lundi, octobre 15, 2007

QUELQUES TENDANCES SOCIO-POLITIQUES DU NOUVEAU SIÈCLE


Avec la chute du Mur de Berlin et la désintégration de la Russie Soviétique consécutive à la faillite du communisme, d’aucuns croyaient pouvoir pousser un soupir de soulagement. C’était la fin d’une ère et le début d’une autre qui consacrerait la paix dans le monde. Le mythe de la " fin de l’histoire " dans l’œuvre de Fukuyama n’a pas d’autre justification.

Le nouveau siècle allait donc s’ouvrir sur des perspectives qui n’avaient rien à voir avec celles qu’auguraient, au siècle dernier, les deux guerres mondiales avant de culminer, vers la fin de ce siècle, à la peur et à la menace apocalyptique d’une guerre thermonucléaire qui risquerait de détruire la vie sur cette terre. Mais l’analyse des tendances profondes du nouveau siècle porte très vite à déchanter, car jamais dans l’histoire de l’humanité, les conditions de survie de l’espèce humaine sur la planète, ne s’étaient montrées plus menacées et plus précaires. On peut en voir les manifestations, entre autres, dans la gestion planétaire de la pollution, dans la prévalence des modèles de résolution des conflits entre les États, dans les formes privilégiées dans la satisfaction des besoins des individus et des peuples etc. La réflexion qui suit est vouée à un bref survol de chacune de ces questions.


1—La géopolitique de la pollution à l’échelle du globe


Il ne fait pas de doute que la conscience et la connaissance des problèmes écologiques ont fait un bond prodigieux au cours des trente dernières années. Néanmoins, il appartient à ce nouveau siècle d’être confronté à l’énorme défi de les régler. Ce défi est d’autant plus grand qu’on ne peut pas compter sur la dramatisation planétaire du problème pour voir s’y engager les volontés nationales. On en veut pour preuve le fait que l’amincissement de la couche d’ozone et les conséquences que cela entraîne sur la planète (réchauffement de la terre, fusion des glaces, montée des océans, désordres atmosphériques, maladies etc.) n’ont pas suffi à convaincre tous les États d’adhérer au Protocole de Kyoto sur la question des gaz à effets de serre. On sait que les Etats-Unis, en particulier, qui sont responsables en termes relatifs de la plus grande partie de la pollution mondiale, se sont retirés de ce Protocole pour n’avoir pas à envisager des changements dans leur système économique et leur mode de vie.

Or, ce qui doit être fait sur le plan écologique pour la pérennité des espèces vivantes sur le globe ne saurait souffrir de retard. A cet égard, malgré l’alarme du Club de Rome au début des années 70, les hommes ont attendu trop longtemps avant d’être frappé par l’éclat de la lumière et de se rendre compte que la terre risque de ne plus être habitable si de profonds changements ne s’opèrent dans le mode de vie de ses habitants. D’où l’urgence de l’action dans ce domaine. Il est clair que cette urgence n’est pas reconnue, du moins par les Etats-Unis, la première puissance mondiale.


2—La géopolitique des conflits à l’aube du nouveau siècle

L’ONU a été, incontestablement, la meilleure réponse aux conflits perpétuels qui jalonnent les siècles passés. En effet, au fur et à mesure que les États ont été intégrés à cette institution internationale, on pouvait croire que les conflits allaient trouver dans ce forum les conditions de leur règlement et qu’ils auraient tendance, par le fait même, à se résorber. Or, si l’Organisation des Nations-Unies a pavé la voie à la résolution de quelques-uns de ces conflits, on doit, néanmoins, se rendre à l’évidence que ses échecs sont plus éloquents. Il n’est que de penser à la litanie des résolutions du Conseil de Sécurité sur les questions orientales restées lettre morte pour s’en convaincre. Alors que les Etats-Unis se sont embarquées à toute vapeur dans l’aventure d’attaquer l’Irak à cause de son refus de se soumettre, à leur manière, à ces résolutions, il est significatif de noter qu’au même moment, ils apportent, sans vergogne, leur soutien indéfectible à l’état hébreu dans son refus d’obtempérer à des résolutions de ce Conseil encore beaucoup plus nombreuses sur le conflit israëlo-palestinien. Comment une telle situation de discrimination à la face du monde ne pourrait-elle pas déconsidérer l’ONU?

