOLIDATION DE LA SOUVERAINETÉ D'HAÏTI

D’ici 2050, Haïti doit s’astreindre à un projet titanesque : celui de consolider sa souveraineté nationale. La référence à cette prétention risque de faire tiquer plus d’un pour la raison qu’à leur avis, cette souveraineté n’a jamais été ébranlée. Il ne s’agit pas ici de démontrer la profondeur de la dépendance d’Haïti, mais de remarquer simplement qu’on ne vit pas impunément de l’assistance économique et politique internationale sans que des fissures apparaissent à l’édifice national.

A ce sujet, il y a deux sortes de gens pour qui l’évidence ne saute pas aux yeux. 1-Ceux qui n’arrivent pas encore à émerger de l’abîme de la pauvreté et de l’ignorance. 2- Ceux qui, par esprit de système, refusent de voir ou, ayant vu, refusent de tirer les conclusions qui s’imposent. Aux premiers, il appartient au pays de mettre tout en œuvre afin de leur rendre les faits plus clairs et faciliter leur participation à la vie nationale. Aux seconds, on proposera un discours persévérant et persuasif car le projet doit engager toutes les forces vives de la nation, celles de l’intérieur comme celles de la diaspora.

 Ce projet revêt une importance capitale pour le démarrage du pays. En plus de son objectif initial qui consiste à recouvrer la dignité perdue à travers près d’un demi-siècle de turpitudes politiciennes, de conflits, de tâtonnements et d’assistance internationale, il permettrait d’instaurer une pédagogie de l’action salvatrice et concertée autour d’un projet transcendant, comme le fut l’abolition de l’esclavage à la fin du XVIIIème siècle. Si le projet révolutionnaire qui a culminé en la proclamation de l’Indépendance d’Haïti en 1804 tenait du prodige, celui que les Haïtiens doivent se donner en ce début du siècle, pour être différent dans sa forme, ne s’avère pas moins audacieux. Cela tient aux conditions multiformes de la dépendance extérieure d’Haïti et à l’écart considérable, voire le gouffre existant entre l’état de son développement—plus précisément, de son sous-développement—et celui des sociétés qui l’entourent en Amérique et dans le monde.

 L’AMPLEUR DE LA TÂCHE
Pour y parvenir, il faudra à l’Haïtien une longue marche à travers des problèmes multiples et complexes, en plus d’être capable de déplacer des montagnes et de forger des outils dans le creuset de son propre génie. Il lui faudra, à l’instar de Prométhée dérobant le feu aux dieux de l’Olympe, la capacité de se décupler, dût-il, pour cela, subtiliser le pouvoir des loas du vodou. Plus concrètement, le pays devrait s’évertuer à fertiliser ses régions arides ou désertiques, régénérer ses forêts, reboiser ses collines et ses montagnes, ouvrir des routes, réanimer les campagnes en ressuscitant l’agriculture en situation avancée d’anémie.

 Les gouvernements devront accélérer le programme d’alphabétisation, construire des écoles, pas seulement celles, en plus grand nombre, orientées vers des programmes scientifiques, mais aussi d’autres, techniques, permettant de répondre aux exigences de la modernité dans des secteurs de nouveaux besoins. Ils devront, en un mot, repenser le système d’éducation de manière à libérer la force de travail et l’innovation en favorisant à terme, l’autonomie économique du pays.

 De surcroît, Il serait impératif de disposer de ressources humaines et matérielles adéquates pour répondre davantage aux besoins de santé de la population, ouvrir des hôpitaux et des dispensaires pourvus d’équipements nécessaires à leur fonctionnement continu, refondre la fiscalité de manière à ce que tous ceux qui le peuvent puissent contribuer à la consolidation financière de l’État, mettre en place des institutions et des services ayant pour mission d’encourager et de développer l’entrepreneurship haïtien.

 Parallèlement, il faudra faire face aux problèmes multiples que génèrent l’urbanisation accélérée et chaotique et ses conséquences sur le plan de l’environnement et de la santé publique. De même, on ne pourra éviter de répondre aux défis multiples que pose la bidonvillisation de la capitale que ce soit sur le plan de la restitution à l’espace urbain des no man’s land que de la valorisation du capital humain concerné en l’occurrence. A un autre pôle, la nécessité s’imposera d’intervenir pour stopper la dégradation de l’environnement en envisageant des mesures variées comme la gestion des déchets, la mise en place de techniques, autres que le seul reboisement, susceptibles d’apporter un frein à l’érosion des flancs de montagnes.

