lundi, octobre 15, 2007

LES TARES ORIGINELLES DE LA CONSTITUTION D'HAÏTI

La campagne électorale en Haïti a mis en relief la constitution de ce pays à l’occasion du pourvoi en cassation d’un des candidats à la présidence de la république. Il voulait établir son éligibilité à cette fonction malgré sa double nationalité, haïtienne et américaine. Il semble que depuis, la cour de cassation ait fait droit à la requête du candidat, sans qu’on sache encore les fondements juridiques du jugement.

 En marge de cette affaire, et à la lumière des événements politiques et sociaux qui affligent le pays depuis trop longtemps, il n’est pas inopportun de réfléchir à la question de savoir, si l’outil fondamental dont ce pays dispose, soit la constitution, est adéquat pour réaliser sa marche vers le progrès. Vais-je surprendre le lecteur? D’emblée, il me semble que cette constitution, bien loin d’être l’outil dont le pays a besoin pour amorcer son démarrage et son développement, opère plutôt comme un instrument de régression, si cette expression peut encore avoir un sens dans le contexte social que l’on connaît.

 Cette inadéquation se révèle à la lumière de deux dimensions de ce document fondateur, lesquelles apparaissent plutôt comme des tares. La première de ces tares est d’ordre logico-administratif, alors que la deuxième renvoie à un problème sociologique. Les lignes ci-dessous exposent brièvement les deux facettes problématiques de cette constitution .

 1—La tare logico-administrative
La constitution haïtienne est parcourue par un système de pensées qui, dans l’histoire de la France cartésienne, a fait des merveilles sur le plan du traitement des idées et des choses (système des poids et mesures) mais qui s’avère plutôt inadéquat lorsqu’il est appliqué au gouvernement d’un état. C’est pourtant ce modèle, efficace pour sa logique centralisatrice, que les artisans de la constitution haïtienne ont importé avec la conséquence que l’on sait : une multiplication d’instances administratives comme pour donner le change sur la finalité centralisatrice du système. A cet égard, l’haïtien peut comprendre aisément les propos de l’homme politique français Gilles de Robien quand il décrit l’administration publique de son pays : " …on a tellement chargé la barque des institutions locales, tellement multiplié…les niveaux de décision—commune, intercommunalité, district, département, région etc.—que le seul qui puisse s’y retrouver c’est le pouvoir administratif central, embusqué au milieu de sa toile d’araignée. " Il s’ensuit de cette situation que la plus grande partie des énergies disponibles pour sortir Haïti de l’ornière où elle s’est enlisée depuis l’Indépendance, est vouée à une participation ritualiste à la chose publique, sans objectif réel. La gestion des problèmes qui touchent à la vie quotidienne des gens se dérobe à l’appréhension. Les élections aux différentes instances du système administratif ont beau se multiplier, les décisions échappent à ces instances qu’elles soient locales ou régionales. A l’image de la toile d’araignée se superpose alors celle des poupées russes où l’on voit toujours s’éloigner le niveau du sens ou de la réalité. On sacrifie à la gestuelle démocratique sans se préoccuper de l’essentiel qui serait, en l’occurrence, la participation effective à la démocratie politique.

 2—La tare sociologique
Si la constitution haïtienne avait été élaborée dans les années 50 ou même au début des années 60, les constituants de l’époque auraient raison de n’avoir pas vu se développer ce qu’il est convenu d’appeler la diaspora haïtienne. En revanche, que ce flux démographique ne retienne pas l’attention dans les années 80, c’est une erreur impardonnable. Car, de quoi s’agit-il? Il s’agit, dans l’ensemble, de l’hémorragie de la classe moyenne, la force vive de la nation. Lorsqu’on sait le rôle moteur joué par cette classe dans la dynamique du développement des sociétés, le phénomène de l’émigration massive des plus scolarisés de la nation devrait sonner l’alarme et susciter des provisions constitutionnelles propres, sinon à juguler l’hémorragie, du moins à neutraliser ses conséquences dévastatrices pour le pays. Pour mettre les choses en perspective, il faut savoir que la structure démographique actuelle d’Haïti est sensiblement la même que celle qui a prévalu à l’époque coloniale. A cette époque, les habitants de St-Domingue étaient ainsi répartis : 7% représentaient les colons, 13%, les affranchis et 80% les esclaves. Rien donc de différent de la répartition actuelle qui, à la veille de l’an 2000, allie, grosso modo, 5% à la classe supérieure, 10% à la classe moyenne et 85% à la classe prolétarienne. Ce rapprochement met en évidence une situation sociale épouvantable de stagnation. Une fois écartés les membres de la diaspora, on se retrouve donc avec une structure démographique caractérisée par une absence totale de mobilité sociale et qui signifie dans les faits, une régression unique dans l’histoire des sociétés modernes.

Mais plus grave encore, un tel modèle démographique, allié à d’autres considérations concernant les ressources disponibles, ne semble permettre aucun espoir de viabilité pour l’avenir. Comment en effet ne pas être pessimiste quand on sait qu’à défaut de compter sur les ressources du sol et du sous-sol, le pays ne peut pas compenser son manque en comptant sur la ressource de sa classe moyenne, c’est-à-dire, sur le dynamisme, l’ingéniosité, et la capacité d’entreprendre de ses membres? Pourtant, il aurait été possible qu’il en soit différemment si les artisans de la constitution, informés des tendances profondes de la société, conscients de leurs conséquences sociologiques et aiguillonnés par le destin tragique de ce pays, avaient envisagé l’intégration formelle à la nation de cette excroissance démographique des deux côtés de l’atlantique. Or, loin d’envisager une telle intégration, les articles 13 et 15 de la dite constitution ont consacré son exclusion de la nation haïtienne.

 Conclusion
Compte tenu des tares inhérentes à la constitution dont il est question plus haut, ce document fondateur doit être remis sur le métier sans tarder afin de garantir la double nationalité aux membres de la diaspora. Il est ironique de constater que cette diaspora est quand même bien présente dans la réalité haïtienne puisqu’on attend d’elle qu’elle fournisse, bon an, mal an, plus d’un milliard de dollars annuellement à l’économie du pays, alors qu’elle est évacuée sur le plan des droits politiques. Si elle remplit à ce niveau un rôle utile, son rôle essentiel est à venir de façon à lui permettre de pouvoir prendre part, de manière légitime, aux processus politiques et contribuer efficacement au développement du pays. Le renouvellement de la constitution devrait, par ailleurs, consacrer l’émondage de l’administration publique haïtienne et, par le fait même, favoriser l’essor des idéaux de la démocratie. Haïti a, en effet, à gagner de faire l’économie, sur le plan administratif, de certains schémas et structures empruntés d’ailleurs et de se débarrasser d’une certaine gestuelle démocratique, au profit de réelles activités démocratiques. Cela n’a lieu que dans le cadre de la participation effective de la population aux décisions qui la concernent.

 Marc L Laroche
Sociologue
le 24/10/05

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