Cette situation illustre très bien la dégradation morale de l’institution internationale que De Gaulle appelait déjà " le machin " avant qu’elle ne connaisse certains de ses plus cuisants échecs. Mais c’est l’avènement de Geoges.W. Bush à la Maison-Blanche qui semble lui avoir assené le coup de massue. Ce dernier, en énonçant par à-coups sur les relations internationales ce qu’on a appelé pompeusement sa " doctrine ", a mis en relief deux éléments essentiels de la nouvelle politique des Etats-Unis. D’abord, la revendication de leur unilatéralisme en matière de politique internationale. Dans cette optique, la lutte contre le terrorisme et la perspective de la guerre contre l'Irak qui les ont obligés à une démarche multilatéraliste se révèlent davantage une tentative opportuniste plutôt qu’une décision de conviction. Ensuite, la revendication par les Etats-Unis d’une action militaire préventive, en dehors de l’ONU et du cadre juridique international.

On en est loin du besoin qui a prévalu au lendemain des guerres mondiales de policer les relations internationales. Car, par beaucoup de leurs réflexes et de leurs actions politiques, les Etats-Unis semblent être revenus à l’époque où le continent américain tout entier était considéré comme leur arrière-cour et prenaient ombrage, dans cette aire, des influences de centres politiques et culturels externes comme celles de la France à l’époque. C’est d’ailleurs dans cette logique que le président Wilson s’était prévalu du supposé droit d’occuper Haïti en 1915 comme d’ailleurs d’autres états de l’Amérique espagnole.

L’avènement de la Guerre Froide n’avait fait qu’intensifier cette pratique. A la supériorité affirmée des Etats-Unis, s’opposait la puissance soviétique. Le monde allait être divisé en deux blocs idéologiques, politiques et militaires, alimentant entre eux un conflit larvé et garantissant paradoxalement une ère d’équilibre.

Mais, depuis l’implosion de la puissance soviétique, les Etats-Unis occupent tout l’espace de la puissance, certainement politique, sinon tout à fait militaire. Et ils se déclarent prêts à s’y maintenir coûte que coûte, considérant déjà, comme certaines déclarations de la Maison-Blanche semblent l’accréditer, que toute velléité d’en contester la légitimité par une quelconque forme de concurrence, serait considérée comme inamicale et combattue en tant que telle.

C’est la première fois que les Etats-Unis sont allés si loin dans l’affirmation de leur hégémonie et leur unilatéralisme politique. Avis donc est donné aux puissances en devenir comme l’Inde, la Chine, la Russie et même les alliés occidentaux.

Mais, il y a plus. Non contents d’affirmer au monde leur puissance économique, politique, militaire etc. les Etats-Unis revendiquent le leadership moral du monde. Par un manichéisme puisé aux sources religieuses de l’origine de la nation, le monde leur paraît divisé en deux camps. D’un côté, les bons; de l’autre, les méchants. Vu qu’ils se perçoivent comme le peuple prédestiné pour incarner les bons, ils se croient investis de la légitimité nécessaire pour imposer leur hégémonie et servir de guide aux autres peuples sur la route du bien. Cela faisait dire à Donald Cuccioleta : " Les Etats-Unis, la seule hyperpuissance de la planète ne semblent plus vouloir se contenter de jouer au policier international, mais plutôt, veulent s’ériger comme le seul vrai gardien de la conscience morale planétaire. "


3—La géopolitique de la satisfaction des besoins

Si religieux que soient les Etats-Unis et malgré leur affirmation des principes de générosité hérités des théories de John Locke sur la défense des droits naturels dans leur déclaration d’indépendance, aucun pays plus qu’eux, n’a subordonné à ce point, la défense des valeurs morales à celle de la défense de ses intérêts individuels et collectifs. On pourrait écrire en lettres de sang une histoire des Etats-Unis en relatant les actes de barbarie par lesquels, au nom de leurs intérêts, la puissance de cette nation s’est édifiée au détriment des droits naturels et moraux des autres peuples.

 
Pourtant, l’affirmation de leurs intérêts depuis les vingt dernières années, dépasse de loin ce qui a été enregistré auparavant, du moins en termes d’extension planétaire, sinon en termes de conséquences humanitaires. Pour s’en convaincre, il n’est que de considérer leurs rapports avec les peuples démunis de la terre sur le plan des besoins essentiels de ces derniers (besoins alimentaires, de santé, d’éducation etc.) c’est-à-dire, la confrontation de ces besoins avec les intérêts commerciaux de Washington.