 Une place importante devrait être accordée à la question des droits constitutionnels. A cet égard, la remise en chantier de la constitution apparaît comme une exigence afin, entre autres, de conférer les mêmes statuts aux Haïtiens de la diaspora qu’à ceux de l’intérieur. Une telle décision libérerait une énergie qui ne demande qu’à s’employer pour l’avancement du pays. Notons en passant qu’il y aurait lieu pour Haïti d’imiter avantageusement plusieurs pays dont, en particulier, le Portugal en ce qui concerne l’extension de la double nationalité. Il faudra beaucoup d’autres mesures pour qu’à l’horizon du prochain demi-siècle, si Haïti ne finisse pas de se libérer du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale, elle puisse disposer de la marge de manœuvre suffisante pour défier les ajustements structurels, boulet au pied de sa souveraineté nationale, et qui l’obligent, en plus d’autres tracasseries, à maintenir la porte grande ouverte aux produits étrangers sans aucune contrepartie.

 LES EXIGENCES SUR LE PLAN DES VALEURS
 Haïti n’a pas le choix des moyens pour se développer. Elle est condamnée, néanmoins, à en avoir la volonté. C’est avec la volonté qu’elle pourra déplacer des montagnes, pas autrement. Mais cela ne se fera pas sans des mesures réparatrices… Le terrain des rapports sociaux est en jachère depuis qu’un tort immense a été fait à la population haïtienne au cours des dix dernières années. En dénonçant certaines franges de la population haïtienne à la vindicte populaire, on a détruit les valeurs qui endiguaient les passions et les pulsions. Il devenait légitime, par la suite, de casser du bourgeois, ouvrant la voie à une avalanche en déchaînement permanent. Les kidnappings contre rançon et, souvent, avec la mort en prime, n’ont pas d’autres fondements. Dans une entreprise de consolidation de la souveraineté d’Haïti, on ne peut passer à côté de l’objectif de l’Unité Nationale, et, par voie de conséquence, à côté de l’impératif d’une réconciliation entre les groupes en présence. Mais, cela suppose une démarche fondamentale sur le plan des valeurs.

 La pratique politique a produit parfois un discours tellement radical dans ses finalités sociales ou même ontologiques qu’on pourrait difficilement, aujourd’hui, faire l’économie d’un anti-discours pour rétablir l’équilibre. Car il faut plus que les pratiques inhumaines des brigands et les discours incendiaires des meneurs de foules de tout acabit pour que la morale sociale s’écarte de ses fondements judéo-chrétiens. Dans cet ordre d’idées, une déconstruction idéologique parallèle au processus de réconciliation s’impose comme une démarche à la fois apaisante et prophylactique. Elle permettrait de contrecarrer la résurgence des vieux démons dans l’arène politique. En regard des conditions idéologiques actuelles en Haïti, la démarche en vue de parvenir à la réconciliation semble, en effet, devoir être précédée d’une période plus ou moins longue de désintoxication populaire où les uns et les autres réapprendraient à partager les chemins du vivre ensemble. On est, à cet égard sur le terrain de l’inexorable.

 LES SIGNES D’ESPOIR
 Si la voie conduisant à la réconciliation et à l’unité nationale devait s’avérer trop cahoteuse pour la majorité, il n’y a pas de doute que le pays ferait face à un empêchement dirimant à toute réalisation vraiment valable en vue de la consolidation de sa souveraineté. Ce ne serait pas la première fois qu’on prendrait le contre-pied de la devise nationale : l’union fait la force. Dans un tel cas de figure, caractérisé surtout par un état de faiblesse généré par les conflits, le pays irait tout droit à l’échec et continuerait à dégringoler vers l’abîme. A moins de vouloir ardemment racheter la dignité nationale même au prix d’une ascèse fondée sur l’épuration des mœurs politiques, le refus de l’assistance internationale et le travail titanesque que commande la situation, Haïti qui fut longtemps un phare pour les nations africaines en mal de décolonisation, et les Afro-américains encore sous le joug yankee, restera longtemps encore comme l’anti-modèle par excellence ou le repoussoir de toutes les nations. De cette ascèse, il semble heureusement que les Haïtiens soient capables, si l’on tient compte du grand désir de changement qui anime les différents groupes sociaux à l’intérieur du pays et souvent de leur disponibilité à contribuer à la vie de la collectivité.

 A cet égard, l’entretien des routes dans certaines localités, le plus souvent, sans aucune rémunération, en est un exemple éloquent. Il n’est pas superflu d’ajouter la fatigue morale générée par la situation du pays. En butte depuis longtemps aux différentes formes de la tragédie, l’Haïtien, par cette expérience même, semble être motivé aujourd’hui à accepter les sacrifices que requièrent les changements souhaités. En ce qui concerne la diaspora, malgré que les dispositions ne soient pas encore prises pour sa pleine intégration à la vie nationale, sa disponibilité est depuis longtemps acquise. Il y a lieu, en effet, de souligner les multiples projets locaux de développement qu’elle patronne déjà et qui émaillent le territoire national. Autant dire qu’elle répondrait affirmativement et se manifesterait de toutes les façons dans le cadre d’un grand dessein national. Ce serait, pour lui comme pour le résidant de la métropole, le témoignage d’un vouloir vivre dans la fierté, cette même fierté qui a tant prévalu à la naissance de la nation.

 Marc L.Laroche
Sociologue
le 24/02/06

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