lundi, octobre 15, 2007

DE LA PALESTINE À HAÏTI

En dépit des différences évidentes entre les peuples palestinien et haïtien, leur trajectoire socio-politique n’est pas sans présenter des points de convergence, ne serait-ce que, entre autres, par le marasme de leurs institutions politiques et la place occupée par leur diaspora respective dans la vie nationale.

 Pour des raisons diverses, ces deux peuples ont, depuis longtemps, été au centre des enjeux idéologiques d’importance dans la géo-politique mondiale. Ce n’est pas par hasard si la nation haïtienne, dès sa naissance, a été mise au ban des nations occidentales. En se libérant du joug de l’esclavage, elle se présentait comme un modèle à tous les peuples asservis. A cause de cela, depuis plus de 100 ans, elle a été combattue de toutes les façons. Qu’aujourd’hui encore, elle attire l’attention pour d’autres raisons ne fait que souligner, encore une fois, sa position de pion sur l’échiquier de la politique internationale

.En ce qui concerne la Palestine, aussi paradoxal que cela paraisse, elle est la meilleure assurance pour les juifs contre l’oubli de l’Holocauste par les Occidentaux. C’est elle qui empêche la plaie de se cautériser et maintient vivant l’effort ou le devoir de mémoire. S’il est important de noter que le statut politique de la Palestine dérive de la culpabilité de l’Occident vis-à-vis du peuple juif, il est encore plus important de comprendre sa position stratégique dans le casse-tête du Moyen-Orient et la façon dont elle est appréhendée par la communauté internationale en relation avec la nature de l’état d’Israël.

 L’ironie du dernier scrutin palestinien, c’est qu’à un moment où la Palestine est sous la loupe, bien entendu d’Israël, mais surtout des membres du quartet ( ONU, UE, Etats-Unis, Russie), personne dans les capitales occidentales, pas plus qu’au Moyen-Orient, n’avait vu arriver l’occimoron explosif que représente les 76 sièges du Hamas sur les 132 que représente l’Assemblée. L’absurdité de la situation c’est que pressé par l’Occident de se soumettre aux activités démocratiques que sont les élections, conformément aux exigences du processus de paix, la Palestine en arrive à une institution législative dominée par un parti considéré comme terroriste et dont la charte prône la violence et la destruction d’Israël.

Comme quoi, il ne suffit pas toujours de poser les gestes de la démocratie pour recueillir des fruits démocratiques. Or, ce qui s’est passé en Palestine risque fortement de se produire en Haïti lors des prochaines élections. Beaucoup d’analystes sur le terrain savent que le climat qui règne en Haïti depuis longtemps n’est pas propice aux élections. Au cœur de la capitale existent plusieurs zones de non-droit que n’ose franchir la police nationale avec ses équipements rudimentaires, pas plus que le contingent de la MINUSTAH malgré la protection de ses chars d’assaut.

En conséquence, plutôt que d’observer l’emprise policière sur les quartiers dangereux, avec le temps, c’est le contraire qui se voit avec l’extension géographique de ces derniers. Il s’ensuit que les auteurs de kidnapings contre rançons, de viols, de meurtres etc. ne sont nullement inquiétés; leur contrôle de la situation est tel qu’ils ont l’assurance que leurs crimes demeureront impunis. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ces malfrats qui sévissent sans discontinuer ne sont pas toujours des affamés que l’occasion d’enrichissement appâte; ce ne sont pas non plus des anarchistes, si l’on veut entendre par ce terme des individus qui se contentent de défier la loi ou l’autorité. Leurs crimes et la situation sociale chaotique qu’ils génèrent sont orchestrés pour avoir des finalités précises.

La question à poser, en l’occurrence, est celle de savoir à qui profitent les crimes et le chaos social qui en découle? À cette question, beaucoup d’observateurs haïtiens de la scène politique connaissent la réponse. Voilà pourquoi, depuis plus d’un an, ils n’arrêtent pas de tirer la sonnette d’alarme. Pourtant, cette analyse haïtienne de la situation sociale en Haïti n’a jamais pu percer le mur de l’indifférence des administrations internationales, pas plus de celle des représentants onusiens en Haïti. On en veut pour preuve le fait que là où la répression aurait été appropriée pour enrayer l’insécurité endémique qui sévit depuis trop longtemps à Port-au-Prince, les forces étrangères se sont contentées d’adopter le mode de l’expectative. Il y a, en filigrane, une raison déjà signalée. Avec la déliquescence de ses institutions, Haïti est devenue une plaque tournante pour beaucoup d’ambitions régionales ou hémisphériques.

Au-delà du projet de favoriser la stabilité des institutions du pays dont certains groupes d’intérêts étrangers n’en ont cure, Haïti est plutôt perçue comme le lieu de prédilection où certaines ambitions peuvent le mieux se réaliser. D’où le mot d’ordre cynique que beaucoup semblent adopter : " qu’importe si Haïti va vers un naufrage, pourvu que nous ayons des bénéfices pour la réalisation de notre mandat. " Sans compter, par ailleurs, que les bénéfices peuvent découler du naufrage lui-même… Par conséquent, plutôt que d’avoir des élections dans de mauvaises conditions—des conditions surdéterminées par des manœuvres criminelles qui risquent de fausser le jeu de la démocratie---il est cent fois préférable de les retarder quitte à prolonger la période de transition, cent fois préférable que les élections ne viennent pas légitimer la mainmise des tenants de tous poils de la violence et la guerre inévitable des groupes sociaux.Il y a, en effet, un risque très grand qu’Haïti se retrouve avec des résultats qui constituent non seulement une insulte au credo démocratique comme en Palestine, mais, surtout, un crime contre une population qui a déjà connu son lot de souffrances. Ce risque, le Conseil de Sécurité l’a pris, en insistant pour que les élections aient lieu, coûte que coûte, le 7 février prochain.

 Marc L.Laroche
le 29/01/06

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