3.1—La politique des Etats-Unis et la satisfaction des besoins alimentaires des pays pauvres
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Si un gouvernement est au courant des conditions générales de la planète, c’est bien celui des Etats-Unis. En raison de leur puissance technologique, ils possèdent toutes sortes de données sur les contrées les plus reculées du globe, y compris sur les ressources dont elles disposent et les problèmes naturels qui les affectent, à commencer par l’état de leurs besoins alimentaires.

Or, il se trouve que la production alimentaire constitue l’une des pièces maîtresses de l’arsenal commercial des Etats-Unis, formant très souvent, le peloton de tête dans la pénétration des marchés. Au nom de leur intérêt commercial, ils n’hésitent pas à y recourir comme élément d’une stratégie de pression politique ou de domination. Leur insensibilité et la rudesse de leurs rapports avec les pays pauvres incapables de répondre temporairement aux besoins alimentaires de leur population, sont à mettre au compte d’une stratégie d’implantation prête à faire flèche de tout bois lorsqu’il y va de leurs intérêts commerciaux. Même l’aide ponctuelle rendue parfois nécessaire à la suite de sécheresses ou d’autres calamités naturelles est parfois régie par des conditions qui en font des éléments de marketing et confinent, au bout du compte, au-delà des ententes asservissantes, à une exploitation de la faiblesse et de la misère de ces peuples. Qu’il suffise seulement de citer le bumping vers ces pays des surplus de production, Ces gestes qui se donnent généralement pour des actes de générosité ne peuvent faire illusion que dans la population étatsunienne elle-même. Ils n’arrivent à occulter leur vraie nature à aucun alphabétisé du Tiers-Monde. D’autant que l’utilisation de ces pays comme déversoirs a des conséquences dramatiques sur la structure des productions nationales en en sapant les bases par un effet de substitution de produits, rendant prohibitives les productions nationales. Sans compter que ces pays sont souvent utilisés comme cobayes pour tester la toxicité de nouveaux produits (OGM).

Pourtant, ces pratiques, par l’échelle impliquée, sont encore de peu d’importance à côté de celles qui sont relayées par les institutions internationales. Qu’on pense, encore une fois, au Fonds Monétaire International et à la Banque Mondiale qui se chargent, de concert, de rabattre les états débiteurs insolvables et d’assurer le paiement des intérêts sur les prêts consentis à ces états. Pour parvenir à leurs fins, ils recourent, au besoin, à des pressions sur les marchés, forçant, par exemple, la dévaluation de la monnaie, la suppression des subventions gouvernementales et d’autres mesures du même tenant, rendant, par le fait même, la satisfaction des besoins essentiels encore plus problématiques.

Qu’on pense également à l’OMC, à l’ALENA, à l’AMI etc. tout un aréopage de tribunaux de tout acabit, au service de l’Occident en général et des Etats-Unis en particulier, défendant avec becs et ongles les intérêts des créanciers de ces centres politiques et commerciaux et garantissant l’accès à tous les marchés de la planète. Sans oublier, bien entendu, la promotion des produits comme les films, les disques etc. vrai cheval de Troie culturel et commercial de l’emprise étatsunienne.

C’est ce que les tenants du libéralisme économique appellent sans vergogne le libre-échange et qui est un autre mode d’asservissement des économies du Tiers-monde à celles de l’Occident et, au premier chef, à celles des Etats-Unis d’Amérique en vue de ce qu’on a convenu d’appeler la " macdonalisation "de la planète.


3.2—La politique des Etats-Unis et la satisfaction des besoins de santé des pays pauvres


En dépit de l’accélération des phénomènes de communication au cours des trente dernières années, notamment en ce qui concerne les déplacements de populations d’un continent à l’autre, les occidentaux et, plus particulièrement les Etats-Unis, n’ont pas semblé comprendre l’ampleur des défis que de tels déplacements posent à la gestion des maladies et donc à la santé.


Avec les politiques macro-économiques des centres financiers internationaux relayés par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, on assiste partout dans les pays du Tiers-Monde à un effondrement du système de santé et à l’apparition de maladies qu’on croyait avoir éradiquées depuis longtemps. C’est le cas du choléra, de la variole, de la lèpre, du paludisme, de la tuberculose et bien d’autres. Cette situation est due, en grande partie, à la flambée des prix des médicaments depuis la déréglementation de l’industrie pharmaceutique et à l’obligation qui est faite à l’état de se retirer du champ de la santé au bénéfice du secteur privé, sous peine d’être sanctionné par les bailleurs de fonds internationaux. Il s’ensuit que dans ces pays, les soins de santé, de même que les médicaments demeurent inaccessibles à la grande majorité des populations et créant le climat propice à l’éclosion et à la propagation des germes dormant de maladies anciennes.

A cette reviviscence des affections oubliées s’ajoutent de nouvelles maladies qui sévissent, comme par hasard, avec une virulence particulière dans les régions du globe les plus défavorisées. C’est le cas du sida, de la fièvre ebola, de la dengue etc. A cela s’ajoutent de nouvelles affections comme la grippe aviaire en processus de mutation de l’animal à l’homme. En raison de l’incidence géographique de ces maladies qui les met, par le fait même, en étroite corrélation avec la pauvreté et le déficit d’infrastructures d’hygiène et de santé, on ne s’étonnera pas que peu de moyens financiers soient investis pour les combattre sauf lorsqu’elles sont susceptibles d’épidémies à l’échelle mondiale. Il faut dire que la recherche médicale et pharmaceutique des pays occidentaux ne s’est jamais préoccupée des besoins de santé manifestés sous des latitudes différentes des leurs. Cela explique pourquoi les maladies tropicales ou les affections propres aux peuples de ces régions n’ont pas connu le développement significatif tant sur le plan du diagnostic que sur celui du curatif au cours des trente dernières années.

De la part des Occidentaux, c’est une approche à courte vue de la problématique mondiale de la santé à cause d’une vision mal comprise de leurs intérêts, laquelle semble se formuler ainsi : " Pour nous, tous les avantage des marchés mondiaux sans les inconvénients ." En se préoccupant de faire pénétrer les marchés les plus lointains par leurs produits tout en fermant les yeux sur la décrépitude ou l’absence plus ou moins grande des infrastructures de santé des sociétés concernées, ils prennent, à court terme, la voie de la maximisation des profits. Ils ne se rendent pas compte qu’à moyen terme, ils risquent d’être rattrapés par la dégradation des conditions de vie et de santé de ces sociétés sous la forme d’une mondialisation des maladies et des épidémies.


3.3—La politique des Etats-Unis et la satisfaction des besoins d’éducation des pays pauvres.


Ce qui vaut pour le système de santé vaut, mutatis mutandis, pour le système d’éducation.
Alors que les pays pauvres doivent, dans l’ensemble, combattre des taux effarants d’analphabétisme, en plus d’avoir des déficits importants sur le plan des structires d’encadrement pour assurer leur développement, ils sont pris à la gorge par des bailleurs de fonds internationaux, au premier rang desquels se trouvent les Etats-Unis, pour sabrer dans les programmes d’éducation ( formation des jeunes, formation des maîtres etc.) Il s’agit de dégager une partie importante de leur budget pour le service de la dette. Ce rôle de contrôle ou de garde-chiourme est assuré de concert, avec un soin jaloux, par les mêmes organismes internationaux.
Pris dans un cercle vicieux implacable, entre les besoins d’éducation et de développement de leur pays et les exigences tatillonnes des centres financiers internationaux, les États pauvres voient chaque jour s’éloigner le jour où ils pourraient accéder à la première marche conduisant au développement.

Conclusion

Ce rapide coup d’œil sur quelques tendances socio-politiques du nouveau siècle laisse nécessairement de côté des pans considérables de la réalité internationale. Pourtant, elles semblent déjà assez éloquentes quand il s’agit d’évoquer la domination et l’arrogance politique et militaire des Etats-Unis sur les autres peuples de la planète et, par voie de conséquence, l ‘érosion de la capacité des peuples démunis à s ‘organiser et à se développer.

En dépit de la répugnance des uns et des autres pour les régimes communistes, on peut très bien regretter que l’implosion du régime soviétique ne laisse sur l’échiquier mondial aucune puissance capable de tenir tête à celle des Etats-Unis. Les politologues commencent à peine à découvrir que la rivalité Etats-Unis-Russie Soviétique ne formait pas un équilibre dans la terreur, mais un équilibre tout court, et qu’à tout prendre, mieux valait la paix induite par cet équilibre que la vassalité, voir l’asservissement des peuples de la planète.
En résumé, il n’est pas vain de dire que le siècle commence sous de mauvais auspices et que rien dans les tendances à court terme ne semble prédisposer à la paix et à la prospérité des peuples.
Marc L Laroche
Sociologue
le 15/11/04

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